Une étrange enfant
de Ninib
- Laisse, je m'en occupe. C'est mon tour.
Ezaïle sourit ; à n'en pas douter, elle avait mis au monde une enfant singulière, et, elle devait se l'avouer, cela n'était pas pour lui déplaire. La jeune Marie se passionnait pour l'histoire de ce monde ancien d'où lui venait son prénom, que d'aucuns jugeaient obsolète.
Enfant, elle avait refusé en haussant les épaules tous ces gadgets à la mode dont rafolaient ses condisciples : visiophones instantanés, amplificateurs de pensée, et même les linguiciels les plus simples... A l'heure où les autres bambins s'immergeaient dans des virtuomondes de plus en plus en plus sophistiqués, elle demandait à aller au zoo, où on avait réuni les derniers spécimens vivants des animaux qui avaient existé au siècle dernier et elle expliquait avec enthousiasme à sa mère ce qu'était une girafe ou une chèvre.
A bien y penser, Marie avait été différente dès sa sortie de l'artirus en verre où elle avait effectué une gestation des plus normales : Ezaïle n'oublierait jamais ce regard d'un bleu intense qui s'était d'emblée posé sur elle, ce regard "déjà brillant d'intelligence" pensait-elle sans avoir jamais osé le dire.
Marie avait exigé des centaines de ces parallélépidèdes en carton et papier couverts de petits signes noirs et autrefois appelés livres. Alors sa mère avait cédé et s'était pliée à toutes les démarches pour obtenir une à une les dérogations ; elle s'était prêté avec succès à tous les contrôles des hygiénistes malgré leurs exigences démentes, parce que "cela en valait la peine".
Et de fait, à l'âge de six ans, la fillette avait obtenu la certification A++ qui lui ouvrait les carrières les plus prometteuses : cheffe programmatrice ou peut-être même administratrice universelle.
***
Deux ans plus tard cependant, Marie avait déçu Ezaïle pour la première fois :
- Maman, je voudrais un biodouble.
Stupéfaite, la mère n'avait su que répondre. Les biodoubles abondaient depuis quelques années : on les obtenait par clonage simple et leurs propriétaires les utilisaient à leur gré pour accomplir leurs corvées ou les distraire. On les voyait déambuler par dizaines dans les rues, vêtus de combinaisons grises, le regard vide et le pas lent, conscients de leur triste condition. Après usage ils étaient généralement déprogrammés et dévitalisés par les services de recyclage qui utilisaient leurs organes à des fins thérapeutiques.
- C'est pour l'aseptisation des livres ?
- Je te jure que non, maman.
- Mais pourquoi alors ? Tu ne manques de rien, je pense... Je t'achète tout ce que tu désires, tu as une chambre connectée dernier cri...
- Je n'ai pas d'amis.
- Tu en auras plein, bientôt.
Ezaïle, Marie le comprit aussitôt, faisait référence à la toute dernière loi promulguée par le grand administrateur : quiconque croiserait l'un de ses congénères humains serait dans l'obligatoin de le saluer et de lui adresser un sourire.
- Oui mais moi, j'en veux une vraie, que je puisse aimer.
Dépassée par tous les mots nouveaux que sa fille employait sans cesse, Ezaïle lui demanda de définir ce dernier verbe, mais étrangement, Marie n'y parvint pas.
- Tu as même, au zoo, ta chèvre favorite qu'on te permet de toucher !
- Oui mais je n'ai personne à qui la montrer...
- Tu sais que je ne permettrai pas que tu la maltraites ?
- Mais enfin, maman, tu sais bien que "je ne ferais pas de mal à une mouche".
Il s'agissait de leur expression favorite depuis qu'elles avaient appris que ce petit insecte nuisible était celui que leurs ancêtres étaient parvenu à anéantir en dernier et dont la disparition avait amélioré de manière significative l'hygiène générale de la Terre.
Marie s'était prêtée aux prélevements sans sourciller et Ezaïle avait passé la commande.
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