Chapitre 42

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- C’est votre femme, là ?

- Oui… On a été mariés 45 ans, vous savez ?

- 45 ans ? C’est magnifique !

- Elle est décédée il y a quelques années...

- Oh, non...

Je ressentais une grande tristesse à l’annonce de cette nouvelle.

- C’est elle, là, 1 an avant son décès, m’a-t’il dit en me tendant une photo. Et là, c’était le jour de notre mariage, a-t’il pointé de l’index une autre photo posée sur la commode.

Je me suis levée afin de l’admirer.

- Ouah ! Vous étiez très beaux !

- On était jeunes, surtout !

Je soupirais lentement.

- De quoi est-elle morte ?

- Cancer. Ça a pas mis longtemps, 6 mois à peine, m’a répondu Jean-Pierre d’un air tellement calme.

- Oh, c’est horrible !

- Même si ça a été très dur lorsqu’elle m’a quitté, j’ai à nouveau rencontré l’amour. Et ça n’aurait pas été possible sans le décès de ma femme.

Je le regardais intensément en souriant, pour l’inciter à se confier un peu plus. Et je pressentais que le meilleur restait à venir.

- Martine, ma compagne, ça fait 20 ans que je l’aime...

Devant mon air ébahi, il a poursuivi :

- Je suis tombé amoureux d’elle dès l’instant où je l’ai rencontrée pour la première fois. Elle travaillait avec ma femme. Et je l’ai accompagnée à un repas d’entreprise, une fois. Le coup de foudre a été réciproque... Mais on n’a rien fait, je vous assure ! Pas avant qu’elle ne quitte son mari et que ma femme ne décède.

Je soufflais doucement. C’était normal qu’il me raconte sa vie avec autant de détails ? On se connaissait à peine, en plus ! Il faisait ça avec tout le monde ou j’étais privilégiée ?

- Mais, vous en aviez parlé ensemble ? Elle savait que vous l’aimiez et vous, qu’elle vous aimait ? Et vous avez décidé de ne rien faire, ensemble ?

- C’était beaucoup plus romantique, que ça, ma chère Norah, a-t’il dit d’un air faussement prétentieux, pour me faire rire.

Une année, nous nous sommes tous rendus à un énième repas d’entreprise – je n’en manquais aucun depuis ma rencontre avec elle, et elle non plus, manifestement – et nous nous sommes croisés dans le sas des toilettes qui étaient vides, à part nous. Elle était belle comme le jour. Je ne pouvais pas détacher mon regard d’elle. On s’est approché l’un de l’autre, et on s’est regardé silencieusement pendant plusieurs minutes. Puis elle a timidement osé dire :

- Je suis contente de te voir.

Je me souviens très bien m’être senti rougir. Et au bout de quelques secondes, j’ai pris mon courage à deux mains pour lui répondre :

- Moi aussi, je suis très content. Ça me manque.

Ces trois derniers mots m’avaient échappés. Je voulais le dire mais de manière plus subtile… Elle me regardait dans les yeux avec un air si mignon.

Soudainement, j’ai senti quelque chose sur ma main. J’ai baissé le regard et ai vu ses doigts caresser les miens. Je l’ai ouverte et ai pris la sienne, en la caressant à mon tour. Nos doigts se sont entremêlés quelques minutes, puis le temps s’est arrêté. Mon visage s’était déjà approché du sien et ses lèvres ont effleuré les miennes. Les doigts de ma main gauche se sont pliés et ont caressé sa joue. Elle a posé la paume de sa main libre sur ma joue également. Et j’ai senti une larme sur mes doigts. Je l’ai essuyée avec mon pouce et nous nous sommes pris dans les bras. C’est là que quelqu’un est entré et nous a surpris...

- Oh non... ai-je dit dans un souffle, en écarquillant les yeux.

- Elle a dit « oh, pardon », puis est allée se réfugier dans les toilettes des femmes, qui comportaient à nouveau une porte qui donnait sur des lavabos et quelques cabinets de toilettes individuels. C’était la supérieure hiérarchique de Martine et de ma femme. Elle nous a assuré en levant ses deux mains paumes face à nous en les agitant, comme ça, qu’elle ne dirait rien, et en effet, nous n’avons eu aucun souci ensuite. Pas de scène de ménage ou autre cancanerie.

Puis, Martine m’a dit « Je t’aime, tu sais. J’ai déjà dit à Robert que c’était fini entre nous, et je t’attendrai, si tu veux bien de moi ». Je lui ai alors demandé si elle savait que ma femme avait des ennuis de santé – ce n’étaient que les prémisses de son cancer, cela s’est calmé pour se réveiller à nouveau quelques mois plus tard -, et elle m’a répondu que oui.

Je lui ai dit que je ne pouvais pas la laisser, pas maintenant. Après toutes ces années de mariage, elle avait plus que tout besoin de moi. Elle a répondu « je comprends ». Et j’ai terminé en lui disant que moi aussi je l’aimais, depuis la première seconde.

Au final, ma femme est décédée un peu plus d’un an après cet événement. Elle avait arrêté de travailler depuis un moment. Je ne lui ai jamais dit que j’étais amoureux de Martine. J’ai beaucoup souffert de sa perte, n’allez pas croire.

- Je m’en doute, oui. Après autant d’années de vie commune...

- Et puis quelques mois plus tard, j’ai décidé de sortir de ma léthargie, et j’ai appelé Martine pour l’inviter à dîner. Au diable les conventions ! Certains pensent que je suis trop vieux pour me remarier, d’autres, que je l’ai fait trop tôt… Ce n’est pas à eux de me dicter ma conduite.

- ...

- Vous devriez en faire autant, je pense. Avec Shannah, je veux dire...

- Comment ?

J’avais l’air ébahi, et ne savais plus quoi dire. Je ne savais pour quelle raison, naïvement, je m’étais dit qu’il allait oublier, ne pas tenir compte de ce qu’il avait vu… Croire que j’étais en train de fureter, regarder la vie de mes voisins parce que je n’avais rien d’autre à faire de la journée ! Il avait tout compris, en fait. En aucun cas je n’aurais cru qu’il aurait autant de sans gêne pour me dire ce que je devais faire.

- Norah, ça crève les yeux que vous l’aimez...

Je m’étais déjà levée et commençait à paniquer. J’attrapais mes affaires et allais me rendre vers la porte.

- Attendez, où allez-vous ? Je sais que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Je ne voulais pas vous faire peur mais simplement vous faire comprendre qu’il faut donner sa chance à l’amour quand il se présente.

- Vous avez raison ! Vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas.

Et sans autre forme de cérémonie, j’ai quitté sa maison. Je n’étais même pas en colère, en vrai. J’ai prétexté l’être parce que j’étais gênée, et que je ne savais pas quoi faire d’autre tellement j’étais surprise de ce qu’il m’avait dit.

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