Anomaloscope

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Sur les murs de la chambre plongée dans l'obscurité, au ras du plafond cathédral, les flashs crachotés par la machine révélaient par à-coup les arabesques des moulures. Celles-ci n'avaient rien perdu de leur superbe, malgré les années coincées dans leur fonction ornementale, poussées au maximum de leurs capacités, à tenter de se montrer à la hauteur du luxe de cette pièce d’indécente dimension. Un travail éreintant, mais le goût de l’effort et du dépassement de soi faisait loi chez les Sirinelli. L’Art soi-même s’y pliait.

Dans les éclairs blancs, sous les enjolivures, les peintures eschatologiques dévoilaient le relief de leur horreur, rendue palpable par l'épaisseur de la gouache. Un tourne-disque, un requiem début XIXe siècle viennois, des chœurs montants, et les cavaliers apocalyptiques, comme galvanisés, jetaient leur corps contre le cadre de leur toile ; au-dessus de la tête de Gabrielle, agitaient leurs lances de glycéro. Affronter le courroux d'êtres picturaux faisait figure de divertissement ; elle aurait cent fois préféré subir les assauts d'une légion infernale que ceux de la plaque de verre qu'elle n'avait plus le droit d'ignorer.

À mesure qu'elle rafraichissait la page de ses échanges électroniques, l'écran de son ordinateur tressaillait, aussi inquiet qu'elle. Rythmée par les cliquetis de la souris, chaque relance offrait un nouveau message, souvent composé d'une seule phrase.

Non ci credo! Il ne me lâchera jamais ! pesta-t-elle.

Gabrielle fixa le nom de l'émetteur, comme si elle eut souhaité en décoder le sens : Legion77. Quel sens en retirer ? Tel pseudonyme, témoin d'une imagination atrophiée ainsi que d'un humour douteux, ne requérait pas un effort d'interprétation ; il incarnait à lui-seul le premier degré adolescent. Depuis des jours, ce surnom risible emplissait la page de la boîte de réception, renouvelant sa présence par vagues. Trente messages en une heure, chargés de grossières fautes grammaticales et plus vindicatifs les uns que les autres. Cette obstination, qu'un silence n'eût aucunement améliorée, la décida à ouvrir le dernier message :

29 janvier 1996

17:40

De : Legion77

À : Orphéeauxenfers

Tu veux pas me répondre ? Tu peux pas me laisser comme ça je veux des vrais explication. C’étaient qui ces mecs ? Jte préviens je vous chopperais tous devant le lycée

Ben tiens… Parole, parole, parole. Des promesses, toujours des promesses, ironisa-t-elle. Bien qu'elle s'entêtât à considérer avec légèreté cet emportement, la situation trahissait une tension qui n'augurait rien de bon.

Il est néanmoins vrai que la violence des termes employés par Antoine ne comportait, d'une triste façon, rien d'inhabituel. Il avait tout de l'homme impulsif, une caractéristique propre à renforcer les craintes exprimées par son entourage, qui le voyait comme une toile noire sans touche de blanc. En farouche opposante du manichéisme, Gabrielle s'évertuait à qualifier ces préoccupations d'exagérées, encore qu'elle admît officieusement la validité de leur argumentaire. Antoine pouvait faire preuve d'une rage digne d'un hooligan britannique, ses accès de colère tenaient parfois du biblique. Aussi, les mots excédaient-ils souvent sa pensée, et de ses lèvres jaillissait, lame dressée, une armée d'insultes vouées à embrocher l'interlocuteur ennemi. Et lorsque venaient à s'épuiser les mots, les poings prenaient la relève, de braves seconds couteaux.

Si l'on devait concéder à Antoine une circonstance atténuante, fallait-il reconnaître qu'il s'était toujours efforcé de calmer ses pulsions et de témoigner une certaine retenue à l'endroit de sa partenaire. Si maladif que paraissait ce réconfort, Gabrielle s'estimait chanceuse. Compagne ou pas, en de pareils moments le risque de recevoir une balle perdue ne s'éloignait jamais de trop. La colère comprenait cet effet sournois d'embrumer la vision d'Antoine, au point de ne plus distinguer la femme de l'homme, l'ami de l'opposant.

Mais si aucun incident n'était, pour l'heure, à déplorer, sa nature sanguine resurgissait tout de même à l'occasion de leurs ébats, par l'expression de déviances, parfois curieuses, parfois déroutantes. Parfois violentes, en tant que catalyseurs. Des déviances rituelles ; elles en étaient devenues le point de référence de leur relation, repensée et corrigée. En d'autres temps, cela aurait peu déstabilisé Gabrielle. Ne s'avouait-elle pas elle-même, de longue date, férue de bâillon, martinet et menottes ? Autant qu'elle appréciait la délicieuse ignominie des écrits du Divin Marquis. Tout le spectre des fétichismes y était déjà passé, entre ceux pour lui susurrer « qui c’est ton papa ? », ceux insistant pour qu’elle retire ses socquettes, d’autres pour qu’elle garde ses talons, et les férus de fluides, de fessées, d’injures, de bruits d’animaux. Difficile de tous les recenser. Bref, l’idiosyncrasie perverse enhardissait sa propre idiosyncrasie, rien de nouveau en cela.

