Sonne

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Assis en tailleur sur son lit, Matthieu attendait sans bruit le claquement des portes et cliquetis des dernières lampes que l'on éteint, comme autant de signaux à destination de l'endormissement. Somnoler, sombrer, rêver en blanc ou en noir dans une palette de couleurs sans existence propre, s'oublier puis plonger corps et conscience, ses pensées trop loin derrière lui pour plus longtemps le pourchasser.

Son père était venu, il avait ouvert les rideaux, omis de les refermer, fouillé l'armoire. Trouvé les toiles. Leur peinture humide portait sur les bords les marques d'une rangée de quatre doigts. L'alignement ne correspondait pas aux mouvements usuels de Matthieu. Ses précieux tableaux… Nonobstant leur caractère éminemment fantaisiste, dont le degré d'abstraction suffisait à les dissocier de la réalité, ils comportaient assez de puissance, une puissance proche de l'occulte, pour ressusciter la méfiance chez l'observateur attentif. Méfiance et attention, pour ainsi dire les deux nouvelles facettes du père Garmendia. Laisser trôner l'une des toiles avait constitué une erreur grossière, si grossière qu'elle frôlait la provocation. En tout état de cause, Matthieu ne pouvait faire porter le blâme qu'à sa naïveté, celle d'avoir cru que l'indiscrétion de ses parents trouverait une frontière en le parquet de sa chambre, naïveté encore d'avoir cru que son œuvre n'irait pas jusqu'à appeler la contemplation de ses sœurs. Naïveté ou simple résignation. Avait-il été trop las pour réellement s'en inquiéter.

Et voilà que la nervosité, petite bêcheuse, s'ingéniait à le tourmenter. Fallait-il qu'il eût vieilli, plus que de raison. Vieilli, au moins n'était-il pas le seul dans ce calvaire qui en affligeait tant d'autres, parmi lesquels comptait Julien, plus taciturne ou moins exubérant qu'auparavant. Leurs teintes d'antan, rose de leurs joues et bleu bambin de leurs iris, récurées ; le lot des anciens adolescents de rang déchu, pensa-t-il d'abord. Il se corrigea : si personne n'était épargné, les corollaires s'observaient à différents degrés selon les individus. Cette casuistique fonctionnait sous l'influence de plusieurs facteurs, en tête desquels il plaça d'office le malheur, celui des jeunes écorchés vifs. Celui des adultes, comme une prédiction qui rattrape son propre passé. Le malheur auquel on ne songe pas au pic de sa vitalité, car l'on ne veut pas y songer. Pourquoi se donner ce mal ? Ce serait d'un triste. On ne supporte pas d'enfouir sa tête dans la vase du chagrin, on meurt de toute cette misère.

Autrefois, comme cela lui semblait lointain à présent, Oh il aurait broyé du noir pour quantité de futilités : une note qui ne reflétait pas son niveau intellectuel, une demoiselle insensible à son charme de faussaire, la navette manquée de peu, le menu du midi en dessous de tout. Une coupure au doigt, et ç'aurait été la catastrophe. Des choses dorénavant si petites dans la lumière nue de son nouveau moi. Non qu'il ne se serait préoccupé d'une complication telle que celle actuellement expérimentée, il ne l'aurait tout simplement pas envisagée. Pas plus qu'il ne l'avait fait de la mort de Gabrielle. Pour le Matthieu de dix-sept ans, le jeune ne meurt pas le premier, le gentil ne tue pas, et quand bien même, le gentil ne se fait pas prendre ni sanctionner.
Il allait sur ses dix-neuf ans, et tout était pire maintenant.

Vieilli. Il massa sa nuque, puis ses paupières, essaya d'envisager la dimension de l'immixtion de son père, ainsi que ses retombées. Anticiper de la sorte la portée d'une telle découverte eût pu paraître excessif, mais la tension infligée à ses nerfs par l'instabilité de la configuration factuelle présente l'encouragea à persister dans sa démarche masochiste. Il me soupçonnait déjà avant ça… il va tout de même pas me dénoncer, si ? Tu crois qu'il irait jusqu'à partager ses inquiétudes avec la police ? Ou avec maman ? Ça fait deux jours, et il n'a pas l'air effrayé ni même en colère, peut-être juste un peu nerveux, comme d'habitude.

