Chapitre 66 - 9 novembre 2014
- Il faut que je te dise quelque chose.
Pour seule réponse, j’ai obtenu le silence. Puis quelques secondes plus tard, Shannah a pris ma main et m’a entraînée dans son atelier.
- Il y a un problème ? A-t’elle demandé, en ayant longuement réfléchi à ce qu’elle pouvait me demander pour m’encourager à parler. Sachant très bien ce que j’allais dire. Ayant peur que je ne le fasse pas.
- Bon, euh…
Je caressais nerveusement mes ongles du dos de mes pouces. Je me suis vue le faire et me suis sentie immédiatement rougir, car quand je faisais ça je trahissais ma gêne nerveuse et ma honte. Les mots étaient coincés au fond de ma gorge sèche. Ils ne voulaient pas en bouger. J’ai eu une sorte de miniblack out, ensuite. Je ne voyais plus rien et avait les oreilles qui bourdonnaient.
- J’aime beaucoup être avec toi, moi aussi, a dit Shannah, tout doucement.
J’ai levé la tête, n’en revenant pas de ce que je venais d’entendre. Bien-sûr, je sentais qu’elle ressentait ça, comme moi. Et j’espérais plus que tout qu’elle me l’avoue mais je ne pensais pas qu’elle le ferait. Je pensais être seule dans mon délire d’adolescente puérile et naïve. Pour seule réponse, je lui ai souris nerveusement. Je devais être laide tellement mon sourire était déformé par la peur. Mais je ne parvenais pas à rendre ça plus naturel…
- Il faut plus qu’on se voie, ai-je mis fin à mes rêveries.
- Quoi ?
- Je peux pas faire ça à ma famille. Je vais tout détruire.
Shannah ne disait plus rien, s’avouant vaincue. Au bout de plusieurs minutes, elle a admis :
- Oui, je comprends.
Puis, et je vous le donne en mille, c’était pas un rêve, cette fois-ci, elle s’est penchée vers moi et on s’est embrassées. Je n’avais jamais ressenti autant d’amour, de désir, de plaisir, et de douceur en embrassant quelqu’un. Une immense chaleur a envahi mon corps et mon cœur. Ses mains douces ont caressé mon visage, pendant qu’elle rapprochait son corps du mien. Je le sentais contre moi comme s’il était l’extension du mien. Sa chaleur, sa force, sa douceur, son magnétisme, les pulsations de son cœur, les va-et-vient de sa poitrine au rythme de sa respiration s’accordaient avec chacun des mouvements de mon corps. Nous ne faisions qu’une. Nous nous sommes souris après cette expérience déstabilisante et en même temps tellement naturelle.
- Pardon, j’en avais trop envie. C’était parce que je voulais pas ne jamais l’avoir fait. Mais je respecte ta décision.
Je respirais par saccade. J’ai pris une grande inspiration et j’ai expiré lentement par la bouche, puis, je lui ai dis au revoir et suis rentrée chez moi.
***
30 novembre 2014
On ne s’était pas vues depuis 3 semaines, Shannah et moi quand on s’est croisées, en voiture. Un peu plus tard, mon téléphone a sonné.
- Pardon, je sais qu’on devait arrêter de se voir… a dit Shannah d’une voix éteinte.
- Ça me fait plaisir de te parler. Tu vas bien ?
- Ffff, a-t’elle soufflé, euh... pas vraiment. Et toi ?
- Non… Qu’est-ce qui se passe ?
- J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer…
Mon cœur s’est mis à battre la chamade, tout-à-coup. Je savais très bien de quoi il s’agissait.
- Malheureusement, Jean-Pierre est décédé cette nuit. Il était à l’hôpital... il était gravement malade.
Je n’arrivais plus à parler, le chagrin coincé dans ma gorge m’en empêchait. Je l’ai laissé sortir, soudainement. Ma peine était si forte que je ne pouvais plus lutter. Les sanglots rendaient vaine toute tentative de ma part de parler.
- Tu veux qu’on se voit ?
- Oui...
***
- Je ne sais pas quand auront lieu les funérailles. Je te tiendrai au courant. Les visites ont lieu à partir de demain chez lui, sa femme m’a dit.
- D’accord, merci. Il a souffert, j’imagine ?
- Il souffrait mais on lui administrait de quoi le soulager. C’est juste qu’il n’y avait plus rien à faire.
- J’ai appris qu’il était malade il n’y a pas très longtemps. J’espérais juste que ce n’était pas aussi grave…
- Il n’avait plus vingt ans, non plus. Et puis, tu sais, dans le métier, tu prends jamais ta retraite !
- Non, c’est sûr que c’est un travail difficile.
- Je l’ai vu hier, et il m’a dit qu’il ne regrettait rien. Il était heureux de sa vie.
J’ai souri. Cette nouvelle me réconfortait un peu.
- Et il a vaguement fait allusion à toi. Mais je n’ai pas compris. J’ai hésité avant de t’appeler, mais je pouvais pas ne pas te le dire. Je voulais pas que quelqu’un d’autre te l’apprenne. Ça me paraissait important. Vous aviez un lien particulier…
J’ai rosi.
- Oui… C’est ta maison natale ? ai-je demandé, pour changer de sujet.
- Oui ! Ma mère a accouché de nous quatre dans les différentes pièces. Moi, j’ai vu le jour dans le salon, près de la cheminée.