Cette confession faite, restait un point majeur qu'Antoine ne paraissait pas saisir : lorsque le plaisir vient à s'éroder, il n'est plus que la souffrance pour ensevelir chairs et esprit. Sans règles préétablies ni l'entremise salvatrice d'un mot-clef, le dressage dérive vers un rapport abusif où le châtiment fait office de norme, où la victime n'a d'autre fonction que celle de plaire à son Dominant, quoiqu'il puisse lui en coûter.

Dans le petit jeu d'Antoine, la soumise ne possédait ni voix au chapitre ni espoir d'amnistie. « Préviens-moi si tu as trop mal », lui murmurait-il, « Supplie-moi et je te libèrerai », « Parle-moi ». Mais je ne peux plus respirer… Gabrielle en était venue à regretter son abdication volontaire, de même que son incapacité à s'opposer à son tyran. Regrettait, pourtant continuait à en subir les plaisirs, les passions, les humeurs.

N'étant pas amatrice de conflits, elle adressa sa réponse en la forme d'une compilation de formules toutes-faites à tendance réconfortante, moins destinées à se dédouaner qu'à endiguer le mécontentement d'Antoine. Je devrais peut-être carrément lui téléphoner ? Ça irait plus vite mais… Mais cela aurait impliqué de subir le courroux de sa voix, de ses mots perçants fichés dans l'oreille. De toute façon, à cette heure, Cindy et sa langue infatigable monopolisaient le téléphone. Un message, voilà qui conviendrait mieux.

Bien que consciente de la naïveté de sa démarche, elle tendait à espérer que ces mots auraient suffi à l'apaiser, si ce n'était à le ramener à de plus tendres sentiments, par lesquels elle prenait le pari de faire rimer « sérénité » avec « pérennité ». Lui adresser ses promesses de bonne foi en personne plutôt que par écrans interposés eût sans doute changé la donne, mais, sur ce point, maigres étaient les alternatives. La lassitude dont Antoine faisait preuve à l'encontre du système scolaire avait eu le dernier mot. Elle avait pris l'ascendant sur leur relation. Sa présence dans l'enceinte de l'établissement en était devenue exceptionnelle, bien souvent expéditive. C'était néanmoins avec une insolence déconcertante qu'il se vantait de pouvoir échapper à la besogne éducative et se félicitait d'avoir trouvé le courage d'y mettre fin, sans avoir dû se heurter à une désapprobation familiale. Comble du ravissement : son rêve d'un jour servir sous les drapeaux n'en serait point affecté. Dès lors, ne voyait-il pas l'ombre d'une raison valable de revenir sur sa décision.

Une décision irréfléchie, hâtive et unilatérale dont Gabrielle souffrait chaque jour un peu plus. Lui n'y entendait rien. « On n'a pas besoin d'être collés non-stop l'un à l'autre ! » S'imaginant non sans une pointe de candeur éperdue que l'absence fomenterait le désir, et que, grâce à celle-ci, elle se fabriquerait une préciosité, Gabrielle ne l'avait pas contredit. De plus, s'opposer à ses projets lui aurait valu d'endosser un rôle ingrat, celui de la bourgeoise aux dents en or tentant d'expliquer à un roturier comment gérer sa vie et son pécule.

Comme elle vérifiait l'envoi de sa missive, la douce sensation d'une ganse de fourrure glissée sur ses chevilles perturba sa concentration. Un champ de soie lui léchait les membres. Adoucie, Gabrielle s'abaissa afin de gratifier Bellini d'une rapide caresse. Le vieux chat, dont l'âge avait grisé la robe noire, accueillit la tendresse, museau cordiforme dressé et dos rond. De sa langue crantée il râpa affectueusement le tendon d'Achille de sa maîtresse avant de reprendre son ondulation roucoulante, libérant sur son passage une traînée de poils d'argent qui se dispersèrent dans les fibres cramoisies du tapis persan. En un bond encore gracile pour son âge, il prit ensuite place aux côtés de Gabrielle près de l'ordinateur, se figea dans la chaleur de l'appareil où il resta un long moment à fixer la jeune femme. Ses yeux avaient la semblance de deux immenses lunes jaunes. De sa bouche cerclée de blanc émana un râle plaintif, auquel Gabrielle ne s'était pas préparée.

— Tu verses dans le mélodrame maintenant ? N'exagère pas, tout n'est pas si critique. Même si je dois reconnaître…

Elle s'affala sur son clavier, piqua du menton dans ses avant-bras.

— Ouais… c'est plutôt emmerdant.