Vous êtes pareils : tous deux d'un naturel inquiet et prudent.

Qualificatif bien ironique eu égard aux négligences dont il s'était rendu coupable. Mais les circonstances étant ce qu'elles étaient, dans tout leur hasard et leur versatilité, Matthieu jugea préférable de ne point s'y attarder plus.

Ce qui implique qu'il n'agirait pas sans réfléchir, surtout s'il sait que son geste pourrait me causer beaucoup de torts. S'il est sûr de rien, il prendra pas le risque d'en parler aux autorités. Et puisqu'il n'est pas venu en discuter…

C'est qu'il ne souhaite pas en être sûr.

Mouais… Dans ce cas, autant garder le silence, ça vaudra mieux pour nous deux.

Comment aurais-tu abordé le sujet, de toute façon ?

Il ne répondit pas. Ses yeux s'égarèrent dans le vide environnant. Bouche et pensées closes, il resta à fixer un mur aussi raide et silencieux que lui. Ce trouble dont il ne parvenait à se défaire en vint à perturber la sérénité de Gabrielle :

Te sens-tu vraiment prêt pour le deuxième acte ?

Encore un acte, encore une mission. Lui fallait-il se rebaptiser Sisyphe ? Non, son labeur ne comprenait rien de stérile. Malgré tout… Il en avait déjà tant accompli, de quoi se prétendre demi-Dieu aux yeux de certains, se confirmer démon aux autres. Par la destruction volontaire de son humanité, son corps disposait des meilleures raisons de prétendre au repos. Matthieu ne s'était contenté d'éradiquer les alliés du Malin, il avait pourvu à l'éveil d'une seconde ère. Grâce à lui, Notre Dame d'Islemortes avait-elle brûlé sous le feu d'une aube inédite, bâtie sur les ruines du passé. Entre les venelles, il avait ressuscité les brumes d'une peur asphyxiante que la localité n'avait connue depuis le printemps 86.

Il aurait pu être avancé, de prime abord, le caractère éphémère de son action, car, passé quelques semaines, cette crainte semblait avoir relâché sa prise sur les Islemortois. Antoine avait été incarcéré, sous peu crèverait (si ce n'était déjà fait) de peur, de honte ou par suite d'une mauvaise rencontre avec la mauvaise personne, et la vie refleurissait aujourd'hui à Notre Dame. Plus vivante et grouillante que jamais. Aux côtés des habitants, les médias nationaux avaient investi les rues, les journalistes pullulaient sur les parvis et pavés. Tous couvraient leurs visages sous les yeux globuleux de leurs caméras, brandissaient et agitaient leurs perches devant les villageois, comme des antennes destinées à les sonder. Des fourmis, par colonies entières, marées noires montées sur des centaines, des milliers de pattes. Elles avaient faim, plus que peur.

Cela ne durerait pas. Matthieu constatait le retour des habitants. Il voyait les fourmis, à qui il procurerait plus de sucre à émietter, plus de loupes géantes et de soleil à redouter. Cette renaissance à laquelle Notre Dame goûtait, ce besoin de tromper l'effroi collectif, n'eussent pas tenu plus d'un mois. Jusqu'à août 1997 et la disparition de la princesse de Galles, le village ne recouvrerait pas son anonymat, ni jusqu'au millénaire prochain son ataraxie rurale.

L'empressement de Gabrielle ne fut pas pour froisser Matthieu. Et contre toute attente, il se sentait effectivement prêt ; à tout le moins estimait-il ne pas avoir d'autre choix que de l'être. En dépit de cette oppression qui l'étreignait depuis plus de quarante-huit heures, et de la culpabilité inspirée par l'attitude de son père lui, il considérait avoir souillé ses bottes sur trop de vils chemins pour encore se prévaloir d'un quelconque droit de rétractation. Le sort en était jeté, les choses devraient prendre fin comme convenu, pour lui comme pour les autres.

