Chapitre 51 - 12 février 1974

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Je posais la main sur mon ventre pour tenter de déceler quelque chose, mais, rien. Rien ne se passait. Depuis presque trois mois, j’aurais du le sentir bouger, ce bébé, quand même, non? Quand ils étaient deux, ils bougeaient plus alors qu’ils avaient moins de place.

C’était inquiétant car c’est même pas qu’il bougeait pas beaucoup, il bougeait pas du tout ! Et mon ventre avait une forme de plus en plus bizarre. Il faisait une sorte de grosse bosse d’un côté, et était plus creux de l’autre. Franchement, si je n’avais pas vu le bébé sur l’écran de la machine à échographie, je n’aurais pas cru être encore enceinte.

Peut-être que je devrais à nouveau aller à l’hôpital pour en refaire une, d’échographie ? Si ça se trouve, celui-là aussi je l’ai perdu…

- Oh, là ! Toi, tu te fais du souci !

- Mais non…

- Qu’est-ce qui se passe ?

- Rien…

- C’est le bébé ? T’as mal au ventre ?

- Non, pas du tout.

- Je te connais comme si je t’avais faite. Je sais que tu t’inquiètes pour le bébé…

- Il bouge plus.

- Oh non… a chuchoté André. Je vais chercher Le Gallec…

- Non, c’est pas la peine. C’est pas nouveau.

- Quoi ? Comment ça ? Pourquoi tu me l’as pas dit dès que tu l’as remarqué ?

- Il a pas bougé une seule fois depuis que j’ai perdu l’autre bébé.

- Oh punaise, a-t’il à nouveau chuchoté.

- Je voulais pas te le dire pour pas t’inquiéter. Comme le docteur de l’hôpital a dit qu’il allait bien et que depuis rien n’a changé, je me disais que c’était normal. Mais bon, là, c’est de pire en pire.

Je lui montrais mon ventre.

- Des fois, ça faisait des formes bizarres avec les autres, aussi.

- C’était quand ils bougeaient ! Là, il fait rien celui-là !

- Je vais chercher Francine ! On va à l’hôpital !

- T’es sûr ? Mais qu’est-ce qu’on va leur dire ? J’ai rien ! Ils vont se foutre de nous…

- Nous, tout ce qu’on sait, c’est que notre bébé bouge plus. Le reste, c’est à eux de le savoir. C’est à eux de nous aider en nous disant ce qui se passe. Peut-être qu’il se passe rien et c’est que tout va bien. On a des raisons de s’inquiéter, non ? Ils sont là pour ça.

- Oui, t’as raison… Mais je veux pas refaire une échographie, encore. Je pense que c’est pas très bon pour le bébé. Ils disent que non mais je suis sûre que ça lui envoie des rayons ou je sais pas quelle merde ils ont inventé, encore !

- Oui, je comprends. Si c’est vraiment pas utile, on dira qu’on veut pas. Ensuite on verra…

- D’accord. André ?

Il était déjà en train de franchir le pas de la porte.

- Quoi ? - Calme-toi, s’il te plaît. Tout ira bien. Il a souri.

- Je vais chercher Cicine.

- L’appelle pas comme ça, elle déteste…

Je rigolais, et lui, ricanait en s’éloignant. Je décidais de monter voir si les enfants allaient bien. Ils étaient tous endormis dans leurs lits, et dormaient paisiblement. C’est là qu’ils étaient le plus mignons. Tout-à-coup, une petite pression est venue me chatouiller le bas du ventre. Je connaissais cette sensation… Mon ventre était dur. J’avais une contraction.

Quinze minutes plus tard, André et Francine sont entrés dans le salon et m’ont vue avec les mains posées sur les genoux, le buste en avant. Je respirais fort.

- Ça va pas ?

Ils s’étaient approchés à grands pas de moi.

- J’ai des contractions, ai-je articulé en reprenant ma respiration, une fois la vague passée.

