Traversée
Extrait télévisuel, émission « Le 20h », mardi 1er avril 1997, TVF, rubrique « Faits divers »
Je me trouve actuellement sur les lieux, théâtre de ces horribles évènements. Comme vous pouvez le voir derrière moi, un petit nombre de voisins et amis sont venus y déposer différents présents. On y retrouve quelques fleurs, bougies ou encore mots de soutien. Les offrandes sont rares, mais l’émotion vive ici, le village en étant, vous vous en rappelez sûrement, à sa deuxième tragédie en l’espace d’un an. La police n’est intervenue que tard hier, dans la matinée, avertie par un passant qui s’était (…)
*
Trois heures du matin. Il trépignait, étendu sur son lit, le regard cloué au plafond dans les crevasses des méandres lambrissés, et le nez sous les replis d'un mouchoir mouillé de térébenthine. Les doigts tendus, resserrés, jambes dépliées puis repliées, mâchoire crispée, lâche, crispée de nouveau… Gagné par l'adrénaline ; ce flot indomptable fouettait son système nerveux que l'essence de pin peinait à contenir.
La nuit avait été courte, le sommeil chassé par les multiples scénarii prenant corps au fond de son crâne. Chaque événement devait être anticipé, nulle place accordée à l'imprévu ; un impératif qui le pénétrait de ses racines noueuses. Sa respiration s'emballait sans que rien ne semblât pouvoir la dompter, pas même les effluves chimiques. Il envoya le mouchoir faséyer près de son chevalet. D'un paquet coincé entre son matelas et une latte du sommier, fut extraite une cigarette vieille de plusieurs semaines. Son acidité sarcla une toux passagère aux poumons, par cette ardeur décrocha la victoire qui avait échappée au solvant. Grâce à elle, Matthieu disloqua momentanément sa griserie dans une pluie de cendres mortes.
La fumée s'éleva jusqu'aux lames de bois, infiltra les rainures en de nombreuses arabesques d'un gris passé, au cœur desquelles s’invitèrent les grains de poussière. Dans le brouillard tabagique, se déplacèrent les volutes, comme réordonnées tout soudain. Ligne par ligne, ces spirales ébauchèrent les traits de Gabrielle. Elles étendirent leur enveloppe insaisissable, jusqu'à ce qu'y prît forme l'entière silhouette de la jeune femme. Une apparition enchanteresse, dénuée de couleur, ou même de caractères sexuels. Immaculée, mais si douce dans sa froide majesté ; elle s'illuminait dans le rayon lunaire épanché par les scarifications du volet. L'astre nocturne dévoilait le secret d'alcôve que renfermait le cœur de Matthieu, lui donnait une matérialité. Comme si Érèbe avait entendu sa plainte, comme si Nyx y avait répondu, et que de son utérus étaient nés les Songes, le Jour, la Mort. De ses ailes déployées à ses six yeux ouverts sur cet autre univers qu'elle détenait en propre, Gabrielle incarnait le rêve et la lumière.
Éclaboussée de lueur, elle descendit sur Matthieu. Il se laissa sombrer au plus loin, avalé par les nappes goûta à chaque pétrifiante caresse et morsure givrée sur sa peau. Offrit ses orifices et sentiments à la domination d'une fantaisie. S'y livrer, mourir, dans la toute-puissance de l'étreinte glacée. Ses poumons s'emplirent, et dans la chute successive de ses organes, il s'abreuva à une délicieuse plénitude.
Les muscles se déverrouillèrent, à la pénétration licencieuse il se rendit, buste en avant.
— Je suis à toi.
Elle fondit sur lui jusqu'à en couvrir la moindre parcelle de peau laissée à nue. Le lit commença à tanguer. D'un paisible balancement il s'essaya à une gigue folle, son sommier gratta le parquet comme les sabots fendus d'un ovin. Ce fut un tonnerre métallique, les montants du meuble tressautèrent sur leurs pivots, ébranlèrent d'abord les murs qu'ils s'ingénièrent ensuite à martyriser, battirent avec une régulière cadence la peinture sanguine des cloisons de plâtre. À chaque accélération, un pan de mur toussait et de ses fragments pulvérulents saupoudrait, comme s'il eut souhaité les sanctifier, les corps qu'il pensait autrefois dominer de son large spectre rouge.