Le jerricane patientait au garage, le ventre lourd d'essence. Les plans des locaux gravés en son crâne, de même que la localisation des zones favorisant la propagation des flammes. Dix-huit heures trente ; par un effet de vases communicants, l'aile ouest se viderait au profit de l'est, les derniers mouvements de foule se tariraient. La majeure partie des errants auront déjà regagné leur caverne, dans laquelle ils s'isoleraient pour une heure de délassement intellectuel. La tête encore empestée de chiffres, de lettres, de dates, secouée par les efforts que leur cerveau apathique avait eu à fournir, ces inconscients ne prêteraient pas attention aux pérégrinations autour du bâtiment de l'individu d'un même âge et dont le visage, malgré son amaigrissement, aurait dû convoquer en eux une flopée de souvenirs. S'ils avaient été en mesure de l'identifier, peut-être auraient-ils survécu.

La voie dégagée, Matthieu récupérerait le bidon dans les fourrés, au sol tracerait les formes cabalistiques d'un cercle chimique. Ni doute ni pitié, il imbiberait murs et plans d'herbe. Pour faire bonne mesure, offrirait leur extrême onction aux saints de pierre retranchés dans leurs alcôves en bois ancien, qui faisaient la fierté comme la fortune des directeurs. Quatre idoles, bénies au pétrole, pour quatre départs de feu. Composée d'un même bois, la charpente succomberait en peu de temps ; ses ramifications guideraient les flammèches de pièces en pièces, le long de l'ossature de l'édifice, précédées de leurs nappes de fumées toxiques. S'il était un risque majeur trop souvent négligé lors d'un incendie, c'était bien l'intoxication. Les otages paniqués, prisonniers du brasier, soutireraient à leurs muscles le réflexe de fuir les flammes. Ils précipiteraient jambes, tronc et figure à l'opposé des sources de chaleur, la respiration haletante se jetteraient sur les issues de secours. Il les aurait préalablement bloquées. Les voici acculés. À travers les larmes déclenchées par les fumerolles, ils sonderaient l'étage, dont le feu modifierait la structure. Où allaient-ils ? Où sont les portes ? les fenêtres ? « On n'y voit que dalle ! » Lentement, le dédale mortel se refermerait sur eux.

Les genoux tremblent, la vue se trouble. Respirer brûle la trachée et cette brûlure s'étend aux poumons dont les parois noircissent de seconde en seconde. Si forte que soit la toux, l'organisme échoue à se purger de son mal. L'oxygène se fait rare, la chaleur accablante ; elle tombe sur les épaules. Bien vite, le cerveau ne suit plus l'enchaînement des événements, et à la désorientation s'ajoute la morsure des céphalées. Marcher, tenir, avancer. En vain. Court-circuité, le réseau neuronal bloque la transmission du signal électrique aux jambes. Un vacillement, le sol se dérobe, puis tout bascule. La nausée, toujours le vertige. S'ensuit la fatigue. Derrière les yeux : une nuit sans étoile ; son empire ténébreux se déploie et s'étend à l'intérieur de la tête. À l'intérieur, il fait si noir.

Hors du cercle de feu, Matthieu contemplerait la déliquescence du bâtiment, sous le tonnerre des peaux crépitantes. Si les flammes versatiles choisissaient de se propager et consumer la totalité du lycée, tout ainsi que les malheureux en ses murs, si, par un triste hasard, plus d'un incrédule innocent y perdait la vie, qu'il en soit ainsi. La purification avait été initiée, rien ne l'arrêterait plus. La faim galopante, elle devait tout engloutir.

Oui, il était fin prêt.

Il faut attendre encore quelques jours, le moment idéal, ou tout ça n'aura servi à rien. Sois patiente, mon ange, ça ne devrait plus tarder.

Très bien, je te fais confiance.

En bon émissaire, il accueillit cette déclaration avec humilité, reconnaissant toutefois en son for intérieur avoir jusqu'à présent prouvé sa dévotion d’airain, de même que sa ténacité. Les fioritures du prochain acte n'avaient rien de comparable à la prestation magistrale fournie quelques semaines auparavant. Au contraire de son expédition chez les Dereuil, il n'aurait cette fois, pour l'essentiel, qu'à se contenter d'observer et d'apprécier. D'en apprécier tant. Un soir le lycée, l'église le lendemain, puis le centre du village. Peu de déplacements, un mode opératoire dupliqué pour un résultat intangible. Le feu grandirait, remonterait les rigoles de l'Infidèle, à ses confluents se scinderait entre les chaumières de Grézac, les fermes de Sautras, le camaïeu de rose des toits bordelais. Puis il alimenterait les eaux de la Garonne, celles de la Loire, du Rhône, jusqu'à la Seine ; en suivrait le tracé comme si celui-ci était fait de kérosène. Des eaux de feu, elles partiraient vomir leur maléfice dans les nappes phréatiques de chaque cité. Paris, par ses égouts et cours d'eau nauséabonds ; Paris la grande, la dédaigneuse ; Paris agoniserait dans les flammes. Après quoi…