Loin de la sonorité de mots tels que « manger », six lettres suffisant à satisfaire ses attentes rudimentaires, Bellini le gris n'accordait qu'un intérêt mineur au genre humain et ses tourments. Cette soirée n'y fit pas exception : insensible à la notion de déception ou d'angoisse, la bête ne se défit pas de son étrange chagrin ; les geignements rechignèrent à s'essouffler et les fentes obscures à cesser de sonder l'âme de Gabrielle. Seules frémissaient encore dans leur rotation les oreilles taillées en pointes, à l'affut du moindre bruit suspect. Nord, Sud, Nord, Est… Alentours, le disque s'était tu, la chambre faisait silence.

Gabrielle se pencha sur le vieux chat, jusqu'à lui faire face et refléter ses yeux dans le jaune des siens, comme pour l'hypnotiser. Les prunelles de Bellini se dilatèrent alors, au point d'engloutir la plus petite tache dorée. Elles n'affichaient plus que deux impressionnants orbes noirs sans chatoiement, une double galaxie glaciale et inhabitée. La nature surréaliste de ses traits lui conférait l'allure d'une ancienne statuette, imitation bien aboutie de ce à quoi un familier aurait pu ressembler. La confusion eût été permise sans les plaintes que déversait sans discontinuer la gueule de l'animal.

— On a tous nos problèmes, mon petit vieux.

Ceux de Gabrielle étaient protéiformes ; Antoine n'en détenait pas le monopole. Forte des résolutions héritées de sa relation, Gabrielle s'était appliquée à suivre une ligne de conduite droite comme la justice, aucun écart à déplorer. Elle l'aurait volontiers juré à Antoine sur les saints et les âmes, à supposer qu'elle disposât d'un saint ou d'une âme de valeur en lesquels croire et sur la tête desquels jurer. Toutefois, et quelle légitimité lui conférait sa fidélité sans faille, elle échouait à faire taire les rappels d'un moins glorieux passé. Si son attitude était honorable, il n'en allait pas de même pour les prétendants présomptueux hantant les couloirs de St****. Depuis le début de sa liaison, elle avait eu à subir les assauts répétés des autres garçons, des toqués de la toquade, successivement déroutés puis irrités de découvrir que l'impudique ne se donnait plus le mal de feindre la pâmoison, et qu'avec la minauderie prenait fin l'état de grâce de leur ego. Sans frémir, elle les repoussait. Peine perdue ; les ex-amants toujours revenaient à la charge.

Des scènes écœurantes dans leur banalité. Par deux fois, Antoine y avait assisté. Par deux fois, il était resté muet mais avait adressé à Gabrielle un regard si noir qu'elle en avait senti son échine se glacer. Tant de déception sur ce visage digne des coups de pinceau du Caravage, tant de haine dans ces yeux clairs ; la rancœur du dépossédé, pareille à un orage venu ternir le bleu du ciel.

Ces derniers jours, le tonnerre grondait fort à l'horizon. Gabrielle doutait qu'il eût effectivement mieux valu qu'Antoine se garde éloigné de tout ceci. Maintenant qu'il n'était plus là pour constater les attaques, il pouvait les fantasmer à loisir, et d'une peur nubile se créer une psychose. Gabrielle n'y pouvait plus grand-chose. Loin des gages d'intégrité qu'elle eût pu lui présenter, attendait-il dorénavant… quoi donc ? des aveux ? Qu'elle embrasse le puritanisme, se renomme Hester Prynne[1] et couse en écusson l'écarlate confession de ses torts imaginaires ? Mauvaise couturière, elle ne recensait pourtant aujourd'hui plus d'autre possibilité. Cela n'était pas pour la ravir.

Bellini s'enquit d'un nouveau râle.

Lasse de cette comédie, elle finit par retourner à son écran. Dialoguer avec le chat… fallait-il qu'elle soit perdue. Du reste, l'animal manquait cruellement de conversation. Et il n'avait plus toute sa tête. Souvent lui venait-il l'envie inopinée de fixer un mur des heures durant sans bouger ni faire entendre sa voix. Bellini était capable de rester immobile des journées entières, privé d'eau comme de nourriture, à surveiller une présence invisible, mirifique mais en apparence non hostile. Présence de la même trempe que celle des cavaliers nés de la peinture à l'huile et pendus aux murs. Il n'était par conséquent pas nécessaire de s'embêter à chercher un soutien de sa part, moins encore à déceler une logique dans ses caprices et réactions, aussi singulières fussent-elles.

Gabrielle tenta de reporter son attention sur sa discussion avec Antoine. Aucun nouveau message ne vint répondre à sa dernière déclaration. Un mauvais signe.

Son inquiétude allant grandissante, elle éprouvait le besoin de s'en libérer pour partie. En scinder les fragments, pour mieux les distribuer. Cela passerait par la confidence. Ravaler sa réticence oratoire et en parler, parler, parler et parler encore, et s'ouvrir de ses peines à une personne assez proche du couple et digne de confiance pour l'écouter, avec qui discuter ne requérait ni effort ni artifice. Quelqu'un qui lui aurait tendu la main sans la juger.