Avec ces murs, toute la maison se joignit derechef à la révolte : se soulevaient les planchers, les vitres étaient agitées de tremblements convulsifs, les volets claquaient contre les traverses des fenêtres, lesquelles menaçaient de se ruer hors de leur cage de béton. Instamment, se mirent à siffler les décibels. La pièce se gorgea de musique et le rythme d'une batterie enragée accompagna celui du lit. Confusion chaotique de tambours creux, orgie de bruits sourds et suraigus. À l'instar de la chaîne stéréo, chaque instrument électrique s'éveilla, ordinateur, lampe et plafonnier inondèrent de leurs vagues luminescentes la fusion des amants retrouvés.
Épicentre de cette bacchanale oublieuse de ses propres turbulences, Gabrielle et Matthieu se confondirent dans une absolue bizarrerie. Elle, brume mélancolique, se mêla aux os de son mortel adoré, la chair fondue en une écorce translucide, les particules fantomatiques épaissies dans leur pâle immatérialité. De ce mélange gélatineux, l'on pouvait surprendre un œil, un sein, une mèche de cheveux. Il s'en dégageait des souffles et murmures. Si bas, leur existence tenait du rêve. Mais si l'oreille était tendue…
Combien de voix et prières chuchotent entre les remous de cette curiosité, qui jusqu'à l'atome ou les confins de l'Univers transgresse les règles les plus élémentaires ? Il parle, il murmure, il expire. Il ne veut plus la quitter, jamais plus rester loin d'elle. Son unique désir, alors que son organisme a tout oublié de son individualisme, reste de la rejoindre, où qu'eût erré son âme malade. Les supplications s'envolent, d'une poignante tristesse : « Emporte-moi. Prends-moi avec toi, aussi loin que ton esprit dort aujourd'hui. »
Ardemment, Matthieu brûlait de découvrir cet autre monde dont elle avait été faite soit prisonnière, soit reine. Plus encore, il souhaitait s'y claquemurer avec elle, et de cet au-delà de l'Au-delà se constituer otage ou esclave. Et si la parabole distordue de l'espace-temps le lui accordait, il aurait exigé de l'ordre universel de lui frayer un chemin dans les couloirs du temps. Remonter le fil, retourner gésir auprès d'elle dans la poussière, s'arracher la peau au gravier, se la verdir sur l'herbe, rougir dans le verre. Tout laisser derrière, de son chagrin à sa mission, juste découvrir le profond sommeil extra-matriciel. La mort ne serait jamais aussi douloureuse qu'une vie à laquelle elle n'appartenait plus.
En réponse à sa requête, Gabrielle se disjoignit de son corps. Surnageant au-dessus du buste, suspendue par le battement décomposé de ses trois paires d'ailes, elle porta sur lui la douceur de ses yeux. Six orbes illuminés d'une inhumaine tendresse. Les yeux s'adressèrent à lui :
Je n'ai pas le droit de t'y garder avec moi.
Mais je peux te montrer…
Par un étrange carrousel fuligineux, la chambre se liquéfia, laissant découvrir sous sa mue un tout autre lieu où les concepts de couleur et de joie venaient mourir.
Surtout, ne sois pas effrayé.
Tout tomba.
Le noir total se fit, bien qu'au-dessus du sol continuât à se mouvoir le brouillard laineux. Dans le lointain que personne ne peut voir ni ne peut toucher, serpentait l'écho d'une plainte de quelle qu'âme tourmentée. Aucune parole ne l'accompagnait, mais son intensité semblait poursuivre le visiteur en toute place de ce monde retranché de l'autre côté d'un miroir que nul humain ne perçoit.
