Chapitre 48 - 2 novembre 2011
- Alors, Shannah, en quoi est-ce que je peux vous aider ?
J’avais suivi les conseils de Jean-Pierre et était allée rencontrer Laure, une jeune femme qui était hypnothérapeute. Je crois.
- Je viens de me séparer de ma compagne, et je le vis très mal.
- D’accord. Depuis combien de temps étiez-vous ensemble ?
- Cinq ans…
- Et selon vous, pourquoi vous êtes-vous séparées ?
- On essayait d’avoir un bébé, mais ça marchait pas du tout.
Elle a eu un hochement de tête compatissant.
- PMA ?
- Oui.
- C’était elle qui subissait les injections, et les fécondations ?
- Oui.
Je me sentais con, tout-à-coup. Je savais plus quoi dire.
- Parle lui de tes problèmes relationnels.
- Quels problèmes ? Elle est normale, t’es dingue, toi !
J’ai repris profondément ma respiration et soufflais, un peu plus fort que ce que j’aurais voulu, laissant transparaître l’agacement.
- Qu’est-ce qui vous tourmente, Shannah ?
- Non, mais, ça a rien à voir avec la raison pour laquelle je suis venue, ai-je répondu en fermant les yeux et en balayant l’air devant moi avec ma main droite.
- Tout est lié. Ce qui vous tourmente maintenant nous mènera à la cause de votre problème, celui que vous voulez régler en ce moment.
- Ça, j’en doute.
- Je comprends votre réserve.
Je soupirais à nouveau.
- En fait, je me sens pas liée aux autres.
- D’accord.
- Et en même temps, j’ai besoin d’eux.
- Notre problème à tous, vous savez.
- Moi, je sens que c’est différent.
- D’accord. Qu’est-ce qui est différent ?
- Ma relation avec les autres. Soit je suis ultra possessive, soit j’ignore purement et simplement les autres.
- Pourquoi les ignorez-vous ?
- Parce que je n’ai rien à leur dire. Ils ne m’intéressent pas. Ils me font peur, parfois, aussi.
- Et qu’est-ce qui fait que vous vous sentez possessive ?
- Je sais pas, c’est les autres qui me le disent, ça. Enfin, mes ex, surtout.
- Donc, c’est en amour que vous rencontrez ce souci ?
- Oui.
Soudain, j’ai senti une coupure. Je perdais le fil de ce que je voulais dire.
- Tu parlais du fait que tu te sentais possessive en amour.
- Non, elle a dit que c’était ses ex qui lui faisaient ressentir ça.
- J’ai des voix dans ma tête.
- D’accord. Des voix qui vous parlent ?
- Oui.
- Qu’est-ce qu’elles vous disent ?
- Elles me parlent de moi, de ma vie, de ce que je fais.
- Et selon vous, d’où viennent-elles ?
- Si je le savais… C’est ça, être schizophrène?
- Non, pas du tout. Vous ne l’êtes pas, Shannah. Vraiment pas.
- Vous me connaissez à peine, qu’est-ce que vous en savez ?
- Vous avez raison, je vous connais très peu. Mais, je connais bien la schizophrénie, et croyez-moi, vous n’en êtes pas atteinte.
- Qu’est-ce que j’ai, alors ?
- Parlez-moi de vous. Vos parents sont-ils encore en vie ?
- Oui.
- Vous avez vécu avec les deux, ensemble ?
- Oui, ils avaient une ferme, que j’ai reprise, à ma manière. J’ai grandi là, avec mes frères et sœurs.
- D’accord. Combien en avez-vous ?
- J’ai un frère, Gery, et deux sœurs, Caroline et Nancy.
- À quelle place êtes-vous dans la fratrie ?
- Je suis la plus jeune.
Elle notait tout ce que je lui disais, levant la tête de temps en temps, et pour me poser une question.
- D’accord. Avez-vous des demi-frères et sœurs ?
