Chapitre 30 - 13 décembre 2013

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Justine m’avait appelée la veille pour avoir des nouvelles. Elle a tout-de-suite senti à ma voix que ça n’allait pas fort. Et comme je n’arrivais pas vraiment à livrer ce que j’avais sur le cœur, on a décidé de se voir et d’aller manger un bout, histoire de décompresser.

- J’ai réservé dans le restau où on est allées la dernière fois que tu es venue ici avant ton déménagement. Celui dans lequel les huîtres sont délicieuses, tu sais ?

- Super ! Elle a marqué une pause, songeuse.

- Tu peux en manger ? A-t-elle demandé sur un ton doux.

- Merci, t’es un ange. Oui, elles sont hyper fraîches, donc pas de soucis. Et c’est exceptionnel, ai-je répondu d’une voix éteinte.

- Ça va pas fort, le moral, toi ?

- Moyen, en effet...

- Tu n’arrives pas à surmonter la fausse couche ? - Si, ça, ça va mieux. Mais Séb, non. Et il me le fait payer…

Elle a avancé sa tête d’un coup sec vers l’avant en tournant son regard vers moi en même temps.

- Ah oui ? Genre ?

- Il me parle comme à une irresponsable. Il a même carrément émis l’idée que j’ai fais exprès de faire des efforts pour perdre le bébé et qu’on n’en ai plus qu’un seul à élever...

- Quoi ? Non, c’est pas possible !

- Il devient complètement parano, il raconte n’importe quoi, c’est fou, lui ai-je lancé en secouant la tête et en ouvrant grand les yeux.

- Mince ! Il devrait peut-être se faire aider, non ?

J’ai ri d’un air sarcastique.

- Déjà qu’en faisant rien, il m’agresse, alors compte pas sur moi pour lui suggérer ça. Les psys et lui, ça fait deux, en plus.

- Mmm … je comprends. Il faudrait trouver un moyen de l’aider à s’apaiser, en vous rapprochant, dans le même temps…

Elle disait ça en se parlant plus à elle-même qu’à moi. Elle a soupiré en plissant les yeux.

- Oui, mais, comment ? Ai-je demandé, désespérément.

Elle a réfléchi un moment. Pendant ce temps, on arrivait à destination. Elle a fait un créneau à la perfection juste devant le restaurant bondé, ce que je n’aurais jamais osé faire. Je détestais la foule, le bruit, et je ne m’en étais rendue compte que depuis que j’habitais ici. Ma vie à Paris me paraissait normale, acquise… je ne l’aurais peut-être jamais remise en question si je n’étais pas tombée enceinte, et cette idée me paraissait saugrenue, maintenant. Malgré ça, je me sentais en sécurité avec Justine à mes côtés. Elle et moi, on se connaissait depuis tellement longtemps, elle était comme ma sœur. Le serveur s’est approché de nous en slalomant entre les clients et ses collègues :

- Mesdames.. ?

- On a réservé au nom de Burgué !

- Oui, suivez-moi, je vous prie.

Justine me précédait en restant toujours très près de moi, comme un bouclier protecteur. Le serveur a avancé ma chaise pour m’aider à m’asseoir. Je le remerciais pour sa galanterie avec un léger sourire.

- Aaaah, a fortement soupiré de soulagement Justine en s’asseyant à son tour, alors qu’on venait à peine de sortir de sa voiture.

Le serveur nous a amené les menus.

- Désirez-vous prendre un apéritif ? Nous avons un cocktail de jus de fruits sans alcool...

- Non, merci ; un jus de pomme, pour moi, s’il vous plaît, lui ai-je répondu.

- Et vous, Madame ? a-t-il dit en se tournant vers Justine.

Devant son hésitation évidente, il s’est permis de lui suggérer le cocktail du jour.

- Pas d’alcool, merci. Je vais prendre un jus de tomate.

- Très bien, je vous apporte ça.

- Tu peux boire, ça me dérange pas, tu sais, ai-je dit les yeux rivés sur le menu, alors que le serveur s’éloignait.

- Non, je suis solidaire, a-t’elle répondu d’une grosse voix en fronçant les sourcils, levant les poings comme un boxeur.

Je levais les yeux vers elle, et ai eu un rire timide. Elle essayait de m’amuser. C’était mignon, mais ça ne fonctionnait pas des masses.

- Et puis, boire toute seule, c’est pas drôle, lâcha-t-elle enfin.

- C’est ça, la vraie raison, en fait ? ai-je dit en rigolant plus franchement cette fois-ci.

- Je suis démasquée !

                    ***

- Ma voisine a fait de l’haptonomie pendant sa grossesse. À l’entendre c’est extraordinaire ! m’a-t’elle dit en s’essuyant la bouche, alors qu’on dégustait nos entrées.

- Ah oui ? Ça consiste en quoi, je connais pas ?

- J’ai compris que c’était une technique de préparation à l’accouchement qui permet d’établir un lien pour le couple parental avec le bébé en posant ses mains sur le ventre d’une certaine manière. Ce doit être beaucoup plus élaboré que ça... a-t-elle ajouté en levant les yeux aux ciel et en dodelinant de la tête.

Justine a pris son téléphone, a fait défiler ses doigts sur l’écran puis me l’a tendu pour me montrer le résultat de ses recherches. L’idée, bien que plaisante, n’a pas retenue mon attention. Elle avait pourtant toutes les qualités requises pour ça, mais je la trouvais trop élitiste. La liste des conditions pour que cela soit possible me paraissait bien longue. Il fallait, par exemple, que le couple parental soit présent dans son entièreté. La mère ne pouvait opérer seule. Dans mon cas, cela aurait pu justement appuyer mon choix vers cette technique mais je pensais à toutes les mères célibataires qui ne pouvaient pas y accéder et cela m’a paru injuste. Cependant, je n’avais pas dit mon dernier mot. Justine avait raison, je devais trouver quelque chose qui permettrait à Sébastien de s’exprimer de manière plus pacifique sur la douleur qu’il surmontait, tout en nous rapprochant.

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