Chapitre 40 - 8 janvier 2014
- Elle s’appelle Shannah, au fait.
J’ai poussé un petit cri très aigu, comme si j’avais aperçu une souris qui se ruait dans ma direction ! Jean-Pierre m’a fait sursauter au passage et cogner légèrement mon gros ventre contre le rebord de l’évier. Il m’avait de toute évidence surprise en pleine intense observation de ma voisine à travers la fenêtre de ma cuisine. Il me regardait avec un sourire espiègle. Il s’était permis d’entrer - beaucoup trop discrètement à mon goût – et se trouvait sur le palier afin de me prévenir qu’il allait épandre, et que cela allait faire du bruit, et sentir mauvais. Que les gens sont curieux, ici… Chez moi, enfin, là où on habitait avant, Séb et moi, personne ne se connaissait. Tout le monde se fichait bien de savoir qui on était, et ce qu’on faisait de nos journées... Mais, il avait l’air inoffensif, alors je le laissais faire. Et vu ce qu’il venait de voir, je n’ai pas fait de vagues et l’ai gentiment remercié, avec un sourire honteux et gêné. Je riais intérieurement. Je spéculais pas plus tard que la veille sur le prénom qu’elle aurait bien pu porter. J’avais pensé à Shannah ou à Irina…
J’avais l’impression de la connaître alors que je ne lui avais presque jamais parlé, de tout savoir d’elle. C’était dingue, ce qui se passait entre nous deux. Je sentais fortement le lien si particulier que nous avions, elle et moi. Elle était en ce moment devant ses ruches, à environ cent mètres de chez moi mais la vue était dégagée. Je la voyais bien. Je tournais la tête dans tous les sens pour être sûre que personne n’allait me voir, cette fois-ci, avant de reprendre, un poil plus discrètement, mon observation. Je la scrutais plus que je ne l’observais, en réalité. Elle était apicultrice, pour sûr. Elle avait l’air d’avoir dans les 30/35 ans. Elle avait de longs cheveux raides, épais et blonds, qu’elle portait attachés en une queue de cheval haute, pour toutes les fois où je l’ai vue. Ses yeux étaient bleus gris, magnifiques… Elle était plutôt grande, 1,75m je dirai. Mais, à côté de moi, tout le monde l’était! Ses gestes étaient sûrs, s’enchaînaient dans un ordre qui paraissait précis, calculé. Elle était méticuleuse et avait une assurance qui me donnait une envie irrésistible de lui parler, de la regarder et de la toucher…
***
Je terminais ma vaisselle, et me suis aperçue, en levant la tête, qu’elle avait disparu ! Je la cherchais des yeux, désespérée. Je l’ai vue plusieurs minutes après dans une mini-pelle, qu’elle faisait lentement avancer.
Je me suis sentie complètement cruche, tout-à-coup. Je ne saurais même pas allumer cet engin ! Alors le faire avancer, n’en parlons pas. Je pourrai même casser des choses ou faire du mal à quelqu’un si je m’aventurais à m’en servir pour déplacer des objets, ou creuser un trou avec.
Elle était en train de déplacer de la terre. Elle avait l’air de faire une sorte de promontoire, peut-être pour y placer les nouvelles ruches que je voyais au loin ? La voir ainsi se servir de cette machine me faisait un effet assez impressionnant. Je sentais mes joues devenir chaudes. Je devais être rouge comme une tomate alors qu’elle ne me voyait même pas, ne me parlait pas. Qu’est-ce que ça aurait été, dans ce cas ?
De toute façon, la question ne se pose pas vu qu’elle est vraiment difficile à approcher. Une des seules fois où elle l’a fait, c’est moi qui l’ai pratiquement repoussée. Je soufflais fortement par le nez en secouant la tête et levant les yeux aux ciel. Je fais vraiment n’importe quoi, des fois.
Elle avait une grâce naturelle qui lui permettait d’accomplir des gestes, en apparence dédiés à la gent masculine, mais avec force et douceur en même temps. J’avais une déesse en face de moi, pas étonnant que je ressente ça.
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