- C’est magnifique.. ! Shannah a ri, comme si cela l’émouvait. - Ma mère te dirait qu’il n’y avait pas le choix, à l’époque. Elle semble envier les femmes d’aujourd’hui, pour la sécurité que l’hôpital apporte, et le confort, aussi. - De la péridurale ? - De toute la médicalisation, en générale. Mon grand frère aurait eu besoin de forceps. Enfin, il est né sans, du coup. Mais cela a fatigué ma mère. Et lui aussi, sans doute. - Je comprends. Un accouchement c’est fatigant, quoiqu’il arrive. Nier cela en croyant que la médicalisation va nous en prémunir, c’est se fourvoyer, pour moi. Je suis certaine qu’elle a su puiser dans ses ressources et se positionner de manière appropriée pour aider son bébé à naître, tout naturellement. C’est la grande force des femmes. Nous sommes faites pour ça. - Mes parents n’ont jamais aimé l’hôpital, ni les médecins mais je sens que leur discours évolue, petit à petit. Comme un regret que la médicalisation des accouchements et l’accès au choix, comme l’ont les femmes d’aujourd’hui, n’ait pas été plus accessible pour eux. - Je comprends… - Tu as mis Anouk au monde naturellement ? - Oui, mais à l’hôpital ! Sébastien ne se sentait pas en sécurité à la maison. Surtout après la fausse couche, il a eu encore plus besoin de sécurité. - Je comprends. - Tu n’as jamais voulu avoir d’enfants ? - Si, avec mon ex-femme, on a fait plusieurs FIV. Après le troisième échec, nous nous sommes séparées. - Oh, je suis désolée. C’était devenu trop dur à encaisser ? - Pour elle, surtout, a-t’elle dit en hochant la tête. Je pense que j’aurai pu essayer à nouveau... On était en train de sortir de la maison de ses parents pour se rendre à la sienne. Elle fermait la porte quand elle s’est tournée vers moi : - Tu sais, je crois qu’avoir un enfant, c’est une affaire de couples hétérosexuels. Je n’arrête pas de réfléchir à ça, et je sais que je suis incapable d’avoir un enfant. Ça ne m’arrivera jamais. Alors autant réaliser tout-desuite que c’est pour les autres, et arrêter de me faire du mal. Je suis trop vieille, en plus! Elle m’a fait éclater de rire en disant ça. Puis, j’ai mis ma main sur ma bouche. Elle m’a regardée avec un air compatissant, en pressant ses lèvres l’une contre l’autre et en penchant la tête de côté. - C’est quoi ces bêtises ? Ai-je fini par demander.
- Si j’avais un enfant maintenant, j’aurais soixante ans quand il aura vingt ans… l’angoisse, non ?
Je faisais la moue d’un air pensif.
- Vu sous cet angle, je comprends ton hésitation.
- Je peux plus me permettre de ressasser, il faut que j’avance. C’est trop douloureux. Tu crois que tu vas avoir quelque chose que tu convoites par dessus tout, a-t’elle renchéri en retournant sa main droite, paume vers le ciel. Tu es jaloux des autres parce qu’ils peuvent l’obtenir beaucoup plus facilement, a-t’elle dit en faisant la même chose avec sa main gauche. Résultat : tu es malheureux. Non, c’est fini, plus de ça dans ma vie ! Elle secouait la tête en fermant les yeux, résignée. C’est triste et extrêmement frustrant.
- Je te comprends. Enfin, je crois. Bien-sûr, pour moi, les choses ont été très simples. Mais il y a déjà eu des choses dans ma vie que je n’arrivais pas à obtenir, et j’ai lâché l’affaire... Ça sert à rien à part se rendre malade. Mais ça m’a pris un moment avant de me rendre à l’évidence, et ensuite, je me suis sentie soulagée.
- C’est exactement ça.
Arrivées sur le pas de sa porte, elle s’est permise de m’embrasser.
- Pardon...
Il y avait énormément d’amour dans ses yeux. On se comprenait si bien, elle et moi, et je sentais qu’elle en était consciente en ce moment-même. On était comme seules au monde.
- Je veux plus être sans toi, lui ai-je avoué dans un souffle.
Alors que je souriais en ayant mon nez presque collé au sien, des larmes coulaient toutes seules de mes yeux. Elle les a essuyées de son pouce. À ce moment-là, j’ai aperçu une silhouette bouger sur ma droite. Je tournais vivement la tête, et ai vu Justine, mon amie d’enfance, me regarder avec stupéfaction. Puis, elle s’est retournée et est entrée dans ma maison, sans mot dire. Je me suis tournée vers Shannah, qui avait l’air désolée pour moi. Je me suis mise à courir vers chez moi.
Justine était assise à table quand je suis entrée par la porte-fenêtre. Elle évitait mon regard. Je n’aurais su dire si elle était gênée, en colère, triste ou choquée… certainement tout ces sentiments à la fois.
- …
Les mots restaient coincés au fond de ma gorge.
- Qu’est-ce que tu fabriques avec elle ? Séb est au courant ?
- Oui, bien-sûr, d’ailleurs on fait ménage à 3…
- Arrête, s’il te plaît ! Pourquoi tu m’en as pas parlé ?
- Tu aurais réagi différemment ?
- ...
- C’était pas prévu, tout ça… Je me sens vraiment bien avec elle. C’est la première fois que je me sens comprise à ce point. Je peux être moi-même en sa présence, elle m’aime inconditionnellement.
- Elle t’a retourné le cerveau, dis donc. T’aurais jamais fait ça, avant.
Je m’éloignais, les larmes aux yeux. Avant quoi ? De l’avoir rencontrée, elle ? C’est ça qu’elle voulait dire ? Au bout de quelques minutes, elle s’est approchée de moi.
- Pardon… J’aurais jamais du dire ça. Je me doute que tu l’as pas voulu. Qu’est-ce que tu vas faire ?
Elle a mis sa main sur mon épaule, pour m’inciter à me tourner vers elle. Puis elle m’a prise dans ses bras.
- Je veux plus de cette vie. Je veux autre chose, maintenant, ai-je fini par avouer
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