Territoire

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Si l’on venait par inadvertance à longer les frontières du territoire Dereuil, on ne pouvait qu’être saisi par la pitié qu’inspirait ce royaume dépouillé. Misérable de par son jardin de terre et de cailloux, où le Soleil trainait ses rayons dans la boue. Misérable de par son château : un amoncellement de cubes de béton qu’un architecte sous-payé, trop pour s’embarquer hors du classicisme lambin des angles droits et des perpendiculaires, avait jugé de bon goût que d’écraser sous une toiture monopente. Triste et abimé, l’édifice de guingois ne tenait que par l’effet de la volonté miséricordieuse des habitations mitoyennes le béquillant. Un logement originairement détenu par la commune et sorti de terre à l’initiative d’un organisme social à but non-lucratif, dont la vétusté participait de beaucoup à la mauvaise image, à l’égal d’une maison hantée. Mais ces éléments ne concurrençaient que pour moitié celui enjoignant les passants à passer leur chemin. Le dénuement du foyer, s’il n’y avait eu que lui, eût encore encouragé à la compassion ; il s’avérait impuissant à effacer la perversité qui en imprégnait les murs.

Nonobstant l’heure avancée du samedi après-midi, propice aux activités en extérieur et aux joies amicales, d’étranges sons filtraient par l’une des fenêtres de l’étage. Les chambres des enfants étant proches, il aurait été ardu de discerner d'où s’élevaient ces bruits, si la venue en ces lieux d’un visiteur n’avait facilité les recherches.

Une venue qui n’était pas pour satisfaire l’ensemble des résidents. Exemple parfait de ce constat : le comportement de la maîtresse de maison. Matriarche à l’œil torve, madame Dereuil persistait à assortir ses salutations d’une froideur sibérienne. La courtoisie dont Gabrielle savait faire la démonstration, haute éducation oblige, n’y changeait rien. Antoine avait vu juste, aussi surprenant que c’eût paru. Quoique « Elle, c’est Gaby, ma meuf. Elle est pas trop belle ? » n’eut sûrement pas figuré l’entrée en matière la plus adroite, pas avec Liliane Dereuil.

Pour palpable qu’elle fût, la méfiance de la mère de famille ne semblait avoir déteint sur son époux qui, pour sa part, se fendait d’une affection telle qu’elle confinait à l’indécence. Loin du stéréotype de la douce ingénue, Gabrielle ne s’y laissait pas prendre, pétrie de sérieux doutes quant à la sincérité de cette sympathie exagérée. Patrick Dereuil, monstre de chairs replètes et de veines saillantes, n’avait rien du père rondouillard et débonnaire de banlieue. Si, en la présence de son hôte nubile, les excès d'amabilités illuminaient ce visage couperosé, ils n’occultaient pas les égratignures dont les phalanges de ce quinquagénaire obséquieux se voyaient couronnées. Des marques difficiles à dissocier des cicatrices et ecchymoses constellant le dos d'Antoine. Elles s'imbriquaient trop bien.

Ainsi les formules de politesse ne se prolongeaient jamais, et le jeune couple avait-il pris pour habitude de joindre au plus vite un endroit où se retrancher pour le reste de la journée.

Premier étage, disions-nous donc, troisième porte à gauche, en bout de couloir. La chambre du cadet paraissait particulièrement animée, ce jour-là, comme le seraient les autres fins de semaine qui suivraient. Traversant les murs comme s’ils n’étaient faits que de tranches de papier peint tendues, les murmures se répandaient jusqu'aux oreilles du reste des occupants. Impossible de cerner le contenu de ces interactions, si l’on se tenait en retrait. Fallait-il passer le seuil interdit.

À travers un brouillard aux relents de tabac froid et de transpiration, que la chambre emprisonnait tel un aquarium, se révélaient petit à petit les détails du décor. De détails, la pièce n’en manquait pas, malgré sa modeste superficie. Le raffinement de la sobriété n’avait pas sa place au royaume des Dereuil. Où se posait l’œil, un objet apparaissait, et de cette surcharge de biens se dégageait une inquiétante cohérence thématique. Celle-ci se manifestait, au détour d’une inspection sommaire, à travers une collection de couteaux, un drapeau rouge surmonté d’une croix bleue piquée d'étoiles blanches. Ou encore, et de façon plus subtile, par la découverte de la discographie complète d'un groupe de punk-rock britannique se réclamant de la mouvance oi ! nationaliste. Moins subtil : un pamphlet cramoisi sur une table de chevet. Une provocation ? Gabrielle en doutait, encore que cette possibilité eût comporté son lot de facétie, de la part d'un homme pour qui tout livre s'interprétait comme une provocation.