Le nez au ras de sa liste de contacts, elle débusqua un nom parmi les noms. La personne idéale. Placardée devant ses yeux, son identité se présenta comme une évidence : elle ne connaissait Matthieu que depuis une poignée de mois, autant qu'Antoine, mais avait déjà tissé avec lui des liens d'une force qu'elle évaluait suffisante pour étiqueter ce dernier comme un ami proche, plus qu'une connaissance. Sans mentionner une totale compréhension mutuelle, la simplicité de leurs fréquents échanges laissait entendre à Gabrielle qu'elle disposait d'une place confortable dans la vie du jeune homme. Par cette place, elle pouvait se permettre de contourner les formules de politesse et aborder des sujets d'un registre supérieur, Antoine compris. S'il lui était arrivé, les premiers temps, de douter de l'intérêt que Matthieu était enclin à porter à ses déboires amoureux, la prévenance dont il avait jusqu'ici fait état avait eu raison de ces incertitudes. En dépit de ses allures de satyre, comme de ses pratiques que la morale universelle, ce contradictio in adjecto, évaluerait méprisables, celui-ci lui apparaissait réfléchi et impliqué, dépourvu d'égocentrisme. En clair : une personne on ne peut plus fiable, attribut que Gabrielle découvrait avec ébahissement, tant le personnage différait de ce qu'elle s'était figurée de prime abord.

Au reste, il n'était pas à craindre la subsistance d'un parti pris chez ce garçon capable d'une neutralité admirable lorsque lui était donnée l'occasion de s'exprimer sur un sujet. Et ce que ledit sujet dût concerner sa famille ou ses amis de longue date. Critiquer Antoine s'érigeait, à ce titre, en un exercice de style auquel Matthieu ne manquait jamais s'adonner, au point que les calottes parfois tombaient, sans grand mal. Les rixes amicales représentaient la pierre angulaire de la relation adolescente masculine, pour la parfaite incompréhension de Gabrielle. Le risque de voir ce nouveau confident se refuser à l'impartialité et prendre sans recul la défense de son vieil ami demeurait peu probable.

Cela étant dit, il ne s'agissait pas non plus pour Gabrielle de se faire plaindre, mais au contraire de glaner tout espèce de conseil quant à l'attitude à privilégier face aux débordements d'Antoine. De comprendre, pour mieux dire, ce qui motivait les soupçons et répressions de ce dernier, en vue de les annihiler au plus tôt. Huit années de franche camaraderie avaient sans nul doute octroyé à Matthieu une nette et objective vision de la personnalité de son ami. User de ces connaissances et travailler à la consolidation d'un couple en péril ne revêtait donc pas les atours d'une trahison, davantage ceux d'une entraide silencieuse dont Antoine ne pourrait que l'en remercier.

Elle retint son doigt suspendu au-dessus du clavier. Si opportune que lui paraissait cette démarche, l'initiative d'embarquer Matthieu à bord d'un chaos auquel elle avait donné vie de manière délibérée convoqua en sa poitrine les prodromes du remords. Ceux-ci ne résistèrent pas longtemps à la résurrection concomitante de l'angoisse. Elle le voulait, en avait besoin.

Le doigt tomba comme un sort funeste sur le crâne aplati de la touche S.

29 janvier 1996

18:05

De : Orphéeauxenfers

À : BlacknumberOne

Salut.

*

Rrrrrr… Rrrrrr… Rafraîchir. Rafraîchir. Rafraîchir. Zéro. Rafraîchir. Parenthèse – Zéro – Parenthèse. Toujours vide.

Une autre page numérique, celle d'un site internet aux couleurs criardes ouvert par hasard et par dépit. Sur la page : une succession de mots, observés, parcourus, jamais lus. Ils ne provenaient ni de la bouche ni de la main attendues, d'importance n'en contenaient donc guère. Tournait dans le vide la roue de la souris livrée aux caprices de ce doigt qui sur elle déchargeait sa frustration. Se soumettre à ce doigt, encaisser ses tracas, et toujours tourner, grignoter le silence. Rrrrr…

Malgré ses gémissements, le petit appareil s'exécuta.

L'agonie du périphérique eut raison de sa patience, et nonobstant son besoin de consulter frénétiquement sa messagerie électronique, il s’éloigna du faisceau blanc de l'ordinateur. Dans le rayon de cette lumière, s'effaçait le rouge des murs. Elle était l'unique sphère pâle sur un paysage cramoisi.