Était-ce la sonnette qu’il venait d’entendre ?... À cette heure de la nuit, il y avait peu de chances, moins pour une sonnette que pour un bruit fantôme, déclenché par la fatigue. Passons.

Après quoi, lui resterait-il à saluer la foule, à jouir des dernières louanges, puis à se retirer pour de bon de la lumière des projecteurs. Sa maestria marquerait les mémoires : un ballet de feu dévorant jusqu'à la toile du ciel.

Mais ensuite ? Derrière l'ovation, au-delà de la salve d'applaudissements et quand enfin serait ôté le costume aposcopal, qu'en serait-il ? Le risque de se faire attraper, s'il restait négligeable de son point de vue, ne devait pas se voir écarté ni ses répercussions ignorées. La liberté ou la captivité, l'incarcération ou l'hospitalisation. L'avenir de Matthieu s'incarnait en un triptyque de destinations aléatoires. Mais que sa future demeure fût cerclée de barreaux, de capitons ou de murs rouges, la source réelle de ses préoccupations ne connaissait qu'une forme : quelle qu'eût pu être sa prison, il craignait de n'y retrouver que l'hostile son du néant comme seule musique, plus que son reflet cerné et amaigri dans tout miroir. Que lui restera-t-il alors pour l'animer, du tréfonds de son être endolori ?

Gabrielle sera-t-elle toujours présente, ou la fin de la mission devait également marquer celle de leur union ? Rien n’est acquis, jamais, ni dans la vie ni dans la mort.

Un épouvantable doute l'assaillit : Tu ne partiras plus, n'est-ce pas ? Tu le promets ? Anxieux, il détailla son image inconstante clignoter, comme prise de sursauts. Disparaître, apparaître, disparaître encore, s'effacer ensuite. Les détails de son visage, jusqu'à l'œil glorieux qui toujours en agrémentait le front, en devinrent insaisissables, bien qu'au cœur de cet ensemble saccadé transparussent encore les coloris de la mort, noyés sous une cascade de fils noirs de jais. Sa voix, aussi ondoyante et claire qu'une source de montagne, s'écoulait dans les nerfs auditifs du malheureux :

Et abandonner mon alter ego, mon partenaire dans le crime ?

C'est grâce à toi que je suis ici.
Je resterai avec toi, en toi, où que tu ailles et quoi que tu fasses…

— Matt ?

Un coup retentit à sa porte. Quelqu’un avait donc sonné, si tard.

*

Magazine « Psychiatrie moderne », édition du jeudi 24 juillet 1997.

Rubrique « Santé - psycho »

Amour fou : le syndrome de Clérambault

Extrait de l’entretien avec le Dr. Lucien MOUNIER, psychanalyste

(…) Serions-nous passés du malade imaginaire à l'amoureux imaginaire ?

L. M. : Voyez les choses ainsi, si cette analogie facilite votre compréhension. Elle n'est d'ailleurs pas sans pertinence, pas tout à fait. Il est effectivement question d'une fiction dans la relation projetée par le malade, qu'il convient de ranger dans la catégorie des troubles de la sexualité. Cependant, l'érotomanie doit être regardée comme une authentique pathologie, bien qu'aux yeux du grand public ses symptômes puissent parfois prêter à sourire. Il n'en est rien. Dans cette psychopathologie, plus précisément cette « psychose paranoïaque », plus d'une victime est à déplorer : l'érotomane, d'une part, désigné « malade » ; la personne objet de l'obsession, d'autre part, que l'on appellera « cible ». Ni l'un ni l'autre ne s'en tire à bon compte.

Ce n'est alors pas seulement le sujet d'un bon thriller. À ce propos, on gardera en mémoire l'image laissée par des chef-d'œuvre du cinéma, à l'instar de Liaison Fatale avec Glenn Close. Mais ce type de représentation pèche bien évidemment par son aspect romancé (plus commercial). Qu'en est-il dans la vraie vie ? Comment se manifeste la maladie ?

