7.L'Enfer
Les jours qui suivirent furent un véritable enfer pour Arthur. Chaque matin l’attirait un peu plus près du gouffre, chaque réveil devenait une épreuve insurmontable, un nouveau creux, une perte de soi inexorable. Un mot s’échappait, insaisissable. Un fragment de lui-même s’effaçait avec lui, emporté dans un courant qu’il ne pouvait contrôler.
Il était englouti dans un abîme invisible.
Cette sensation était plus que déroutante ; elle était terrifiante. Un mot qui s’efface, c’est une silhouette familière qui s’éloigne dans un brouillard épais sans se retourner. D’abord, ce furent des mots simples, quotidiens. « Travail. », « Problème », « Rendez-vous » Pourtant si profondément ancrés dans son quotidien, ils l’avaient quitté tels des amis trahissant leur promesse de rester.
Il tentait de les saisir, de les invoquer, mais seuls le silence et le néant lui répondaient. En cherchant à les prononcer, il mesurait leur absence ; ils s’étaient dérobés, glissant hors de sa portée et le laissant errer dans un désert intérieur. Il se sentait dépossédé, amputé d’une part essentielle de lui-même. Ces mots, jadis si fluides, s’étaient évanouis, ne laissant derrière eux qu’un écho éteint.
La douceur du langage – cette trame rassurante de mots familiers qui enveloppait son existence – s’effritait peu à peu. À chaque désertion, un fil se rompait, et le fragile tissu de sa vie menaçait de se déchirer entièrement.
Puis ce furent les concepts : des idées, des responsabilités. « Obligation. », « Devoir » « horaire », « contraintes » s’enfuirent à leur tour, se dissolvaient un à un comme des gouttes d’encre dans l’eau.
Leur disparition creusait un vide toujours plus vaste. Il percevait chaque absence comme une force indétectable, alourdissant ses pensées, comprimant peu à peu les contours de son monde.
À mesure que les mots s’éteignaient, la structure même de sa vie devenait floue, instable. Son univers rétrécissait, inexorablement. Chaque taisance resserrait les murs autour de lui, réduisait son espace à un lieu minuscule et suffocant où tout devenait incertain.
Cette perte était physique, viscérale, chaque phrase avortée arrachait une partie de son identité. Ses relations, ses souvenirs, ses projets, tout se désintégrait dans le silence. Lentement, insidieusement, son univers se désintégrait : un château de cartes que le moindre souffle pouvait faire s’effondrer.
L’absence de son était également une absence de vie, d’échanges, d’interactions.
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