Chapitre 22 - 1 er décembre 2013
Je me sentais tellement seule. Je voyais encore moins Sébastien que d’habitude. Il avait pris un peu de distance depuis la perte du bébé jumeau. Il me parlait peu, répondait à côté lorsque je lui posais une question et ne voulait plus rien partager avec moi. J’avais l’impression de l’énerver même en ne faisant rien .
- J’aimerai bien aller faire une petite balade au bord du lac, Dimanche. Ils ont annoncé beau temps !
- Pff.. a-t-il soufflé en gonflant les joues, plus ennuyé que songeur. Je sais pas. On verra.
- Ça nous ferait du bien.
- On verra, je te dis.
- Séb, j’ai besoin qu’on passe un peu de temps ensemble. Pour parler du bébé, celui qui est encore là, qu’on va avoir. Pour penser à lui, se projeter… Il a besoin de nous, maintenant. Et j’aimerai qu’on profite du temps qu’il nous reste seulement tous les deux. Après ce sera différent. On pourra plus faire de galipettes quand on veut, ai-je dit en gloussant, histoire de le dérider.
- Très classe, Norah. On vient de perdre notre bébé et toi tu penses à baiser...
- C’était pour plaisanter !
Il ne m’avait jamais parlé comme ça. Ça faisait plusieurs semaines qu’il ne m’avait pas prise dans les bras ou ne serait-ce que regardée, et je pense être légitime en en ayant besoin. Je ne parle même pas de faire l’amour. J’essayais de garder la face et de ne pas paraître vexée afin de ne pas envenimer la conversation.
- Le gynéco a dit que j’avais fait une fausse couche précoce, comme ça arrive souvent. C’est-à-dire que j’ai perdu le bébé bien avant que je ne m’en rende compte, dans notre cas. C’était encore un embryon, et non viable a priori. Et sinon, oui, j’ai besoin qu’on se retrouve… qu’on parle, qu’on rigole ensemble, qu’on fasse des choses qui nous font du bien pour faire le deuil de ce bébé, et de notre ancienne vie parce que ça va beaucoup changer, bientôt !
- En fait, t’es soulagée qu’on n’attende plus des jumeaux ? On aura moins de travail, c’est quand même vachement pratique.
- …
J’étais atterrée par son agressivité, et par l’injustice de ses propos. C’est vrai que j’ai été un peu choquée qu’on apprenne l’existence de deux embryons lors de l’échographie de datation qui devait nous permettre de savoir depuis quand j’étais enceinte, afin de calculer la date prévue d’accouchement. Mais ensuite, j’étais très excitée ! Je voulais un bébé. J’avais juste peur de ne pas savoir m’en sortir avec deux d’un coup. C’était un choc ! Des jumeaux, c’est pas rien.
- T’es sérieux, là ? Tu crois vraiment que ça me fait plaisir ? Je l’ai fait exprès, aussi, peut-être ?
- Je te dis tout le temps de te reposer, et toi tu vas marcher presque tous les jours. Tu t’es même pas fait arrêter par ton médecin, encore… alors que tu fais que courir à ton travail. Et tous ces kilomètres en voiture, c’est pas bon. T’es inconsciente.
Il était tout rouge et tremblait du visage tellement il serrait la mâchoire.
- Ah, c’est ma faute, maintenant ! Je disais ça par provocation mais toi tu le pensais vraiment...
- Je vais me coucher, j’ai plus envie de parler.
- Ah mais oui, c’est facile, ça ! Tu m’accuses de choses que je ne maîtrise pas et après tu te casses ! Normal.
- ...
Il claqua la porte de la chambre, la discussion était terminée. Des larmes lourdes et coupables roulaient sur mes joues. J’avais honte de moi et je détestais ça. En un sens, je comprenais cette réaction, mais je refusais de porter le chapeau pour quelque chose d’aussi grave et pour lequel je suis bien impuissante, surtout. Et puis quoi, encore, le réchauffement climatique c’était moi, tant qu’on y est ? J’ai dormi dans l’autre chambre, cette nuit-là. Il n’est pas venu me demander pardon, ni même essayer de me reparler. Pas un mot sur le frigo à mon réveil. Ou un petit texto de réponse au mien, qui lui demandait si ça allait, en lui souhaitant de passer une bonne journée, quand même… Rien, jusqu’au lendemain soir de la dispute, où il a bien fallu qu’il m’affronte et qu’on se remette à parler de ça :
- Pardon pour hier soir, j’ai été con.
- D’accord, je t’en veux plus, mais ça m’a beaucoup blessée que tu me rendes responsable de la fausse couche. Je porte encore notre enfant et je suis beaucoup plus sensible que d’habitude, tu sais ?
- Tu vas aller chez le médecin pour qu’il te prescrive un arrêt de travail ?
Il remet ça...
- Non, pas besoin, je me sens très bien. Et j’ai envie de continuer à travailler. J’en ai besoin, ça me fait plaisir.
Je souriais afin de rester positive.
- Ils vont très bien se passer de toi, je sais que t’as peur de leur dire que tu dois te reposer, mais franchement...
J’ai tout-à-coup perdu mon sourire.
- Non, j’ai pas besoin de repos, je te dis ! J’ai pas du tout peur, j’ai envie de continuer à aller au travail ! Et puis, je sais pas bien comment je dois le prendre, le « ils peuvent très bien se passer de toi » ?. Genre, je suis facilement remplaçable, inutile même ?
- Tu vas t’épuiser et après s’il arrive un truc au bébé ? T’es pas toute seule, No. Je suis là, moi, et tu me fais subir beaucoup de choses . Et maintenant, faut qu’on soit responsables, on doit penser au bébé d’abord.
- Le bébé va très bien !
- Qu’est-ce que tu en sais ? Regarde, le jumeau, tu l’as perdu et tu t’en es même pas rendu compte !
- ...
Voilà que ça recommençait. J’étais sans voix… J’avais la bouche entrouverte, mais les mâchoires serrées, et les narines dilatées. Assise, ma tête était légèrement baissée et je regardais Sébastien debout devant moi avec toute la noirceur et la colère dont je pouvais faire preuve. Je ressentais presque du dégoût, en cet instant. Je me levais et décidais de sortir de la maison. L’air y devenait irrespirable.
- Où tu vas ? La nuit tombe !
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?
Je marchais très rapidement, claquais la porte derrière moi, et continuais d’avancer d’un pas décidé vers le bosquet.
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