Toute une chambre, rouge du sol au plafond, d'une teinte alizarine surréaliste. Elle faisait l'effet de pénétrer un organe rectangulaire que le temps aurait rigidifié. Avalé, choyé par une chaude anatomie, bercé par sa vascularité. Lorsque Matthieu avait porté son choix sur ce coloris, tant d'oppositions s'étaient fait entendre : les uns lui prédisaient des insomnies, les autres des nuits hantées par d'affreux cauchemars ; d'autres encore soutenaient que, de par la violence de ces nuances, la voie s'ouvrirait aux accès de colère et migraines voraces. Des contradictions qu'il avait écoutées avec l'attention d'un enfant sage, pour mieux les écarter après coup sur une unique sentence : « Elle sera rouge. »

Jusqu'à présent, les couleurs de sa caverne ne l'avaient jamais dérangé ; nulle insomnie, nul cauchemar ou douleur ne dut jamais lui ronger le crâne. Mais aujourd'hui, comme il voyait ces plaques de plâtre lustrées d'un sang synthétique se resserrer sur son corps malingre, une angoisse le prit à la gorge. Ce n'était pas tant dû à l'omniprésence de la teinte que rage et passion se partagent, pas plus au ciel de janvier que la fin de journée dotait des mêmes rougeurs ardentes. La faute en revenait à ce que ce feu crépusculaire ne montrait pas et qui, à la faveur de la nuit et de l'accablement, se mouvait sur autant de pattes qu'en possèdent les plus infâmes insectes de cette Terre ou d'ailleurs. Les créatures rampantes et chuchotantes cachées dans les recoins aveugles de la chambre, dont les noms impies ne se murmurent qu'en tant que mise en garde : « jalousie », « envie », les sœurs vertes ; « haine » et « désir », ennemis flamboyants ; « dépit », et son haleine empestée de fiel.

Matthieu devait les déjouer, avant que celles-ci ne gagnent ses yeux. À une toile vierge il enchaîna ses prunelles. Le ventre tendu en sa direction, le tableau s'offrait à lui de son cadre de bois à ses fibres tressées, lesquelles frémirent et chantèrent :

« À tes coups je sacrifie ma peau d'albâtre, à ta rage je suis rendu.
Pour me perdre sous les couleurs de ton affliction, dans ma chute entraîner ceux qui t'auront corrompu. »

Il s'arma d'une main de son pinceau, de l'autre de sa palette maculée en quatre points des couleurs baveuses les plus sombres qu'il ait pu tirer de ses tubes. S'arma, prêt à extraire à sa douleur les muses les plus fertiles. Son art était délirant, désordonné et d'une hystérie fantastique, animé par une ivresse romantique déchue que ce langage pictural savait retranscrire. Du bout de son pinceau, Matthieu questionnait le sens du beau et de la difformité, en butte à une espèce de fascination tératologique. Essayait de chasser la menace que faisait peser le désespoir de ses désillusions sur son esprit, et par de grands gestes, florilège de poing lesté sur la toile et de coude jeté en arrière, attaquait les spectres habitant la pâleur du coton. Le crin imbibé d'huile pigmentée transperça les visages tordus hurlant à son nez. Leurs yeux exorbités éclaboussèrent l'espace négatif de leur humeur pourpre.

D'un blanc fantomatique, le châssis se para des plus éclatantes teintes à la croisée de l'organique et de l'inorganique, et dans ces rivières faites de songes et de colère Matthieu plongea un regard fiévreux. Les visages pernicieux, il ne les voyait plus, mais toujours entendait leur odieuse musique, mélodie discordante gargouillant au fond d'un entonnoir guttural. Une grotesque parodie du chant humain.

Son couteau à peinture. Où diable était son couteau ?! Dans une bouffée de rage inspirée, il abattit sa lame, étouffa le panorama sous une couche longue de deux doigts, aussi noire que le carbone. Puis les pointes affilées des pinceaux tranchèrent ; elles déchirèrent l'ombre de la nuit artificielle, le dotèrent d'un bestiaire promis à d'éternels tourments, un corps rogné par la pourriture après l'autre. Étrange et effroyable société que celle de ces figures aux proportions faussées surmontées d'une tête sans mâchoire sur des cous plus sinueux que la tige d'un pissenlit. De leurs bouches, ces puits ondulants qu'aucun son ne dut jamais remonter, l'on devinait les plus hautes notes de l'agonie. S'étendait sur les 130 par 97 de la toile le récit d'un Pandémonium absurde où se languissaient les corps et les âmes des monstres dont Matthieu devait se purger.

Comme le pinceau s'inclinait, la frénésie en fit de même et retomba, éteinte.

Matthieu porta le chiffon trempé de térébenthine à son visage. En respira les essences à grandes goulées et se délecta des effets que cette huile naturelle distillait dans son organisme. Respire, ça va aller, respire…

— Tu te sens mieux ?

Paupières clauses, il prit une autre inspiration chimique, puis fit glisser sous son menton le carré de tissu, serré contre sa pomme d'Adam.

— Un peu, murmura-t-il. Ces nuances de noir me soulagent.

— Tu sais que tu as du talent ? Ça n'a rien de conventionnel, bien sûr, mais ton art est honnête. Et il dégage assez de force pour impacter l'observateur, au-delà du classique « C'est beau » ou « C'est bien peint ». Déclencher des émotions, que ce soit le dégoût, la colère ou même le rejet, c'est bien ça, le propre de l'Art avec un grand A.

Sans se confronter directement à la source de la voix, il opina.

— Tu pourrais envisager une carrière artistique, non ? supposa-t-elle. Pourquoi pas une grande école d'art parisienne ?