Matthieu embrassa du regard l'étendue obscure, n'y distingua que des chappes brumeuses et glaciales. Ses sens en alerte, il ne releva pas de quoi les solliciter ; la contrée faisait figure de zone blanche drapée d'un sombre linceul. Pas une odeur ni même un souffle d'air, mais de ce royaume inconnu, où la vie n'avait plus sa place, s'exhalait une intouchable cruauté. Cet empire aux sens renversés, il repérait le mal en lui-même, ne pouvait dès lors supporter la déambulation sous sa peau d’un corps étranger que la fatalité ne se serait encore appliquée à déchirer. Matthieu ressentit l'inimitié des maîtres invisibles le pourfendre, le sommer d'abandonner ici son incursion, et par là même tout espoir.
Si une crainte démiurgique lui enserrait la trachée, et alors que la menace du purgatoire collât à sa peau comme une enclavante chrysalide, son obstination le poussa à braver les interdits. Il chercha Gabrielle, s'attendant à repérer la brillance de son aura, puis des ténèbres la voir surgir. Son cœur se fit plus lourd. Dans l'immensité du vide, sa voix s’éteignit alors qu'il essaya de crier son nom. Le froid devint frimas ; respirer offrait aux poumons la douleur d'une centaines de lances aiguisées. Sans un sol pour le soutenir, il vagabonda un moment, toujours porté par cette plainte déchirante s'entêtant à défier l'ampleur du néant ; elle n’était que pour lui tourmenter oreilles et entrailles. Et entre ses cordes vocales, le cri que son souffle s'évertuait à libérer ne daignait se faire entendre. Il errait, horriblement seul, perdu dans l'infini de limbes maudits. Seul, sans chance de rédemption, sans repère, sans Gabrielle.
Une irrépressible envie de se répandre en pleurs le terrassa. Endolorie par le froid ambiant, sa gorge se contracta, le sel des larmes lui brûla les yeux. Seconde après seconde, éprouva-t-il l'infiltration du vide. Le Néant le colonisait. Matthieu le sentit l'empoisonner et lui soutirer ses forces, faire ralentir les battements de son cœur. Infecté par un mal impossible à enrayer. Son souffle se tarit, hors de ses lèvres cyanosées s'enfuit un dernier filet d'air. Incapable de plus déplacer sa carcasse creusée par le courroux de ces dieux invisibles, il s'immobilisa. Les bras ballants, le visage couvert de larmes, il fixa l'horizon dépouillé, dans sa fixité de pantin laissa s'évaporer un gémissement. Aux cieux sans fin se dispersa son chagrin, éventrant l'abîme pour rejoindre le cri rocailleux, et dans cette pensée accueillir l'horreur désespérée : au plus profond de l'empire de la Mort, Gabrielle ne lui répondrait pas.
Jamais… ? Mais alors, quelle était cette tremblante lueur qu'au loin il voyait découper l'étole d'obscurité ? Peut-être rien, peut-être seulement ce que d'aucuns désignaient comme l'ultime apparition révélée au mourant. Oui, peut-être l'esprit de Matthieu, dans son déclin, projetait-il l'image livide de sa fin.
Ne fût-elle qu'un leurre, à cette phosphorescence il confia sa volonté d'homme, grâce à elle se découvrit une vigueur renouvelée, modeste bien que suffisante à enclencher ses muscles et amorcer un mouvement vers l'avant. Ses rotules et hanches lui faisaient l'effet de s'empêtrer dans une mue de calcaire. Il persista, se dédia dans une ténacité hagarde à cette avancée. De significatifs progrès, malgré l'environnement qui, de ses ongles plantés dans la peau, le tirait en arrière. Au bord du trépas, il acheva sa traversée sur les genoux, les mains avalées par les disques mouvants de la brume. Il ne restait presque plus rien de lui lorsqu'il l’atteignit.
Elle était bien là, entaille horizontale affligeant les ténèbres d'une singulière cicatrice. Au-dessus de sa ligne trouble, se dressait une porte bleue. Enchâssée dans un mur sans consistance, dans un lieu sans matérialité, cette pièce s’élevait, lévitant, et de son intrigante puissance toisait l'intrus qui à ses pieds épandait sa misère.