Si grand nombre d’éléments au centimètre carré encourageait à supputer que l’occupant se donnait beaucoup de mal à convaincre son auditoire, voire à se convaincre lui-même. Gabrielle en avait pris acte, sans plus creuser le sujet ; il y avait mieux à faire ici que philosopher.

Les amants profitaient de leur idylle florissante à leur manière, au centre du lit, reposant sur des draps tant raidis par les excès qu’une furieuse javellisation s’imposait. Sur un ventre creusé, aspiré dans la cage thoracique, les doigts glissèrent, ongles en avant, à la conquête des monts de Vénus et leur extrémité scindée en deux par un repli de chair aux airs d’orchidée. Ils en pénétrèrent le cœur, dans leur frénésie pincèrent les bordures d’un rose botticellien. L’assaillant pique, poinçonne et bouscule sous couvert de la rusticité du débutant. Il a pourtant le geste du vaurien, lequel se paye de gémissements féminins. Antoine n’y répondit rien, mais réfréna ses ardeurs. Le mouvement ralentit sans excuse pour se faire entendre. Inutile ; la maladresse était par avance pardonnée. S’il faisait preuve d’une assurance inconvenante, il n’en restait pas moins un novice dont la gaucherie prenait souvent les traits d’un empressement candide tout à fait charmant.

Ses erreurs, Gabrielle ne lui en tenait effectivement pas rigueur. Guider les néophytes sur le chemin de la béatitude, du leur comme du sien, était chose banale pour elle. Voire altruiste. Elle avait à cœur de couvrir de son aile ces non-initiés ; s’imaginait-elle par-là adoucir la violence que le monde de la chair et du sang leur réservait. Mission de douteuse moralité, en accord avec la philosophie cobainienne à laquelle elle souscrivait sans détour, résumable en cet axiome : « Personne ne meurt vierge, la vie nous baise tous. » Kurt l’avait scandé, Gabrielle l’avait pris au mot : Autant que ce soit jouissif !

Son indulgence n’était pas le fait du hasard ni d’un trop-plein d’empathie. Elle-même ne pouvait oublier les déconvenues de ses premiers essais. Ses hésitations, ses faux-pas, ses trop nombreuses déceptions. En d’autres temps, ceux de l’ignorance, n’avait-elle attendu grand-chose du sexe, faute d’éléments en la faveur de celui-ci. Les adultes n’en faisaient mention qu’en des termes codés, tandis que les enfants, plus loquaces, conjecturaient plus qu’ils ne certifiaient. Mais à l’aube de ses premiers saignements, elle avait perçu l’appel de la volupté, auquel elle s’était empressée de répondre. Résister aux lois de la Nature eût été lui faire outrage, en sorte que Gabrielle en était venue à tenir sa virginité pour un poids mort, urgemment dispensable. La patience n’avait jamais compté parmi ses qualités.