— Paris, beurk. Puis mes parents en feraient une maladie. Quand on voit mes notes, et surtout mes capacités en science… Bref, ils considèreraient un cursus artistique comme un gâchis de mon potentiel.

— Je vois. Enfin, il serait dommage d'abandonner cette passion dans laquelle tu excelles.

L'intonation s'était abaissée, comme empreinte de retenue ainsi que d'un sous-entendu lourd de sens.

— Tu ne parles plus de peinture là, n'est-ce pas ?

— Je parle d'un tout ; de ton art, de toi, de moi, de lui ; de tout ce qui t'anime, d'une bonne ou d'une mauvaise façon.

Matthieu déglutit. Il retraça le cheminement de l'effluve boisé entre ses sinus et sa gorge.

— Tu l'aimes tant que ça ?

Un silence fit suite à sa question. Le cœur galopant, il combattit son envie malheureuse de se retourner et d'affronter ce qui, passé quelques secondes, s'exprima à nouveau derrière lui :

— Comment pourrais-je en être sûre ? Et toi, tu serais capable d'affirmer que tu le détestes à ce point ?

— C'est compliqué. Surtout que je l'ai pas toujours haï comme ça. À l'origine, j'avais pitié de lui. Même si j'étais encore très jeune, j'ai été touché par sa solitude. Julien me l'avait juste présenté comme un ami à lui, mais j'ai vite compris que les autres enfants le fuyaient, en grande partie à cause de la réputation de son frère. De sa pauvreté, aussi. À l'époque, il était le gamin sale dont la maison tordue abritait des monstres. Ça m'a fait un peu peur, mais plus de la peine.

— C'est ainsi que vous vous êtes rapprochés.

— Exact. Si, au départ, j'étais plus motivé par de la charité qu'autre chose, j'ai appris à l'apprécier, d'une certaine façon. Enfant, il était assez sympa, un peu bizarre, peut-être perturbé, mais loin d'être méchant. Comme la plupart des mômes, y compris moi, il n'était qu'un amateur de bêtises. Il l'est resté jusqu'à son entrée au lycée ; on a donc continué à faire les quatre-cents coups tous les trois, avec Ju'. Quitte à dépasser quelques limites, parfois. Mais j'ai jamais dit qu'on était des anges non plus.

— Il faudra d'ailleurs que tu m'expliques l'intérêt qu'il y a à se battre contre le monde entier. Cette habitude de… disons-le franchement : de gros beauf, ça ne te ressemble pas tellement.

Matthieu tapota son biceps maigrelet.

— C'est qu'on devient bons à ça.

— Ça ne répond pas à ma question.

— Non, bien sûr. (Du pouce, il frotta le coin de sa narine) Je pense pas qu'il y ait de raison valable, rien de très glorieux ou philosophique. On a juste besoin de montrer ce qu'on vaut. Soit on s'impose, soit on abandonne le combat et notre place dans ce monde. On a choisi de ne pas nous laisser faire. De ne pas laisser les bâtards nous écraser.

— Les bâtards, tu dis ?

— Je vise pas Antoine en particulier, même si la situation actuelle… Pour ce qui concerne ma relation avec lui, tu peux croire que je me suis toujours montré indulgent, jusqu'à présent. S'il fallait jouer des poings à ses côtés, j'étais là, s'il fallait prendre sa défense, j'étais là, s'il fallait lui prêter un toit pour la nuit quand son père était trop bourré et que rester chez lui craignait, j'étais là aussi. Il a pas eu une vie facile ; pour moi c'était un mec paumé qui avait besoin de l'aide d'un ami. Il l'est toujours, dans un sens, mais je peux plus le résumer à ça. C'est récemment que ma vision de lui a changé.

— À mon arrivée ?

Il hocha la tête.

— J'aurais dû me méfier. C'était naïf de ma part de croire qu'il aurait pas le cran de me passer devant. Antoine, c'est pas qu'un faire-valoir, plutôt un branleur qui voulait pas se fatiguer à s'embrouiller avec son pote. Pour n'importe quelle autre fille je l'aurais même admiré pour ça, et je lui aurais accordé la victoire, pour lui faire plaisir. Peut-être même…

Le coin gauche de sa lippe se coinça sous sa canine.

— Peut-être que s'il te traitait correctement, je lui…

— Pardonnerais ?

— Non.

— Donnerais des conseils ?

— Putain, non !

— Reconnaîtrais sa valeur ?

— Non plus.

— Tu épuises les réponses possibles. Qu'est-ce qu'il reste ?

— J'en sais trop rien. Peut-être… que je lui en voudrais pas. Sûrement pas à ce point en tout cas.

— Tu mens.

L'objection le fit tressaillir. Elle n'avait accusé aucun hiatus, avait surgi avec la froideur du verdict d'un magistrat, tel le réflexe d'une pensée sévère mais honnête. Matthieu aurait-il pu mentir et par là même se mentir ? En fait de mensonge, il s'agissait plutôt d'une nuance de la vérité, laquelle lui octroyait, à défaut du beau rôle, une position plus digne. En pareille hypothèse, si l'on écartait ce qu´il regardait comme des sévices, sa rancœur aurait-elle été anéantie ? Non, à peine émoussée. Mais le fait est…

— Cette manière qu'il a de se comporter avec toi, ça n'a rien de sain, et elle valide ma colère. Sa vie de merde n'excuse pas tout, et encore moins ça.