Contre le corps rigide de la mystérieuse issue, il posa sa main. Le revêtement, loin du bois tiède qu'il en avait attendu, dégageait le froid incisif de la tourbe sibérienne. Glacée, lisse, d'une dureté implacable, la porte exhibait l'impavide sévérité d'un métal brossé dont rien n'aurait pénétré le secret. La passer pourtant. Matthieu se devait, pour son salut, de traverser cette paroi en quête d'un possible ailleurs, peut-être plus accueillant, sans doute moins délétère. Cheminant du bout des doigts à la surface plane, il rencontra la ligne saillante d'une poignée, dont le poids ne fut pas pour le surprendre, pas plus que la résistance opposée à son poignet fatigué. Il insista, usa muscles et nerfs. Ouvre-toi ! Ouvre-toi, pitié ! Fût-elle lasse de sa sournoiserie ou touchée par la détresse du visiteur, la porte obéit. De sa bouche déverrouillée sur un grincement ferreux jaillit la lumière la plus crue que des yeux humains aient rencontrée.
Rouge. D'un rouge plus sauvage que les feux dévorants de L'incendie du Siècle girondin. Plus mortel que les autodafés des deux-cents condamnés de Montségur. Plus incendiaire, enfin, que la fusion de trois soleils en plein accouplement. Il était le Rouge par-delà les rouges, plus haut sommet du cercle chromatique, apogée transcendantale de ses 681 nanomètres, à l'extrême limite du spectre visible stimulant la rétine jusqu'à l'aveuglement.
Dans cette lumière baignée de rage, s'embrasaient vision et esprit ; le regard devait s'en détacher. Et il se révélait, en périphérie, scène qui jamais n'aurait su mieux épouser la radiance insane de la furieuse couleur qui en peignait le décor, cette couleur tombée du ciel. Au-dehors, passé le froid, le vide et la noirceur, séparé de la glaçante fatalité dont le brouillard devait chaque seconde rappeler la menace immatérielle ; au-dehors, c'était l'Apocalypse galopante.
Des cieux sanglants pleuvaient les boules de feu, énormes météorites coiffées de flammes d'or et de vermillon, lesquelles décrivaient sur la toile céleste de parfaites diagonales, traînant dans leur sillage leurs fumeroles volcaniques. Ces météorites partaient s'écraser au sol sans jamais altérer leur croûte sphérique, et creusaient à-même les vallées arides des puits autour desquels se vidaient puis s'écroulaient les falaises du Monde. Sans retenue, sans interruption, ces roches stellaires perçaient l'éther, dans un terrible fracas bombardaient la terre ainsi que tout ce qui pouvait encore y vivre et se tordre de douleur. Une terre à l'image des déserts les plus dégarnis : paysage de sable compact raviné en plaques hexagonales dans les tranchées desquelles ne poussait pas un brin d'herbe. De vert, il n'existait plus. Pas une trace de corps animal ou végétal encore imbibé d'eau ; la Nature y traînait le ventre, sa peau érodée aux gros grains d'une poussière saharienne, ne relevait sa figure de charbon que pour affronter l'imminence du déluge de flammes s'apprêtant à lui fondre les globes. Pas de vie, mais des corps vrillés au pinacle de la douleur, que pourfendait le glaive de nouveaux Dieux destructeurs et créateurs dans leur folie. Ces corps, dont le caractère humain se soupçonnait plus qu'il ne se devinait, répandaient leur substance aux nuages de soufre. À travers leurs plaintes, Matthieu reconnut l'essence du malheur qui lui avait poinçonné les viscères alors qu'il visitait les limbes embrumées. Ces pleurs étaient donc ceux des damnés.
Et comme il se confrontait à leur source, l'environnement devait les réduire au dernier silence : depuis le dôme invisible les plafonnant, retentirent les cuivres de sept trompettes. Elles accélérèrent les précipitations enflammées.
