Chapitre 64 - 8 novembre 2014

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Sébastien m’avait invitée au restaurant pour essayer de rattraper le coup. Justine gardait Anouk.

- Pardon pour l’autre jour, je me suis monté la tête. Je suis un peu parano, en ce moment. J’aimerai qu’on se parle, et que ça redevienne comme avant. Je te sens loin de moi et je ne comprends pas ce qui se passe.

- C’est parce que je travaille beaucoup et que quand je rentre, j’ai l’impression d’avoir toujours des reproches...

- Moi aussi je suis fatigué quand je rentre. Pardon pour Shannah, j’ai rien contre elle. Je sais pas ce qui m’a pris de te dire tout ça. C’est mon amie, tu sais.

J’étais rouge comme une tomate.

- Je sais. Je fais ce que je peux. Avec Anouk, par exemple, on dirait que ça va jamais ce que je fais. On n’est pas en accord.

- C’est normal de se disputer sur l’éducation qu’on donne à son enfant entre parents, non ?

- Moi, je préférerai un peu plus de cohésion et d’ententes, sur les grandes lignes au moins.

- Je crois que c’est utopique ce que tu attends, chérie.

J’ai levé la tête d’un coup en entendant ça. Il ne m’avait pas appelée ainsi depuis des mois. Je lui ai souris, doucement, en lui tendant le bout de mes doigts. J’étais bien dans la merde. Son téléphone portable a sonné, tout-à-coup. J’ai claqué la langue.

- Oui, pardon, je l’ai pris pour le boulot. Et pour Anouk, on sait jamais.

- Je comprends, mais on est tous en train de devenir accros à ces petites choses.

- Mais non…

Il a glissé son index sur l’écran du téléphone, et a répondu en hâte :

- Ça va ?

Vu le ton qu’il prenait, ça ne pouvait être que sa mère. Je l’entendais parler, de toute façon, et je reconnaissais sa voix.

- Pourquoi tu appelles aussi tard ?

Je l’ai entendue hurler des choses incompréhensibles… Ils devaient parler d’Anouk… Ah non ! Plutôt d’allaitement car Séb lui a répondu gentiment qu’on n’était pas concernés et je l’ai entendue renchérir qu’on n’était plus au Moyen-Âge. J’allais aux toilettes, en attendant, lasse d’entendre les bêtises de cette femme, et de voir les dégâts que ça pouvait faire sur son fils, aussi grand soit-il.

En revenant, j’ai vu au loin que Séb était encore au téléphone. Sa mère était une véritable sangsue. Elle s’accaparait la vie de son fils, en donnant son avis sur tout, en voulant interférer dans le moindre de ses choix. C’était étouffant, selon moi.

Mais ! Évidemment ! Si Séb était aussi violent dans ses propos la dernière fois, c’était parce qu’elle l’avait appelé et lui avait craché son venin ! J’en étais sûre ! C’était toujours elle… Je le voyais en train de raccrocher, le temps que j’arrive à la table.

- C’était ma mère, elle t’embrasse pas.

- Ah ah, très marrant ! Qu’est-ce qu’elle voulait ?

- Me demander si on avait acheté le lait en poudre Doulé. Car il y a un rappel par la marque de plusieurs centaines de boîtes qui auraient été infestées par je sais plus quelle merde… Elle a vu ça aux infos, ce soir.

- Oh. C’est horrible pour les bébés qui en ont bu. Et pour les mères qui en ont donné à leur bébé.

- Du coup, j’ai eu droit à une leçon sur comment élever son bébé dans les meilleures conditions. Elle n’approuve pas ton choix de donner le sein aussi longtemps à Anouk…

- Malgré ce qu’elle vient de t’apprendre, elle dénigre le fait que j’allaite ? Si je ne le faisais pas, j’aurais probablement acheté ce lait, et contaminé Anouk.

Je levais les yeux au ciel en les grossissant au maximum, en secouant la tête et en soupirant bruyamment.

- Elle a dit du bout des lèvres qu’on avait de la chance de pas en avoir acheté mais pas plus…

- Ah ben oui, je donne le meilleur à mon bébé et j’évite d’acheter des trucs qui sont potentiellement dangereux mais quand même je suis une mauvaise mère, et une mauvais épouse, aussi, du coup ? Ai-je renchérit en tendant la main vers Sébastien, dans ce qui s’avérait être un faux questionnement.

- Je sais pas pourquoi elle t’aime pas, mais franchement ça devient lourd.

- Tu te rends compte que ça déteint sur toi ?

- Mais non… je crois pas tout ce que dit ma mère, a-t’il dit dans un souffle.

- Et je vais te dire, ça me fait du mal mais je vais le faire quand même. Ton père est horrible avec moi, c’est pour ça que ta mère me déteste.

- Quoi ? Mon père t’adore !

- Oui, c’est ça. Dès que vous avez le dos tourné, il me regarde mal.

- Quoi ? Comment ça, mal?

- …

Je rougissais et je commençais à avoir des maux de tête. Je me sentais très honteuse. Je voulais que tout ça s’arrête.

- Il te fait des réflexions ? Il te rabaisse ?