— Comment peux-tu être si certain que je ne suis pas en sécurité avec lui ?

La réponse, montante et grondante telle la houle, éclaboussa la toile devant lui :

— Parce que c'est lui ! Parce que c'est lui et qu'il est instable ! Parce que c'est un membre d'une famille de dégénérés avec lesquels personne n'est en sécurité !

Tremblements et vociférations n'affectèrent pas Gabrielle, dont la concession, litote mesurée, coula sur l'air imprégné de térébenthine :

— Les Dereuil ne sont pas les gens les plus charmants du monde.

Regrettant son coup de sang, Matthieu épongea son front de la manche de son tricot, puis ravala la bile qui lui picotait la glotte.

— Ils sont tordus, ils l'ont toujours été. C'est une putain de tare qui se transmet de génération en génération. C'est pour ça que je pense Antoine plus dangereux pour toi que tu l'imagines. Mais si tu tiens à le défendre et à ce qu'on écarte son cas, d'accord, je te suivrai. Ça change rien à mes inquiétudes ; le reste de sa famille présente autant de danger.

— Tu sembles vouloir prouver quelque chose qui te tient à cœur. Alors vas-y, je t'écoute.

— Je les ai suffisamment pratiqués pour savoir ce que je raconte. De mon point de vue, chaque membre incarne un mal spécifique à sa façon. Pour Patrick, c'est encore assez simple : il est l'archétype du prolo bête et méchant dont l'avenir a fini aux chiottes. C'est un imbécile sans compétences ni ambitions, en-dehors de celle de faire payer au monde un échec social qu'il ne doit qu'à lui. Dans son esprit détraqué, ceux qui valent aujourd'hui mieux que lui ne méritent pas leur chance, qu'ils doivent uniquement à d'honnêtes travailleurs tels que lui, qu'ils continuent pourtant à prendre de haut. En gros, c'est un quinqua frustré qui en a après la terre entière, y compris sa femme. (Ce point énoncé, il jugea opportun de dissiper tout malentendu) Enfin là, il faudrait pas s'arrêter à la vision de la pauvre femme battue. Le cas de Liliane est plus complexe. Moi aussi j'avais tendance à la voir au début comme quelqu'un de docile et pathétique, au point que sa situation m'inspirait du chagrin. Cependant…

D'un geste nerveux, il pétrit son front, planta ses doigts à la racine de ses cheveux.

— … y'a des choses qui ont fini par me faire douter de cette docilité. Je sais pas comment je pourrais te l'expliquer. Ça tient pas tellement à un discours, plutôt à une attitude. Sa manière de couver ses garçons, d'être toujours derrière eux, de les suivre partout dans la maison. Elle agissait déjà comme ça avec Antoine quand il était petit, puis tout recommence avec Nicolas. J'ai constaté à plusieurs reprises les symptômes de cette emprise.

— « Emprise », carrément.

— On peut croire que j'exagère. Pourtant je te le jure, ce qu'elle fait va au-delà de l'amour d'une mère. J'en ai une moi aussi, de mère, mais son affection ne déborde pas autant sur ma vie. Pour Liliane… Il y'a dans son comportement plus que l'amour maternel.

Il prit une longue bouffée d'oxygène, de laquelle il puisa la bravoure nécessaire à la formulation de son développement.

— Ou peut-être qu'il y'a trop d'amour dans celui-ci.

— Peut-être bien.

— Je préfère pas en débattre plus, surtout parce qu'Antoine ne m'a rien confié à ce sujet, mise à part une parenthèse sur la jalousie de sa mère. À propos, inutile de préciser qu'elle ne t'appréciera jamais.

— Ah… Ne jamais entrer dans les bonnes grâces de la mère Liliane « Complexe Œdipien » Dereuil. Rassure-toi, je m'en remettrai assez vite.

— C'est pas le pire, loin de là.

Non, le pire détenait un tout autre nom, dont l'évocation accélérait le pouls.

— Si tu dois te méfier d'un Dereuil, c'est bien de Maxime. Ce mec, t'as pas conscience d'à quel point il est dangereux. C'est pas seulement un idiot fini ou un type mesquin ; il a un truc en lui, un truc qui le rend foncièrement mauvais. C’est un vrai méchant.

— Hmm… J'ai déjà eu à me frotter à lui.

— C'est ce qui me fait flipper. Il t'a prise pour cible. Ce que Maxime éprouve vis-à-vis des autres, des hommes mais encore plus des femmes, cette haine et cette passion destructrice ne se contentent pas de causer de la souffrance (il contint tant bien que mal un frisson sur sa colonne vertébrale), elles créent aussi des adeptes.

— Tu penses à Antoine ?