Les vacances estivales sur la côte cannoise avaient représenté l’occasion idéale. À l’époque âgée d’à peine douze ans, elle avait jeté son dévolu irréfléchi sur un lycéen étranger de passage en France, garçon de six ans plus vieux, quelque peu retardé et sans le moindre charme ni succès. La stupidité dont ce dernier faisait état, si elle avait sidéré Gabrielle, lui avait convenu ; l’acte n’avait pas à se couvrir de passion, moins encore à déboucher sur une relation sérieuse. Son seul consensualisme suffisait à lui octroyer une raison d’être. L’exécution du plan avait été facile, une caricature de ce que Gabrielle s’était figuré l’attitude d’une femme fatale. Dans la fraicheur des embruns elle avait fait claquer ses boucles, battu des cils, puis sous les phares de la Lune subitement défait son corsage. Pareils à deux abricots en maturation, ses seins avaient dévoilé leurs contours naissants au partenaire. Son poitrail n’avançait pourtant pas plus de relief que la falaise rabotée qui les surplombait. Par suite de cette absurde prestation, l’étranger avait escortée sa jeune conquête jusqu’au gîte de bord de mer qu’il louait avec des amis. En fait de gîte, il s’agissait d’une demeure microscopique aux murs blanchis à la chaux et aux poutres de bois empestant le sel, que les colocataires avaient eu l’amabilité licencieuse de déserter pour la nuit. Trente minutes avaient suffi à la fillette. À peine avaient-ils tous deux gagné la chambre que le jupon avait couvert les lattes du parquet, la nudité accueillante de la néréide et sa promesse de courbes été cédées à la voracité de cet amant putatif par trop naïf pour y voir le mal, mais trop fougueux pour y résister.

Précipitée, gauche, l’expérience s’était révélée à la hauteur de la seule attente que Gabrielle en avait conçue, puisqu’enfin elle avait eu lieu. À ce jour, la fille devenue adolescente ne se souvenait que peu du plaisir ou de la douleur qui main dans la main avaient visité ses entrailles et troublé ses traits enfantins. Pas plus de ses cheveux aux senteurs iodées où s’étaient réfugiés ses petits doigts, ni de ses jambes qui dans les airs s’étaient tendues sous les baisers. Des jambes si duveteuses que d’aucuns auraient rêvé les équarrir pour s’en revêtir et redécouvrir leur douceur fœtale d’antan. Des sensations aujourd’hui blanches. Restait cependant en Gabrielle la pensée qui l’avait traversée, tandis qu’au-dessus de sa tête soufflait et suait l’anonyme : Le plus dur est passé. Les draps de coton n’avaient pas eu le temps de retomber sur son corps qu’elle s’était enfuie hors du cabanon sans un merci, abandonnant l’inconnu, seul avec ce qu’il chérirait à jamais comme le souvenir d’une nuit de plaisir dérobé au corps de cette tentatrice moitié femme et moitié petite-fille.

Dégagée de sa pesante virginité, Gabrielle avait laissé s’exprimer ce qu’elle regardait comme la forme la plus vraie et la plus haute de la liberté féminine. Cette divine émancipation changeait cependant de nature entre les bras d’Antoine.

Incapable de réprimer son attirance envers lui, et prise d’une furieuse curiosité à l’idée de pénétrer la contrée sacrée et sauvage des relations affectives, elle avait consenti au sentiment. Plus que consenti, à vrai dire. Engloutie avec une telle indolence que même l’inconscience en aurait rougi. Avait-elle finalement choisi de snober le pourquoi du comment : pourquoi lui, pourquoi maintenant, comment le feu avait pris si vite. N’avait pas jugé cela utile. Les rouages de l'existence poursuivaient leurs rotations capricieuses, sans souci de cohérence. Chaque rouage emboîté, la mécanique accélérée, de l’acte à la promesse à l’aveu réciproque d’amour. « La faute à la nouveauté. », diront certains. Dans le cas de Gabrielle, cette novation n’était pas loin de tenir de l’absurde.

Absurde, oui, pour un temps. L’étranger, dès lors que l’on y accède, perd de son étrangeté pour révéler une banalité bouleversante de par sa familiarité, comme si dans l’ombre du particulier attendait le commun, une fadeur consternante. La banalité, le commun, la fadeur… une pléthore de synonymes synthétisés, en l’espèce, à l’appétit sexuel du genre masculin. Antoine pouvait se résumer à cela. À qui reprocher cette déconvenue, sinon à des attentes trop vagues mais à la fois trop élevées, imputables en tout état de cause à une surconsommation de fictions érotiques ? Attentes dont l’issue, n’importe quelle issue, aurait été marquée par le désenchantement. Pointer du doigt l’industrie de la pornographie, mais aussi une éducation parentale défaillante, par souci d’honnêteté. Tout cela n’eut rien d’étonnant ni d’exceptionnel, rétrospectivement. Presqu’un truisme, lequel devait toujours décocher à Gabrielle une claque dont la violence lui aurait dévissé la tête. Ainsi donc, c’était à cela qu’Antoine ressemblait dans la normalité ? C’est à ça que je ressemble dans la normalité ? « Ça » : une pudeur malhonnête. Passé leur premier rapport, à l'ombre poisseuse d'un mûrier, et la tendresse des débuts, elle avait dû se rendre à l'évidence : une boîte de Pandore avait été ouverte, de celle-ci jaillissaient désormais les passions creuses d'Antoine. Comme elle l'avait deviné, ce dernier laissait libre-cours à sa faim, moins à l'impatience des sentiments.

