Chapitre 47 - 5 mai 2014
La vie avec un bébé était bien loin de tout ce que j’avais pu imaginer. On a beau nous dire comment les choses vont être, avant de les vivre personnellement, on n’en sait foutrement rien pour autant.
Anouk ne pleurait pas souvent, mais j’avais un tel élan d’amour pour elle à chaque fois que mes yeux la voyaient que je ne savais pas si cela m’apportait de l’énergie ou, au contraire, m’en prenait. Malgré la fatigue, je dormais peu. Dès que je me réveillais, mes yeux étaient irrésistiblement attirés vers elle. J’essayais de dormir pendant qu’elle dormait, comme mon entourage déjà parent et le corps médical m’a conseillé de le faire.
Pour le coup, je ne faisais rien d’autre que m’occuper d’elle, et subvenir à mes besoins de base, lorsque je le pouvais, et que j’y pensais. Et par besoins de base, j’entendais manger, certes. Mais pas manger ce que je veux, ou dans la quantité que je veux. Je mangeais les restes de ce qui avait été préparé la veille. Les restes d’Anouk, lorsque j’ai commencé à diversifier son alimentation. Pas souvent le temps ni l’énergie d’aller faire des courses, surtout avec un nourrisson qui pouvait très bien se mettre à hurler d’un moment à l’autre.
Pour le sommeil, c’était pareil. Je m’endormais bien souvent avec Anouk allongée sur mon abdomen, ce qui était tout sauf confortable. Et bien évidemment, avec plusieurs réveils nocturnes et un dernier réveil aux aurores, j’étais tout sauf reposée, le lendemain.
Pour les toilettes, j’y allais quand je pouvais et que j’y pensais. Parfois, j’y pensais, mais il pouvait se passer plusieurs dizaines de minutes avant que j’y aille finalement. Anouk était au sein, dormait dans mes bras, ou pleurait et moi, je tentais de la consoler.
Et pour finir, je me lavais mais ces moments en plus d’être éparpillés dans le temps et réalisés à des heures inopportunes, étaient bien souvent écourtés par les appels de ma progéniture.
Je baissais la tête tout-à-coup vers mon sein droit. Une auréole se formait sur mon t-shirt. Je soupirais. J’en avais assez de me changer pour une petite tâche de lait. Anouk allait avoir faim... J’étais en train de l’installer pour sa énième tétée de la journée – et il n’était que 11h – lorsque j’ai entendu frapper doucement à la porte.
- Entrez, c’est ouvert. La poignée s’est doucement baissée et dans l’entrebâillement de la porte, j’ai aperçu le visage de la seule personne capable - hormis celle que je portais dans mes bras en ce moment-même - de me faire sourire : Shannah.
- Bonjour, chuchotait-elle presque.
- Bonjour, lui ai-je répondu, sur le même ton . Entrez, ai-je continué avec un sourire doux.
- Pardon de vous déranger, je voulais vous offrir ça pour la naissance du bébé.
Elle s’avançait en me tendant un petit paquet orné d’un ruban.
- Oh, merci !
Cette attention me touchait beaucoup. Je tendais un peu ma main sans trop bouger pour ne pas réveiller Anouk qui était en train de trouver le sommeil. Elle avait le don de s’endormir au bout de quelques secondes quand je la mettais au sein. C’était vraiment craquant. Shannah s’est approchée un peu plus en se penchant vers moi.
- Asseyez-vous, l’ai-je invitée en posant le plat de ma main à côté de moi, sur le canapé.
Elle s’est approchée et a pris place à côté de moi en admirant mon bébé avec un regard si maternant. Puis, elle a levé la tête vers moi, et nos regards se sont croisés avec un sourire évident : on se comprenait parfaitement en ce moment-même.
- Comment elle s’appelle ?
- Anouk.
- Ça lui va bien. Félicitations !
Je lui ai souri chaleureusement. J’avais envie de lui poser mille et une questions…
- C’est breton, en plus.
- …
Devant mon regard incrédule, elle a insisté :
- Anouk. C’est un prénom breton.
- Ah oui ? Je savais pas.
- Je pensais que vous aviez choisi un prénom breton exprès parce que vous étiez tombés amoureux de la région. Et pour vous intégrer.
- Même pas, c’était le hasard ! Enfin, on adore cet endroit, bien-sûr ! C’est pour ça qu’on a déménagé ! Mais, voilà, on voulait l’appeler Anouk sans même connaître les origines de ce prénom.
Je lui ai souris en plissant les yeux, et lui ai retendu le paquet cadeau, en étirant ma bouche dans un geste de gêne.
- Vous pouvez l’ouvrir pour moi, s’il vous plaît ?
- Bien-sûr ! a-t-elle dit en émettant un petit souffle dévoilant sa gêne.
Je la regardais s’affairer. Ses mains tremblaient légèrement. C’était touchant. Elle se débattait avec le ruban, très coriace. Elle a soupiré puis a levé les yeux vers moi. On a ri, à moitié gênées, à moitié poussées par le plaisir de partager ce moment ridiculement agaçant ensemble. Je sentais qu’elle s’ouvrait à moi. Enfin, c’est ce qu’il me semblait…
- Oh, merci, c’est adorable ! ai-je dit quelques secondes après.
Je regardais les petits chaussons, mignons comme tout, qu’elle me montrait en tendant la boîte vers moi.
- C’est une babiole. Et je ne savais pas vraiment de quoi vous aviez besoin.
- Ça va nous servir ! Ça va lui tenir les pieds au chaud pendant les temps de portage. Merci ! C’est parfait !
Je sentais que je piquais un fard tout à coup. J’avais envie de lui faire la bise, pour la remercier, comme l’usage le préconisait. Cependant, je ne savais pas si j’en avais le droit.
- Je vais vous laisser, vous avez l’air soucieuse, a-t’elle dit, tout-à-coup.
Ça m’a sortie de mes pensées.
- Non, restez, s’il vous plaît. Vous ne me dérangez pas du tout. Je me demandais simplement comment vous remercier ?
- Comme ça, c’est très bien !
La commissure droite de ses lèvres s’était relevée, révélant à moi une petite fossette qui me faisait fondre.
- Merci encore, ai-je répété.
Tout-à-coup, j’ai repensé à ce que m’a dit Jean-Pierre. Ce n’était pas vraiment le moment, je le sais. Sauf que je ne pouvais plus penser à autre chose.
***
En vrai, je ne voulais pas d’enfants. Je n’étais pas certaine d’avoir compris pourquoi j’avais cédé à cette idée. Avant, je ne me posais même pas la question de savoir si j’en étais sûre, certaine, ou si c’était seulement pour le moment, je n’en voulais pas, point. Et puis un jour, je me suis imaginée enceinte, puis rencontrant mon bébé…
Je les ai toujours adorés, pourtant. Mais, d’en porter un, ça me fascinait et en même temps, m’angoissait terriblement. Avoir un petit truc dans le ventre qui allait modifier l’aspect de mon corps, et peut-être de manière irréversible était une idée qui me faisait totalement flipper, me mettait en colère, même.
Et je ne parle pas de l’accouchement… Que dire sinon de gérer un enfant qui aurait ses propres besoins, envies, craintes… je ne m’en suis jamais sentie capable. Les années passant n’ont rien changé. Je me suis assez souvent sentie être une mauvaise une mère. J’ai finalement cédé au désir de maternité, lequel, lorsqu’il vous prend aux tripes, devient irrésistible et incontrôlable, si vous voulez mon avis.
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