Prologue

3 minutes de lecture

On ne tue pas un nihiliste.

Ça revient à lui donner raison.

G. S.

Anatomie d’un monstre : le cas Notre Dame d’Islemortes, Ouvrage de Marc Saran, éd. Le Point-Virgule, coll. Policier, 2006

Extrait, « Introduction », p. 7

Ils ont détruit le monde de l’ordre et du bien. En un sens, ont accompli l'impossible, l'impensable, le prodigieux, et pour ça nous les craignons et les rejetons. Les admirons, aussi, car il y a une espèce d’obsession qui ne dit pas son nom à l'égard de ces monstres faiseurs de miracles.

Aucune honte à avoir, ce besoin de les mettre en lumière est humain. Tout comme eux.

Arrêtons-nous un instant sur l’étymologie du terme « monstre » : (1694) Du latin monstrum (« avertissement céleste, prodige »). Dérivé du latin monstrare, montrer, indiquer ; rattaché à monere, avertir.

Un avertissement. Il est ce que l’on dénonce, ce que l’on montre, comme un enfant désigne du doigt l’anomalie. Cet élément pourrait se suffire à lui-même, au regard de l’éloquence de la définition. Pour autant, la fascination que nous inspirent ces êtres singuliers, si elle puise sa force dans l’atrocité de leurs actes (le « montré »), prend en réalité racine dans la dualité qui les définit. À la fois humains et inhumains, ils s’imposent en premiers témoins de la transition entre l’homme ordinaire et ce que le monde a fait de lui. Ce qu’il est, le cas échéant, susceptible de nous faire, à nous aussi.

J'épargnerai aux lecteurs l'analogie éculée avec une célèbre créature de la littérature gothique ; je les sais plus fins que ça. Venons-en à l'essentiel : de l'humanité, s'éveille le cauchemar, avec lui les exactions. D'ici là, nous sommes d'accord, mais aussi juste que soit ce raisonnement (qui ne date pas d'hier), et en dépit de la place déterminante que tient le monde dans l'origine des maux ou du « Mal », le spectateur tend encore, non à nier l'évidence, mais à l’évincer. Au mieux à la minimiser. Il préfère faire son refuge de ce postulat : Ils sont les monstres, eux seuls doivent payer pour leurs crimes. Tout coller sur le dos des autres, voilà qui est plus commode.

L'erreur chez ces autres se terrerait dans leur anatomie, sous la forme d'une amygdale atrophiée, dans un pouls plus lent que la normale et un manque d'empathie, que l'on prétend caractéristique. C’est donc à dire observer l'endogène au détriment de l'exogène, puis le servir avec l'indifférence du cossard. J'ai bien écrit « cossard », référence à tous ces ignorants taillés dans le même bois que ceux faisant peser la responsabilité de la tragédie islemortoise sur la motivation simpliste d'une souffrance réclamant réparation. Motivation qui a été, je le rappelle, encore récemment écartée par les divers collèges d'experts qui se sont penchés sur l'affaire.

Partant, la monstruosité serait bien innée, et la société n'aurait rien à se reprocher. L'impertinence de la réflexion ne manquera pas de surprendre, voire de convaincre (elle y est déjà parvenue). À ceux qui y adhèreraient j'opposerai cette problématique : comment justifier la proximité entre ces individus et les autres ? Avec vous, avec nous ? L'acquis, et c'est là ma thèse, préserve une forme déterminante de responsabilité. Je l'opposerai même comme cause principale. Oui, j'ose ; l'audace fait ma fierté et ma croix.

Chez le sujet, l'acquis occupe toute la place, au premier plan ; au second, il devient son fusil de Tchekhov. Certains s'en indigneront, "C'est un peu fort ! C'est même vexant !" Vexant, peut-être, eh bien tant pis. Chacun se doit d'assumer le rôle qu'il tient dans le développement de ces créatures. On parlera à ce titre d'une « initiation à la débauche » suivant une définition purement sadienne, « pédagogie du mal » pour le plus grand nombre.

Ce qui nous ramène à notre affaire.

J'invite donc les lecteurs à dépasser les poncifs et chercher au fond d'eux la curiosité de comprendre la mécanique d'un cerveau qu'une succession d'épreuves aura détraquée. J'avancerai toutefois que revêtir la dépouille, éprouvante et éprouvée, de l'un des plus étranges personnages que l'hexagone a eu à découvrir ne peut épargner qui que ce soit. Son histoire fait écho à d'authentiques chagrins, quasi universels, en dépit de sa profonde singularité. Elle fait peur. À quel point ? Peut-être à craindre qu'elle ne finisse par trouver une résonance en nous.

Après tout, nous parlons d'un adolescent normal. Et de folie meurtrière. (…)

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