Chapitre 63
Après ma visite du rucher, je suis rentrée chez moi. J’avais, encore une fois, fantasmé mes ébats avec Shannah. Mais cette fois-ci, c’était différent. Elle avait imaginé la même chose. Elle l’avait espéré, même.
Quand nous sommes arrivées chez elle, nous nous sommes regardées un moment. Puis quand j’ai fait mine de m’approcher d’elle, j’ai eu un temps d’arrêt au moment où elle m’a gentiment repoussée en me disant que ce n’était pas possible, car je n’étais pas libre.
Elle m’a proposé un thé que j’ai accepté mais au bout de quelques minutes, je ne savais plus quoi dire et je suis rentrée. Sébastien était à la maison. Il avait l’air morose. Il avait récupéré Anouk à la crèche, ce qu’il ne fait jamais, d’habitude.
Je fonçais dans le salon pour prendre ma fille dans les bras et l’embrasser. Elle m’avait manquée. Je paniquais, tout à coup, en farfouillant dans ma poche. J’allumais mon téléphone et remarquais qu’il était non seulement 17h30, mais qu’il avait essayé de m’appeler plusieurs fois pour me demander s’il devait passer prendre la petite au passage, avant de rentrer. Il m’avait également laissé un message vocal, et plusieurs textos, principalement pour me demander où j’étais, ce que je faisais, et quand est-ce que je rentrais.
J’avais merdé dans les grandes largeurs… Je ne regrettais pas ce que j’avais fait avec Shannah, mais je ne voulais pas que Sébastien l’apprenne ainsi. Je voulais… je ne savais pas ce que je voulais, d’ailleurs. Mais ressentir à nouveau cet amour et cette douceur.
- T’as passé une bonne journée ? lançais-je, hésitante.
- Ça va...
Sébastien n’était pas du genre bavard mais quand il prenait ce ton-là, ça n’augurait rien de bon. Je détestais ça.
- T’étais où ?
- Chez la voisine.
- Laquelle ?
- L’apicultrice, dis-je en pointant l’index par la fenêtre.
Elle m’a montré ses abeilles.
- Ah oui, celle qui est…
Il a laissé sa phrase en suspens.
- Celle qui est quoi ? ai-je demandé après plusieurs secondes de blanc.
- Tu vois, quoi...
Il levait les yeux au ciel en dodelinant de la tête. Je voyais rouge…
- Non, je vois pas ! Tu peux être plus clair, s’il te plaît ?
- Elle a l’air un peu… gouine sur les bords, non ?
- Quoi ? C’est quoi ce vocabulaire ? Devant Anouk, en plus !
- Elle comprend pas, elle est trop petite!
- Si, bien-sûr qu’elle comprend. Je veux pas qu’on emploie ce genre de mots devant elle. Et c’est irrespectueux pour Shannah, en plus.
- Shannah ? Vous êtes super copines, à ce que je vois...
Je sentais mes joues rosir légèrement après avoir prononcé son prénom. J’avais toujours fait l’effort de l’appeler « la voisine » ou « l’apicultrice » devant Sébastien mais là, j’avais baissé ma garde.
- Je n’apprécie pas qu’on utilise ce mot, même si Anouk n’avait pas été là. T’es pas obligé d’être insultant, elle t’a jamais rien fait que je sache.
- Oh, c’est bon, a-t’il dit sur un ton désinvolte. Je l’aime bien, moi aussi, ta Shannah.
- Non, c’est pas bon. Il me semblait que tu t’entendais bien avec elle, en effet. Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Tu trouves pas qu’elle fait un peu… homo ?
- Soit elle l’est, soit elle ne l’est pas. Elle peut pas l’être qu’un peu...
- T’as compris ce que je voulais dire... a-t’il dit sur un ton qui frôlait l’exaspération.
Quant à moi, j’étais atterrée de ce que j’entendais. Il me dégoûtait plus qu’il ne m’énervait en ce momentmême.