Son manque d'expérience l'amena pourtant à nuancer son point de vue. Peut-être les choses ne faisaient que suivre leur cours, de la plus naturelle des façons. Si l'on y réfléchissait, l’incorrection d’Antoine s'accordait malgré tout avec l'attachement dont il savait parfois faire la démonstration. Parfois.

La discussion qui suivit leurs ébats, ce samedi après-midi, consolida la conviction de Gabrielle. Par-delà l'extase corporelle, elle se délectait de ces moments sans prétention, bien que les sujets de conversation d'Antoine vinssent modérer ce ressenti, ceux-ci ne déviant, ainsi que pour tout adolescent moyen, jamais de sa sexualité.

Il ne s'embarrassa pas même d'un effort d'élégance syntaxique :

— C'est meilleur avec moi, hein ?

Le voilà, le fatal orgueil. Orgueil, autre nom des hommes ; père d'Hybris, le destructeur des mondes, lequel devait causer sa future perte.

Déterrer les amants du souvenir à seule fin de profaner leur sépulture était jeu fort dangereux, duquel Antoine ne retirerait nul amusement. Quelle réponse apporter à cette revendication travestie en curiosité sinon une vérité désobligeante ? Le mensonge, s'il pouvait être salvateur, plaisait peu à Gabrielle ; elle en maîtrisait mal les usages. Devant l'apparent désir d'Antoine de voir ses hypothèses confirmées, elle opta pour une retraite de moindre subtilité et redirigea l'échange sur sa première expérience sexuelle, exposée à titre comparatif. Convaincue que la dérisoire anecdote le pacifierait, elle la lui conta sans omettre de détail, se retenant de pincer les lèvres à chaque fin phrase et de faire déborder son encre-à-lèvre noire (choix douteux, mais elle était persuadée que les teintes sombres seyaient le mieux son teint et son discours).

Antoine l'écouta s'épancher et par le menu lui retracer le tableau de cette fameuse nuit transitive. Son visage affichait une expression mi-attentive, mi-lasse.

— Mais depuis t'as progressé, t'as gagné en expérience.

— Si tu veux le présenter comme ça, marmonna-t-elle.

— Tiens, c'est vrai que t'as déjà enchaîné trois gars sur une journée ?

En avant pour le bal des questions sordides. Jusqu'où avait-il l'intention de la pousser au commérage, Gabrielle subodorait que sa curiosité perverse ne lui serait pas si douce à vivre, une fois satisfaite. Ils étaient déjà passés à deux doigts de l’esclandre, une semaine en arrière, alors qu’il l’avait pressée de lui confier sa référence beauté masculine ; ne se trouvant aucune ressemblance avec Edward aux mains d’argent, il avait pris la mouche, et le personnage en grippe.

Cette affaire en tête, elle se prêta au jeu sans grand enthousiasme.

— C'est vrai. Et fatiguant.

— Et que t'as été dans une tournante ?

— Non.

— Une orgie ?

— Hon-hon.

— Un plan à trois ?

— Peut-être bien.

— Genre avec un mec et une fille, dans le lit de ton vieux ?

— Nt. Pas dans le lit.

Il laissa échapper un éclat de rire, réaction susceptible de froisser Gabrielle, si vulnérable dans sa mise à nue ; elle passa outre l’affront.

— Qu’est-ce que ta mère peut bien penser d’toi ? lui lança-t-il, d’humeur badine.