Pénétré de la violence déversée sur la morte lande, Matthieu rejoignit la posture soumise des persécutés. Il frotta la peau de son abdomen et de ses tibias contre le sol, ouvrant ses écailles épidermiques aux dents de la terre, et les cristaux de ses tissus pulmonaires aux particules. Inspirer, se mouvoir ou même vivre encore, sous la déliquescence impétueuse de l'univers, s'affirmaient comme un sacrilège de la part de qui eût porté le titre d'Homme. Un titre déchu. De par son statut, Matthieu ne méritait pas les honneurs d'une clémence, il se condamnait à sa seconde mort dans le torrent de feu. Personne ne le prendrait en pitié, personne ne le sauverait.
À moins qu'elle… Dans le contre-jour apocalyptique, elle se détachait du flamboyant horizon par le battement huilé d'ombres de ses ailes. L'on ne voyait plus qu'elle, surgie de quelque faille dans ce tableau pulvérisé. Quand elle tourna vers Matthieu son visage, léché par les tons ardents de l'atmosphère, son sextuple regard s'engagea dans l'être du jeune homme. Ce visage, ces regards ; ils ne comprenaient pas l'obédience d'un martyr fouetté par les caprices déifiques. C'étaient ceux de la Puissance incarnée, maîtresse suprême de ce qui était et ne serait bientôt plus, en accord avec sa volonté léonine. Gabrielle était partout, elle était tout, et sur ce tout régnait, et de sa main défiait ce tout de souffrir et mourir pour sa gloire éternelle. Dans sa monstrueuse domination, elle était juste, elle était grande. Magnifique.
Ses pupilles dévorées par la chaleur, Matthieu la contempla à travers un voile tremblant, dans sa décadence vénéra ce qui l'élevait au-dessus de lui comme du reste. Il n'envisagea pas d'obtenir d'elle un atermoiement à sa douleur, que sa gorge calcinée ne lui permettait pas de formuler. Si par la grâce de ce déclin il pouvait se faire le témoin privilégié de l'ascension de Gabrielle, il aurait offert jusqu'à la cendre de ses os à la furie des éléments.
À défaut, il lui présenta sa paume craquelée, par ce geste la salua comme l’on salue son Dieu et Maître.
Demeuré ainsi, par la terreur et la béatification pétrifié, il ne releva pas l'énervement du brouillard sorti d'entre les crevasses. Pas plus que les arabesques de vapeur initier l'escalade de ses jambes, remonter son poitrail puis s'accrocher à son visage. À nouveau, la fumée l'absorba. Au travers d'elle, revint son monde premier.
Le plafond reparut ; Matthieu pouvait retracer du regard la sente des sillons qui en ridaient l'uniformité. Il n'osait cependant se détourner de ce rappel à la réalité. Il était rentré, il était rentré. Allez, du calme. Le royaume des damnés l'avait recraché, au centre d'un présent en sursis auquel il appartenait de plein droit, mais qu'il savait à l'aube d'un basculement.
Il lui fallut un temps pour reprendre possession des lieux. Ses mains, seules parties de son corps acceptant encore de lui obéir, entreprirent l'exploration de la surface sur laquelle il reposait : la douceur liquide des draps, la souplesse du matelas, la rugosité des lattes craquelées, celle du coffrage du sommier. Chacun de ces éléments se découvrit à lui comme un obligeant refuge.
La maison. Il était rentré. Il était à la maison. Couché sur le linge trempé d'une sueur tiède, au cœur de sa chambre, à la maison.
Sa respiration s'était apaisée, le coeur ne cognait plus. Aussi sécurisante que lui parût l'immortelle chaumière, elle ne parvint à le délivrer complètement de l'effroi qui en son bas-ventre avait plongé ses fourches. La sensation héritée de cet ailleurs, telle une poussière résiduelle, s'ingéniait à lui coller à l'échine. Elle se rappelait à lui en la forme de mordillements psychosomatiques. Ébranlé par ce déchaînement de contrastes sensoriels, Matthieu recentra sa pensée sur la leçon qu'il entendait retirer de sa découverte, si épouvantable qu'elle eût pu être. Voir grand, voir beaucoup plus grand ; ne pas être effrayé. Cela arrivait, mais ce n'était pas encore la fin.
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