- Non, non, c’est pas ça…

Sébastien fronçait les sourcils. Je sais pas ce qui se passait dans sa tête mais heureusement que c’était pas contre moi qu’il était en colère car il me faisait déjà peur.

- Il a eu des gestes déplacés ? A-t’il repris, comme désespérément convaincu de ce qu’il disait.

Je commençais à avoir très mal à la gorge.

- Une fois, j’étais dans la cuisine, et en passant derrière moi, il a mis sa main sur ma hanche…

Ma voix s’était brisée. Les mots avaient du mal à sortir, comme si une râpe à fromage était accrochée à chacun d’eux et se mettait en action pour faire des confetti de mon gosier à chaque fois qu’un mot osait en sortir.

- J’ai rien dit parce que j’en revenais pas, ai-je repris. S’il avait pu, il m’aurait touché les fesses, ai-je terminé, très péniblement.

J’aurais voulu creuser un trou sous la table et me cacher dedans pour ne plus jamais avoir à affronter le regard de Sébastien. Lui, restait muet mais devait voir rouge, vu sa tête.

- …

Il respirait plus fort, serrait les dents et gonflait les narines.

- Il a un regard lubrique, c’est vraiment gênant. C’est pour ça que je veux plus y aller. Ta mère s’en est aperçue. Bon, elle me portait pas franchement dans son cœur, mais là c’est de pire en pire.

- Quel salaud…

- Je suis désolée.

- T’as pas à être désolée. Tu n’as rien fait. C’est moi qui suis désolé pour toi. C’est inadmissible !

Sébastien se parlait à lui-même.

- C’est pas comme s’il en était à son coup d’essai, non plus.

- Quoi ?

- Ma mère supporte pas ça parce qu’il l’a déjà trompée, a-t’il ajouté, le regard dans le vague.

- Oh !

Je marquais une pause avant de reprendre.

- Enfin... je suis qu’à moitié étonnée, en fait. C’est arrivé il y a longtemps ?

Je me sentais mal. Pour Séb, la tromperie, c’est impardonnable. Non pas que je trouve pas ça ennuyeux, mais là, c’était quasiment fait. Même si à proprement parler, on n’avait rien fait, Shannah et moi, j’y avais pensé. J’en avais eu l’intention. Je culpabilisais. Et en même temps, je me sentais transportée vers autre chose. La vie n’en avait pas fini avec la leçon qu’elle comptait me donner.

- Une fois, il y a quelque chose comme 15 ans, j’étais chez eux, pour le week-end, m’a raconté Séb.

On n’était pas ensemble, encore. Je hochais la tête.

- Et en mangeant, a repris Séb, j’ai dit à mon père:

- Ah au fait, Papa, je t’ai croisé cet après-midi, j’allais au bureau de tabac. Tu m’as pas vu, je crois.

- Qu’est-ce que tu faisais en ville ? A sèchement demandé ma mère à mon père.

J’ai tout-de-suite compris que j’avais fait une gaffe. Mon père ne disait rien. Il a bredouillé qu’il était parti se balader alors qu’il sort jamais, même pas pour aller acheter le pain. Il est toujours dans son bureau avec ses maquettes.

- Ok, mais donc, vu qu’il sort jamais, c’était peut-être pas ça… Et puis, il l’aurait rencontrée où ?

- Tu crois quoi ? Qu’il est allé faire les courses ? Mon père a jamais bougé le petit doigt. Quand j’étais petit, il allait travailler et ensuite il rentrait du travail. C’est les deux seules choses que je l’ai jamais vu faire. Avec ces putains de maquettes.

Il a soupiré.

- Non, y’a autre chose… a-t’il repris.

Séb était pensif. Ses yeux étaient perdus quelque part où je ne pouvais le suivre. Tout-à-coup, il a levé l’index en déclarant :

- Ma mère le traînait une fois par mois au club de danse de salon...

- Ah oui, niveau sex appeal, on peut pas faire mieux ! Ai-je plaisanté.

Devant le silence de Séb, manifestement très en colère, j’ajoutais :

- Pardon, ai-je murmuré en me raclant la gorge.

- En temps normal, j’aurais rigolé... Je sais pas comment j’ai fait pour jamais faire le lien avec ça ? A-t’il repris sur un ton plus dur.

Et il en a conclu :

- Certainement parce que j’évite d’y penser. Je suis quasiment sûr qu’il l’a trompée. Il a du lui promettre de jamais le refaire, mais vu qu’ils couchent plus ensemble...

- Comment tu le sais ?

- Ils font chambre à part. Ils se parlent presque pas… énumérait-il en levant les yeux au ciel, comme si c’était évident.

- Peut-être qu’ils se parlent quand on n’est pas là…

- D’ailleurs, maintenant que j’y pense, ils y vont plus depuis très longtemps, au club de danse, m’a-t’il ignorée. Je suis sûr que c’est à cause de ça ! Je suis sûr que c’est à cette période précise qu’ils ont arrêté, a-t’il conclu en hochant la tête de droite à gauche en ne regardant nulle part.

- C’est triste, ai-je répondu.

- Je veux pas être comme mes parents.

- Moi non plus.

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