Chapitre 27 - 1 er décembre 2013
C’était trop pour moi, cette situation. Je subissais tout sans rien pouvoir faire et en plus, il fallait que je plaigne Norah, qui ne semblait même pas coupable pour ce qui était arrivé. Quand elle prenait son air de chien battu, ça m’insupportai au plus haut point.
Elle avait l’air de mener sa vie normalement, en fait. Je ne comprenais pas, et je n’avais même pas envie de lui demander ce qui lui passait par la tête, tellement j’avais peur de la réponse. Lorsqu’elle est enfin revenue de son escapade nocturne, elle avait encore ce regard vide. Vous savez, le fameux regard qu’on ne peut capter, comme si la personne était dans un autre monde, et ne voulait surtout pas vous inviter à y entrer, tout en vous narguant de ne pas mériter ce pouvoir ? Il n’était pas vraiment vide, d’ailleurs. Il s’était comme évadé du monde réel. Norah était physiquement présente avec moi, mais distraite, en proie à une rêverie qu’elle ne semblait pas vouloir partager avec moi.
***
2 décembre 2013
Je ne savais pas vraiment où j’allais. J’errais dans les rues de la ville, en sortant du travail. J’avais débauché plus tôt que d’habitude. Enfin, mes collègues m’ont renvoyé chez moi, me pensant souffrant depuis plusieurs jours.
Je n’avais rien, en vrai. J’étais juste dépassé par ce qu’on me faisait subir. Plus rien n’avait de sens. Je n’avais rien envie de faire, et surtout, je ne savais pas à quoi cela servirait. Tout à coup, j’ai senti un obstacle assez violent, qui m’a fait m’arrêter net en tintant.
- Oh, pardon !
- Mince, c’est moi ! Je rêvais en regardant mes pieds. Je n’ai pas fait attention, pardon ! ai-je répondu en ayant un hoquet de surprise.
J’ai failli faire tomber tout ce que cette passante portait dans ses bras…
- Tout va bien ? Votre matériel n’est pas cassé ?
- Non, ça va, a-t’elle dit en vérifiant l’intérieur de son carton.
Elle a plissé les yeux :
- Vous habitez près d’ici depuis peu, non ? Je crois que nous sommes voisins.
Elle a légèrement rougi en ayant un sourire figé, un sourire qui lui donnait l’air un peu con, je trouvais.
- Ah, mais oui, je vous remets, maintenant ! Sébastien, ai-je fait en plaçant la paume de ma main sur mon thorax, je me suis installé avec ma femme Norah il y a quelques semaines.
- Shannah, a-t’elle répondu, toujours avec le même sourire gêné.
- C’est drôle qu’on se soit rencontrés !
- C’est petit, ici, vous savez…
J’ai rigolé. Petit à ce point ? Quelle était la probabilité pour que je la rencontre de manière inopinée ? J’ai compris plus tard que ces choses-là arrivaient très souvent, ici.
- Je peux vous inviter à boire un café, ou un thé, pour me faire pardonner ma maladresse ? Ai-je repris.
- Ce serait avec plaisir, mais j’ai un peu de travail, pour le moment. Mais, passez me voir à l’atelier, je vous montrerez ce que je fais. Dans une heure, par exemple...
- Avec plaisir !
Et j’étais réellement content qu’elle me montre son exploitation, mais une graine amère avait germé dans ma gorge et noircissait tout le tableau. J’avais l’impression de me forcer à vivre, de faire semblant de m’intéresser aux choses pour avancer coûte que coûte.
- Apiculture ? ai-je demandé en désignant son carton de l’index.
Il fallait que je fasse taire cette vilaine partie de moi, sinon je n’allais pas m’en sortir.
- Oui ! A-t’elle répondu avec un grand sourire joyeux. Vous connaissez un peu ?
- Je n’ai pas de mérite, j’ai aperçu les ruches, et je me suis doutée qu’elles étaient à vous… Ça m’intéresse, mais je n’y connais pas grand-chose. J’adore juste le miel, en fait!
Elle a ri d’un air malicieux :
- Moi aussi ! Je vous attends dans une petite heure, alors ?
- Oui, d’accord, à tout à l’heure !
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