- Ah ben, c’est bon signe, non ? A dit Francine en souriant.

- Je pense, oui, ai-je réussi à dire en levant la tête avant de la replonger en avant.

                    ***

Un bon quart d’heure plus tard, je me rendais à l’évidence :

- Je pense qu’il va arriver. Le bébé…

J’étais assise sur mes chevilles, face au dossier du canapé et mes avant-bras étaient posés dessus.

- Super ! Ça veut donc dire qu’il va bien.

Francine et André étaient allés récupérer des couvertures pour que je m’allonge par terre.

- Je vais aller voir Le Gallec. Il est tard, on va avoir besoin de lui, a déclaré André.

- Oui…

Francine me soutenait le dos, et respirait calmement et profondément, pour m’encourager à en faire autant. Je n’avais plus conscience du temps qui passait. J’étais comme dans un rêve, bercée par la houle qui s’intensifiait à chaque minute et me rapprochait de plus en plus du moment où j’allais rencontrer mon bébé. J’avais tellement prié pour qu’il soit en bonne santé. À un moment donné, j’ai compris qu’André avait du rentrer, car Le Gallec m’a dit qu’il allait m’examiner et que je devais m’allonger. Je voulais tout sauf ça ! Je préférais être debout plutôt que de me mettre sur le dos. Je me suis allongée sur le côté et le médecin a dit :

- C’est bon comme ça, ne bougez plus, respirez profondément. C’est très bien ce que vous faites.

Il a réfléchi un moment pendant qu’il m’examinait. Je respirais difficilement, j’avais très mal dans cette position.

- Le bébé ne vas pas tarder, a-t’il fini par dire.

J’ai senti comme un ballon de Baudruche éclater en bas, suivi d’une grosse flaque qui a coulé de mon vagin.

- Perdu les eaux… ai-je marmonné entre deux contractions.

Puis, tout-à-coup, la violence! La douleur s’était nettement intensifiée. Je ne pouvais plus reprendre mon souffle entre les contractions car il n’y avait plus de pause entre chacune d’elles. Au bout d’un moment, j’ai senti le besoin de me mettre sur les genoux face à l’assise du canapé. Je commençais à pousser, et avait placé ma tête sur mes avant-bras repliés l’un sur l’autre. À chaque contraction, je mettais la tête en arrière et criait en poussant de plus en plus fort et longtemps. Tout ça allait trop rapidement ! La première fois que j’ai accouché, ça a duré 20 heures. Pour la deuxième, à peine 15 heures. La troisième, même pas 5 heures. J’en ai conclus que plus on avait d’enfants et plus le temps de travail raccourcissait. Peut-être que je ne me rendais pas bien compte du temps qui passait. J’étais dans un état second, comme pour chacun de mes accouchements.

- C’est très bien ce que vous faites. C’est bientôt fini, le bébé est là, je le sens, m’a encouragée le docteur.

J’ai ressenti une douleur affreuse, je savais que la tête du bébé était en train de passer mon vagin. Je poussais de toutes mes forces. J’ai regardé entre mes jambes et l’ai vue. J’ai poussé en l’attrapant avec mes deux mains. Plus qu’une petite fois à pousser et je pourrais la prendre contre moi. C’était une petite fille. Elle m’a regardée avec ses yeux doux, puis les a refermés. Elle dormait. Elle n’a émis aucun son, n’a pas bougé… C’était déstabilisant. Le Gallec l’a essuyée en me présentant ses félicitations. Il lui a mis un linge chaud sur la tête. Puis me l’a tendue en la recouvrant entièrement avec le reste du linge.

- Elle va très bien, ne vous inquiétez pas. Alors, comment elle va s’appeler cette jolie demoiselle ?

- Shannah, a-t’on répondu à l’unisson André et moi.

Elle allait bien, et j’étais très heureuse de l’accueillir chez nous. Par contre, à partir de maintenant, plus de bébés.

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