L. M. : Vous n'étiez pas si loin avec Liaison Fatale… Pour faire simple, le malade aura la conviction délirante d'être aimé de sa cible. « Délirante », car cette conviction va souvent s'accompagner d'éléments appuyant cette dernière, sous la seule forme de biais de confirmation anodins, mais que l'érotomane surinterprètera dans le but de s'ancrer plus profondément dans l'idée de départ. Cela va jusqu'à l'objection d'arguments, pour la plupart montés de toute pièce, à la limite de la mythomanie, censés crédibiliser cet amour face à l'entourage. Le point sur lequel fiction et réalité se rejoignent, c'est en ce que, suivant le schéma psychopathologique classique : espoir – dépit – rancune, une agressivité peut ressortir chez le malade, qui sera alors susceptible de causer du tort à sa cible ou un tiers. Ces torts pouvant même être de l'ordre de l'agression, verbale, physique ou autre.

Jusqu'au harcèlement ?

L. M. : Jusqu'au meurtre. Cela s'est malheureusement déjà observé. Surtout chez les hommes.

Impressionnant. Comment en arrive-t-on à de telles extrémités ?

L. M. : Votre question appelle deux réponses distinctes : si vous vous interrogez sur le déclencheur de la psychose vis-à-vis de la cible, celui-ci prend son origine dans une parole ou un comportement à l'initiative de la personne objet de l'amour non partagé. C'est l'histoire tragiquement classique : l'individu, le plus souvent un personnage public au statut social élevé (par exemple : un artiste), s'adresse à l'érotomane de telle manière que celui-ci interprète les mots ou les actes comme autant de preuves d'un attachement intense. Dans son esprit, la cible est elle-même à l'origine de l'histoire d'amour illusoire, qu'il faudra préserver par tous moyens. Cela étant dit, j'insiste sur le besoin de garder en tête que ce que l'on résume en une liaison à sens unique dépasse le simple désir sexuel ou la passion adolescente. Plus important encore, elle n'entretient pas un rapport si crucial que ça avec les cibles. Ces dernières auront davantage le rôle de « prétexte », de support si vous préférez, au délire du malade. L'érotomane s'y attache parce qu'il a eu, à un moment donné, l'impression que sa cible l'a autorisé à s'y attacher. Tout repose sur une interprétation ou intuition initiale, délirante là encore. Suivant le stade de développement et la sévérité de la psychose, le cerveau peut même aller jusqu'à modifier en profondeur certains souvenirs, retirer des évènements à la mémoire ou en falsifier d'autres, du moment que cela lui permet de conforter l'érotomane dans sa fiction.

Si vous souhaitez, en revanche, remonter plus loin, jusqu'aux facteurs propices au développement de la maladie, je vous préviens d'emblée que l'état actuel de la psychiatrie ne permet pas de les cerner de manière certaine. Nous disposons seulement de quelques pistes de réflexion. L'explication la plus courante est celle de carences affectives durant l'enfance, poussées au point que les malades se sentent rejetés par la société. Ce délire d'être aimé aurait dès lors pour fonction de trouver un équilibre psychique, et le manque de sécurité affective, d'estime de soi et le rejet social vont être compensés par la conviction délirante. C'est dans cette relation unilatérale que l'érotomane s'épanouit. L'illusion en devient le fruit d'une incapacité à affronter ou même comprendre une réalité jugée insupportable, le mensonge un moyen de calquer la réalité sur notre volonté.

La sociopathie serait-elle exclusive de l’érotomanie ?

L. M. : Du tout, elle serait même un paramètre aggravant, pour ce qui se rapporte aux conséquences délétères. L’idée d’absence totale d’émotions, donc d’attachement, chez le sociopathe est un raccourci biaisé assez répandu qui ne s’observe pourtant que chez un petit nombre de malades. Puisque vous l’abordez, j’ajouterai que la personnalité antisociale peut tenir un rôle important dans la mise en place du délire.

Donc, ce qui s'est récemment passé en Gironde…

L. M. : Un cas particulier, en effet, mais pas moins dangereux. Ni moins triste (…)

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