Kant est très clair : la moralité n’est pas la recherche du bonheur.

Il refuse l’eudémonisme, la philosophie selon laquelle le bonheur serait le but de la vie, la philosophie de Spinoza.

Dans un premier temps, nous verrons ses arguments envisagés dans notre univers local, avant de reposer la question dans le cadre de multivers cosmologiques.

Dans notre univers local, les arguments de Kant sont très pertinents et ont abouti à l’abandon du bonheur comme règle morale par nombre de philosophes.

Kant développe trois arguments contre l’eudémonisme.

Tout d’abord une règle morale doit, impérativement, être fondée sur la Raison, elle doit être universelle et nécessaire.

Bref , elle doit prendre la forme d’une loi, qui s’impose à nous.

Or le bonheur est strictement individuel et égoïste, je cherche mon bonheur ici et maintenant. Pire encore : si mon bonheur pouvait, comme dans l’antiquité, reposer sur l’humiliation et l’esclavage des autres cela n’aurait aucune importance.

Si la Raison veut atteindre l’universel et le nécessaire, elle ne peut pas, elle ne doit pas prendre le bonheur comme motif moral.

Mon bonheur n’a rien d’absolu et de nécessaire, or «Tout le monde doit convenir que pour avoir une valeur morale, c’est-à-dire pour fonder une obligation, il faut qu’une loi implique en elle-même une absolue nécessité. »

Ensuite le bonheur est une idée totalement vide de sens, un pur idéal de l’imagination.

Chaque homme se fera une idée différente du bonheur, de la sexualité, à l’argent, en passant par le pouvoir, la gloire et l’amour.

Le bonheur se perd dans les brumes d’une vie idéale et imaginaire.

Et personne ne peut atteindre cet idéal, car un authentique bonheur exigerait que tous, absolument tous mes désirs soient toujours intégralement satisfaits, ce qui est totalement impossible.

Enfin Kant met à mort l’argument central des philosophies du bonheur : la nature.

Pour les philosophes anciens, et cette idée persiste chez Spinoza, le bonheur vient d’un accord avec la nature, d’une vie conforme à la Nature.

Absurde, répond Kant. Si la Nature voulait nous rendre heureux, elle aurait, comme pour la sexualité, fait confiance à l’instinct et la simple poursuite de nos instincts primaires suffiraient à nous rendre heureux.

Or tous les philosophes eudémonistes, et surtout Spinoza, insistent sur l’aspect rationnel de la poursuite du bonheur, identifiant bonheur et bon usage de la raison.

Mais Kant, à juste raison, insiste sur le fait que l’intellectuel est profondément malheureux, qu’il finit par détester cette raison qui le désespère.

« Au fait, nous remarquons que plus une raison cultivée s’occupe de poursuivre la jouissance de la vie et du bonheur, plus l’homme s’éloigne du vrai contentement. Voilà pourquoi chez beaucoup, et chez ceux-là mêmes qui ont fait de l’usage de la raison la plus grande expérience, il se produit, pourvu qu’ils soient assez sincères pour l’avouer, un certain degré de misologie, c’est-à-dire de haine de la raison. En effet, après avoir fait le compte de tous les avantages qu’ils retirent, je ne dis pas de la découverte de tous les arts qui constituent le luxe ordinaire, mais même des sciences (qui finissent par leur apparaître aussi comme un luxe de l’entendement), toujours est-il qu’ils trouvent qu’en réalité ils se sont imposé plus de peine qu’ils n’ont recueilli de bonheur ; aussi, à l’égard de cette catégorie plus commune d’hommes qui se laissent conduire de plus près par le simple instinct naturel et qui n’accordent à leur raison que peu d’influence sur leur conduite, éprouvent-ils finalement plus d’envie que de dédain. »

Ironie suprême : l’intellectuel envie secrètement l’imbécile heureux !

Trois à zéro pour Kant dans notre univers local : mais quel est le résultat du match dans un multivers cosmologique ?