Chapitre 41
Plus tard dans l’après-midi, le voisin est repassé devant chez moi avec son tracteur, et m’a invitée à boire le thé chez lui. J’ai accepté sans détour. Il habitait dans une maison encore plus grande et vieille que celle des parents de Shannah. C’était magnifique de voir des bâtiments aussi anciens dégager tant de charme.
L’intérieur n’avait pas été rénové depuis des lustres, ce qui aurait pu paraître inconfortable, surtout pour une citadine, comme moi, mais on s’y sentait bien.
- Qu’est-ce que vous boirez ? m’a lancé Jean-Pierre, avec un grand sourire en joignant les paumes de ses deux mains pour les frotter légèrement, en un bruit mat.
- Du thé vert, c’est possible ?
- C’est parti pour un thé vert!
Cet homme avait l’air de toujours follement s’amuser. Je ne crois pas l’avoir déjà vu sans un sourire aux lèvres. Même lorsque ses lèvres ne s’étiraient pas, on devinait toujours un sourire dans ses yeux.
- Alors, comment se passe votre intégration ici ?
- Ça va, merci. Moins de confort et un climat plus capricieux, mais tellement plus de calme. Et de bonne humeur !
- C’est sûr qu’à Paris, ils font tous la gueule ! Vous venez bien de Paris ? a-t’il eu besoin de vérifier en me regardant d’un air malicieux du haut de ses lunettes.
- Comment le savez-vous ?
Il s’est mis à rire comme un gamin et a repris la préparation du thé.
- Vous avez l’accent parisien.
- Je n’ai pas d’accent. Par contre, vous, vous avez un fort accent breton ! lui ai-je répondu en lui faisant un clin d’œil.
- Les gens ne s’entendent pas parler. Ils ne peuvent pas reconnaître leur accent. Et puis, après quelques mois passés ici, vous l’entendrez moins, l’accent breton, vous verrez. Vous comprendrez mieux nos expressions. Elles deviendront les vôtres !
Ce qu’il me disait m’apaisait. Il m’a tendu une tasse fumante et tout en l’écoutant parler, j’attrapais la ficelle du sachet d’infusion pour le remuer afin de libérer les arômes du thé. J’attrapais à présent le pot de miel afin d’en verser légèrement dans ma tasse, et me suis mise à lire mentalement ce qui était inscrit sur l’étiquette. Je me figeais tout-à-coup. C’était du miel artisanal, directement produit et vendu par l’apiculteur. L’apicultrice, en l’occurrence. Mon apicultrice.
- Il est très bon, vous verrez.
- J’en doute pas, ai-je répondu d’un air gêné.
Il savait tout, tout ce que je pensais, ressentais, vivais...
- Vous habitez ici depuis toujours ? Ai-je tenté, pour noyer le poisson.
- Oui ! m’a-t’il dit d’un air qui voulait dire « bien-sûr ».
Je ne savais plus où me mettre. Il fallait que je trouve de quoi alimenter la conversation, quelque chose d’intéressant. Mais je ne trouvais pas quoi. Je levais les yeux un instant et ai aperçu ma porte de sortie sur la commode. Parler de la personne elle-même, et lui faire remonter des souvenirs, c’est exactement ce qu’il me fallait. Ça marchait à tous les coups, paraît-il, pour éloigner quelqu’un d’un soupçon, pour l’empêcher de penser à vous, et à ce qui vous trotte dans la tête. J’avais appris ça en formation sur la communication. Je n’y avais jamais vraiment cru, à vrai dire, mais c’était le moment de vérifier si cela avait la moindre chance de fonctionner.
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