10. L'Homme Organisé
Arthur était comptable dans une grande entreprise, un homme méticuleusement organisé, méthodique à l’excès et profondément rongé par l’anxiété. Chaque aspect de sa vie était un jeu de chiffres, une tentative désespérée de maîtriser un monde qu’il sentait toujours plus incertain par de savants calculs. Il avait fait de la rigueur et du contrôle les pierres angulaires de sa vie. Chaque aspect de son quotidien était minutieusement planifié, des tâches professionnelles aux petites routines personnelles. Il était du genre à régler les factures deux semaines avant la date limite, à avoir toujours une « to-do list » sur son téléphone, dont les cases se cochaient avec une satisfaction presque rituelle. Ses journées suivaient un ordre immuable, et ses pensées étaient aussi ordonnées que les colonnes de chiffres sur lesquelles il passait ses journées. La structure de sa vie semblait inébranlable, un équilibre conçu pour éloigner le chaos, pour maîtriser ce qui échappait au contrôle.
Pourtant, l’ironie de sa condition ne lui échappait pas. Il avait consacré sa vie à organiser, à planifier chaque détail pour éviter l’incertitude, pour garder le contrôle en toute circonstance. Il avait mis en place des mécanismes de défense, des rituels qui lui permettaient de tenir face aux imprévus de l’existence. Mais à présent, tout cela s’effondrait lentement, comme un édifice fragile dont les fondations se fissuraient sans bruit. Il se retrouvait à la dérive, pris dans un tourbillon qu’il ne pouvait ni comprendre ni maîtriser. La maîtrise qu’il avait tant chérie toute sa vie était devenue une entrave, car il se retrouvait impuissant face à ce mal insaisissable qui effaçait peu à peu de sa mémoire l’essence même du langage.
Les bases de sa vie, la structure qu’il avait patiemment construite pour se protéger du désordre, s’effondraient lentement. Chaque mot perdu, chaque pensée dérobée, était une déstabilisation supplémentaire, une fissure dans le mur qu’il avait érigé id="3776928">autour de lui pour empêcher l'incertitude de le submerger. Il se sentait de plus en plus seul, dépossédé de tout ce qui l’avait défini jusque-là.
Au travail, il redoublait d'ingéniosité pour éviter tout échange verbal, multipliant les stratagèmes et subterfuges pour contourner les situations nécessitant un dialogue. Cette constante esquive lui demandait une énergie considérable. Il passait davantage de temps à éviter les interactions qu'à accomplir ses tâches. Peu à peu, cette charge supplémentaire rendait son travail de comptable de plus en plus complexe, menaçant ses performances et son équilibre professionnel.
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