- Non, pas que je sache.
- Savez-vous si votre mère a fait des fausses couches, ou si elle a perdu des enfants au cours de sa vie ?
- Non, je ne crois pas.
- Et sinon, avez-vous déjà été enceinte ?
- Non, je n’ai jamais eu de relation avec un homme. Et la seule fois où j’ai voulu avoir un bébé avec une femme… je vous ai déjà tout raconté, ai-je fini par dire en baissant la tête et en m’adossant contre le dossier du fauteuil sur lequel j’étais assise.
Je soupirais longuement.
- Merci, Shannah. Tout ça est important pour que je comprenne ce qui se passe pour vous en ce moment.
- Ah bon ? En quoi savoir si j’ai des demi-frères ou sœurs va vous aider à me faire aller mieux ? J’arriverai jamais à oublier Bérénice. Je veux être avec elle, elle me manque.
- Je le vois, oui. Votre histoire personnelle, la manière dont votre famille est formée, sont des éléments qui vont me permettre de vous aider.
- Comment ? Ai-je commencé à m’impatienter.
- Je voudrais vous proposer que l’on se voie plusieurs fois, et éventuellement de construire votre arbre généalogique, afin que vous sachiez la place que vous avez dans votre famille.
- Je ne vois pas le rapport avec mes problèmes actuels.
- Vous dites que vous êtes possessive en amour. Que sinon, vous ignorez les autres car ils ne vous intéressent pas voire vous font peur. Quelque chose dans votre histoire vous bloque dans votre relation aux autres. Lorsque vous aurez trouvé, je vous aiderai à déconstruire ça. Vous vous sentirez libérée et votre attention se portera sur d’autres choses. Vous parviendrez à vous sentir plus sereine, plus en accord avec vous-mêmes. Les choses deviendront plus simples.
- Dit comme ça, ça paraît simple, en effet.
- Parce que ça l’est. Mais… attention ! Simple ne veut pas dire facile.
- D’accord, j’ai compris.
- Je propose une technique appelée « respiration holothropique » ou « rebirth ». Elle nécessite de travailler sur la respiration, l’inspiration, pour être plus précise. Vous entrez dans un état proche de l’hypnose. Cela vous procure, petit à petit, certaines sensations proches de celles que vous avez ressenti depuis votre naissance à des moments particuliers, et même lorsque votre mère vous portait dans son ventre. Et cela amène la personne à mieux comprendre ce qu’elle a ressenti à ce moment-là, et pourquoi elle est comme elle est dans sa vie actuelle. Et souvent, cela débloque des problèmes.
- Intéressant. En quoi ça consiste ?
- Une séance dure environ une heure. Pendant quarante-cinq minutes, vous serez allongée, et vous devrez inspirer profondément, très fort et dans la poitrine, et expirer très superficiellement en interrompant le moins possible votre respiration. Je vous y accompagnerai.
- C’est tout ?
- Cela paraît facile, mais demande beaucoup de concentration. Quarante-cinq minutes, vous verrez, c’est long, lorsqu’on ne doit faire qu’une seule chose, une chose qui demandera votre attention à chaque seconde. Des émotions apparaîtront, disparaîtront, s’inviteront peut-être pour un moment plus ou moins long, s’amplifieront… Vous ne devrez faire que respirer. Et ne pas parler si vous n’en avez pas besoin. Je vous inviterai à laisser venir tout ce qui vient, à ne pas essayer de contrôler ce qui se passe dans votre corps ou dans votre esprit. À la fin de la séance de respiration, on parlera de ce que vous avez ressenti ensemble afin de mieux comprendre à quoi cela correspond. Et on recommencera ce processus à l’occasion de plusieurs autre rendez-vous, si cela vous convient.
- OK…
Elle a souri calmement, dans l’attente.
- Je vais y réfléchir.
- D’accord. Prenez votre temps. Je vous laisse revenir vers moi lorsque vous vous sentirez prête.
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