— Ce con est en compétition avec lui, assez pour l'écouter et tenter de le surpasser. C'est presque un jeu : à qui sera le plus redoutable des deux. Un duel de queues, tout ça pour décrocher l'approbation de Patrick, qui se prive pas de les encourager dans leurs délires. Et tu ne sais pas… tu peux pas imaginer même la moitié de ce qu'Antoine pourrait faire pour satisfaire son putain de père.

Sur ses genoux, il replia ses doigts contre ses paumes, en deux poings serrés.

— Tu le crois capable du pire ? s'enquit Gabrielle.

— Non. (Sa poigne se renforça ; il sentit ses ongles pénétrer sa chair) Je le sais déjà.

— Dans ce cas, pourquoi ne me le dis-tu pas ? Je suis pourtant la principale concernée.

— Tu me croirais au moins ? Je passerai plutôt pour un sale enfoiré… ou un dingue.

— Ou quelqu’un d’attentionné.

— Qui t’exposerait de tout manière à un gros risque. Tu peux pas deviner, et moi non plus, comment il réagirait si je t’en parlais.

— Matt, si tu tiens à ce que je t'aime, tu dois me garantir ton aide. Tu ne me protègeras pas en taisant des détails cruciaux.

Si la bouche de Matthieu fut, pour une seconde, prise d'un élan d'honnêteté, elle échoua à mener à bien sa mission. Les mots tant attendus et redoutés ne vinrent jamais. Il délia les mains, qu'il avait douloureuses, courba le dos et se pencha en avant, le nez en direction du sol. Sa tête ballotta dans le vide.

— À quoi bon ? chuchota-t-il aux ténèbres. Tu n'es même pas là pour les entendre.

Le silence lui revint. Sans se précipiter, il bascula son corps contre le dossier de sa chaise, renversa sa tête en arrière. Son regard inversé embrassa le vide étouffant de la chambre rouge. Derrière lui, il n'y avait personne ; il était seul face à sa psychose, ses fantasmes et sa peine.

Comme une raideur commençait à lui scier les cervicales, il amorça le repli de sa nuque et retourna à la contemplation de la toile. Sous l'effet de la chaleur ambiante, les strates charbonneuses perdaient peu à peu de leur profondeur, se craquelaient à leurs bords telles les écailles d'un reptile. D'ici une heure, l'ensemble du tableau se racornirait, et des monstres dépeints ne resteraient que des corps asséchés et efflanqués, et tout serait alors à refaire.

Avec une lente précaution, il quitta son siège, saisit par les montants le chevalet auquel il infligea une rotation à 180°, le condamnant à ne fixer qu'un mur nu pour le reste de la soirée. Fin de la séance. Regagnant le centre de la pièce, une désagréable mais familière compulsion l'assaillit. Il jeta de lointaines œillades à l'écran de son ordinateur, à sa lumière aguicheuse.

Combien de temps depuis qu'il s'était éloigné de cette maudite plaque de verre ? D'après les aiguilles de sa montre, vingt-cinq minutes s'étaient écoulées. Une trêve suffisante pour renouer avec ses tourments premiers. De nouveau, son index rejoignit l'animal mécanique qui, s'il n'avait que peu regretté l'absence de son dirigeant, obtempéra dans un ronronnement. Rafraichir. Parenthèse – Un – Parenthèse. Le doigt libéra la molette. À la lecture de ce mot égaré au cœur d'une page vierge si prometteuse, son être s'abandonna à la décontraction dont l'huile essentielle de pin lui avait plus tôt ouvert les portes. À cet amas de lettres confia-t-il l'ensemble de ses tendresses et espoirs. Elle a besoin de mon aide, elle a besoin de moi. Faut-il vraiment… oui, faut-il vraiment qu'elle m'aime, au moins un peu.

*

Extrait d’une conversation électronique trouvée sur l’ordinateur personnel d’Antoine Dereuil :

29 janvier 1996

21:39

De : Iscariote

À : Legion77

Qu’est-ce que ça fait, de se savoir cocufié ?

21:45

De : Legion77

À : Iscariote

Tu veux quoi là ?

Puis tes qui ?

22:01

De : Iscariote

À : Legion77

Qu’est-ce que ça fait, Antoine, de savoir que tous lui tournent autour comme les mouches autour de la viande ?

Tu pensais pouvoir la garder pour toi tout seul ? Tu as pourtant vu la vérité : elle s’est déjà donnée aux autres. Ils viennent reprendre ce qui est à eux.

22:02

De : Legion77

À : Iscariote

Enfoiré Tu dis de la merde. Elle est à moi

22:10

De : Iscariote

À : Legion77

Elle nous revient de droit, c’est dans son sang autant que dans le nôtre.

Tu peux pas lutter : elle est à elle-même. Un peu aussi à eux, à nous. Bientôt à lui.

22:13

De : Legion77

À : Iscariote

Qui ça lui ?

(…)

[1] Protagoniste du roman de Nathaniel Hawthorne, La lettre écarlate (The Scarlet Letter) (1850).

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