Chapitre 56 - 7 mai 2014

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Je voyais quelqu’un marcher, sur le chemin qui monte vers la colline, derrière chez mes parents. J’avais l’impression que c’était une femme. Et je l’ai reconnue assez vite, avec ses cheveux bouclés.

C’était elle, Norah… Elle portait une minerve, on dirait. Elle m’avait vue, elle aussi. Même si elle faisait comme si de rien n’était, en regardant droit devant elle.

Au moment où j’arrivais au portail qui fermait le champ, elle était en train d’arriver à ce niveau, elle aussi. Elle s’est arrêtée, et elle m’a tout-de-suite souri, en me disant « bonjour ! ». On est restées comme ça, à sourire bêtement, elle et moi. C’était un peu gênant mais j’aimais ça, quand même. L’effet qu’elle me faisait, ce que je ressentais en la voyant et quand elle me regardait comme ça… je n’avais pas ressenti ça depuis très longtemps.

- C’est agréable, ce temps.. ?

- Oui ! J’adore me promener ici, c’est magnifique.

- On a beaucoup de chance.

- Je crois pas que la chance ait quoique ce soit à voir là-dedans...

- …

J’étais plus dans l’attente qu’elle s’explique et qu’elle élève la discussion, qu’étonnée, comme elle semblait le croire en réalité.

- Je vivais à Paris, avant d’aménager ici. Et j’ai choisis cet endroit, vous savez.

- On peut se tutoyer... marmonnais-je, sans trop savoir si j’avais vraiment envie qu’elle l’entende ou pas.

J’avais envie de me rapprocher d’elle, mais d’une certaine manière, cette distance entre elle et moi me plaisait.

- Oui ! Bien-sûr !

Elle souriait à pleines dents, et elle était radieuse.

- Tu sais, je pense que chacun décide où il vit, a-t’elle repris, sur un ton plus sérieux. Même si le fait de ne jamais déménager de son village natal peut ne pas apparaître comme un choix, c’en est un quand même. Tu as choisi de rester ici, n’est-ce pas ?

- T’as raison, ai-je répondu en la fixant du regard.

- Et tu t’y plais?

- J’adore ce que je fais, et je connais tout le monde, la plupart depuis ma naissance...

- C’est pas vraiment une réponse, ça ! a-t’elle rétorqué en tordant sa bouche sur la gauche et en plissant les yeux.

J’adorais son sens de la répartie, de l’humour, son intelligence, sa gentillesse, sa grâce naturelle. Je crois que j’étais en train de tomber amoureuse, follement. Et elle, elle doit me prendre pour une grosse lesbienne, avec mon attitude froide et ma manière de dire ce que je pense, sans filtres…

- Je ne me vois pas vivre ailleurs qu’ici… j’y ai tous mes repères, ma maison, ma famille, mes amis, mes souvenirs. Tout le monde se connaît ici...

- Oui, j’avais compris ! Et les gens n’ont pas vraiment l’habitude de voir de nouvelles têtes, on dirait, a-t-elle dit en suivant du regard Jean-Pierre, le fameux voisin curieux et intrusif qui passait en voiture en nous saluant de la main.

On a éclaté de rire, toutes les deux.

- Il est pas bien méchant, et très intelligent, tu sais !

- J’avais remarqué, a-t’elle renchérit en rosissant, le regard tourné vers moi, mais les yeux sur le côté droit, les lèvres retroussées et le menton en avant.

- Et j’ai beaucoup d’affection pour lui, en réalité, a-t’elle terminé.

J’ai hoché la tête lentement en la regardant avec douceur. Mes yeux regardaient les siens, puis ses cheveux, son nez, ses lèvres, son cou…

- Tu t’es fais mal ? ai-je dit en pointant de l’index la minerve qu’elle portait.

- Un chevreuil a traversé hors des clous, hier soir !

- Oh mince ! Tu l’as percuté ?

- Non, par chance, je ne l’ai même pas touché !

- Tu as du avoir sacrément peur ?

- Très peur, oui. Mais je n’en avais jamais vu de si près, par contre, et c’est vraiment un très bel animal !

- Oui, j’adore les chevreuils, moi aussi. Dans la campagne québecoise, ils s’approchent très près des habitations. Les gens leur laissent de quoi manger et boire et ils viennent sans crainte.

- Non ? C’est fou ! a-t’elle dit, fascinée. J’avoue qu’en fait, avant hier soir, je n’en avais jamais vu en vrai...

Je me suis mise à rire affectueusement en clignant fort des paupières et en basculant ma tête en arrière.

- Je me disais, aussi! Mais, ça va, tu vas bien sinon ?

Elle a paru un peu vexée, tout-à-coup… Quelle conne, j’aurais pas du me moquer, comme ça !

- Oui, j’ai un peu mal aux cervicales mais le docteur a dit que ça passerait vite, et que j’avais eu beaucoup de chance.

- Tu as du faire des cauchemars cette nuit ?

- Oh que oui...

- Pardon, lui ai-je coupé la parole en perdant mon sourire et en secouant rapidement la tête, c’était très indiscret...

- Merci d’y penser, a-t’elle répondu doucement. On a tendance à minimiser la peur ressentie si le physique se porte bien. Mais j’ai eu vraiment très peur, donc c’est évident que j’ai subi un certain traumatisme. Et que je fasse des rêves stressants, du coup.

Plus tard, elle m’a avoué que personne d’autre ne s’en était inquiété, et ça l’avait beaucoup touchée que moi je le fasse.. Je rougissais en l’ayant pressenti et osais tourner mes yeux vers elle. Nous avons croisé nos regards quelques fulgurantes secondes.

- Shannah, tu pourras venir voir une minute, s’il te plaît ?

Mon père, avait surgi à quelques mètres derrière nous. On ne l’avait pas vu car le champ faisait un arrondi. À vrai dire, lorsqu’elle me parlait, j’avais l’impression d’être dans un rêve, seule au monde avec elle. Alors je n’aurais certainement pas remarqué mon père approcher quoiqu’il en soit.

- Oui, j’arrive ! ai-je crié en tournant ma tête dans sa direction. Il faut que j’y aille ! ai-je dit à l’attention de Norah, avec un sourire timide.

- Oui, bien-sûr! À très bientôt, j’espère, a-t’elle répondu en souriant et en soufflant fort par le nez.

- À bientôt !

Je m’en allais, à contrecœur. J’ai tourné la tête dans sa direction, et, comme elle me regardait en souriant, je le lui ai rendu puis ai à nouveau regardé devant moi, de peur de paraître trop lourde.

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