- Je t’ai déjà dit que je trouvais les remarques racistes, homophobes et sexistes dégueulasses ?
- On va pas en faire toute une histoire. Pardon, je dirai « lesbienne », la prochaine fois.
J’avais l’impression qu’il essayait de me provoquer plus qu’autre chose. Il prenait un ton moqueur qui ne lui allait pas du tout. Je ne le reconnaissais pas. Ce n’était pas quelqu’un d’hyper bienveillant, mais de là à proférer ce genre d’injures, il y avait un monde.
- Elle m’a jamais rien fait, ça, ça se discute !
- De quoi tu parles ? Je croyais que tu l’aimais bien ?
- Ces manières de mec… C’est toujours pareil, avec les homos. Ils veulent nous imposer leur mode de vie. Moi, j’ai rien demandé, je suis un gars normal, alors qu’elle me force pas à voir ça !
- Tu t’entends, là ? Elle fait de mal à personne. Elle te force pas à venir la regarder quand elle est chez elle, si ?
- ...
Je comprenais pas pourquoi il devenait si bête, tout-à-coup. Soit je n’avais jamais remarqué cette intolérable facette de sa personnalité, soit je ne le connaissais pas. Et je ne sais pas quelle était la meilleure possibilité, dans ces deux cas… Je me bloquais et resserrait instantanément mon étreinte d’Anouk en apercevant le regard qu’avait Sébastien à ce moment-là. Il souriait presque, mais avait pourtant le regard noir. C’était stupéfiant. Il m’aurait presque fait peur si je ne savais pas qu’il était incapable de violence.
- Tu crois que je sais pas ce que tu viens de faire ? a-t’il dit, plus calme mais beaucoup plus sérieusement tout-à-coup. Ce qui ne laissait pas beaucoup de place au doute : il savait tout. Comment ? Je n’en savais foutrement rien…
- …
J’étais sans voix.
- Quoi ? ai-je réussi à demander.
Anouk s’agitait dans mes bras.
- Hier soir, quand je t’ai demandé ce que tu devais faire aujourd’hui, tu m’as dit que t’avais une réunion le matin, et que l’après-midi, tu allais à Rennes, non ? Tu savais pas que tu travaillais pas ? T’es subitement tombée malade ? Parce que t’as l’air très en forme, là ! Et pourquoi tu répondais pas à mes appels ?
- J’avais besoin de prendre du temps pour moi...
- Oui, c’est ça. On peut pas observer les abeilles quand il pleut, elles sortent pas…
Il prenait tout son temps pour me regarder avec suspicion et défi.
- C’est qui ?
- Qui ça ?
- Celui avec lequel t’étais. Je veux savoir comment il s’appelle !
Je regardais ailleurs.
- Où tu l’as rencontré ? C’est un collègue à toi ?
- Tu nages en plein délire.
- En quoi il est mieux que moi ?
- ...
Je soufflais en faisant les gros yeux. C’est tout ce que j’avais trouvé pour masquer ma gêne... Et en même temps, j’étais circonspecte. Il n’avait jamais été jaloux. On dirait qu’il se fichait pas mal qu’un autre homme me regarde. Pourquoi est-ce qu’il réagissait comme ça?
- Tu veux tout foutre en l’air ? Et la petite, t’as pensé à elle ? a-t’il repris, manifestement plus triste qu’en colère.
Je ne faisais que ça ! D’ailleurs, elle commençait à vraiment s’énerver dans mes bras. Elle chouinait et se débattait presque.
- Je vais lui donner à manger, elle a faim.
- Tu changes de sujet ? Tu crois vraiment que je vais oublier de quoi on était en train de parler ?
- De quoi TU étais en train de parler. Tu fais les questions et les réponses, là, tu t’en rends même pas compte...
- Arrête de me parler comme à un débile, s’il te plaît !
- Et toi, arrête de m’agresser.
Pour seule réponse, il est sorti s’allumer une cigarette en claquant la porte.
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