Elle répondit par un haussement d’épaules, avant de souligner que cette femme que tous s’entendaient à désigner comme sa mère ne représentait, à ses yeux et à ceux de la loi, qu’un simulacre de matriarche. « Cindy, c’est la deuxième femme de mon père. Point barre. » Elle venait en remplacement, se prêtait à la mascarade et jouait le jeu. D’un autre côté, le titre de belle-mère s’accordait bien au personnage : Cindy, comme un hommage à son nom mutin, était belle, jeune, espiègle, bien plus qu’il n’y paraissait pour avoir si tôt décroché l’approbation de son mari, de plus de vingt ans son aîné, autant que celle de l’entourage de ce dernier, Gabrielle mise à part. De l’avis général, peu importait que ledit titre eut été usurpé plus qu’obtenu en secondes noces, arraché aux mains du père Sirinelli, veuf encore endeuillé ; Cindy se montrait si douce, si bonne pour la famille brisée, brave femme. Quel reproche l’adolescente avait-elle le culot de formuler à son encontre ? Aucun, à bien y réfléchir, sinon que Cindy n’était pas sa mère.

Ce fut peu ou prou en ces termes que Gabrielle exposa les faits. Elle compléta cet âpre verdict par les paroles les plus sinistres que sa bouche goudronnée fut en mesure de prononcer. Tout le cynisme de son âme se condensa en cette lugubre sentence : « Ma vraie mère, il y a longtemps qu’elle ne peut plus rien penser de moi. »

— Eh ben… ça rigole pas chez les aristos, diagnostiqua Antoine sur une expression faciale à la croisée de la surprise et de la déception.

Déçu, mais sa nature égrillarde eut tôt fait de revenir à la charge. Étendu en travers du lit, son corps parallèle à celui de Gabrielle, il suivit de l'index les contours tendres de sa joue. Le geste s’accompagna d’une expiration marquée, dont la raison d'être s’identifiait sans mal. Trente minutes avaient passé depuis leur dernier batifolage ; ses accus rechargés, il entendait remettre ça et par le badinage masquer ses intentions, en pure perte.

— Qu’est-ce que t’es blanche, c’est dingue. J’adore ça, hein, mais ça me tue quand on voit comment ton père il est bronzé. Enfin c’est normal, à force de bosser dans les vignes.

— Tu rigoles ? C’est le patron, ses journées il les passe dans un bureau de la taille de ta baraque à gueuler ses ordres sur ses larbins. Il n’a jamais mis un pied dans les champs. C’est bon pour les pauvres.

— Alors c’est que ta mère devait être super pâle pour que t’aies une peau pareille.

Sur ladite peau, le toucher se fit plus léger. Seul un souffle caressait à présent Gabrielle, et l’amertume devint mélancolie.

— Elle l’était, surtout à la fin.

— Elle est morte de quoi d’ailleurs ?

Question innocente ou irréfléchie censée s’inscrire dans un baratin ante-coïtal qui ne prêtait pas à d’autres conséquences que le rapprochement physique, mais acheva pourtant d’enfoncer Gabrielle dans sa sinistrose. De l’immerger, l’y plonger, l’y noyer.

De quoi madame Sirinelli première avait-elle bien pu succomber ? Même son unique enfant n’avait pris le soin d’y réfléchir, l’envie manquante.

— Je ne l’ai jamais vraiment su.

— Mais c’était pas d’un accident. Plutôt de maladie, cancer ou un truc du style ?

Si tel avait été le cas, son entourage aurait consenti à le révéler à Gabrielle, peut-être sur le tard, mais un jour tout de même. Les années 80 étaient révolues, de même que leur mentalité rétrograde. La honte dans la pathologie s’était enrayée, brandir les lettres glaçantes du grand C ou du VIH ne se regardait plus comme un acte de bravoure irréfléchi, plus comme avant. Personne ne lui en avait jamais rien dit, avant ou après le décès. Du fait de son jeune âge lors des faits, elle ne s’était interrogée sur ce point et, le temps passant, cette énigme avait été écartée sans plus d’analyse. Pour l’enfant, Maman était morte, « partie », « plus là », rendue à un ailleurs trop abstrait pour se fatiguer à l’identifier. Et pour la jeune femme, Denise Sirinelli n’était morte de rien.

S’en tenir à la déclarer morte. Point. Nulle cause n’eût de toute manière changé ce constat.

Ça n'y changera rien, rien du tout...

... Maman...

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