Chapitre 67 - 17 janvier 2015

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- Bonjour, a-t’on dit à l’unisson, Laure et moi.

On a ri. Moi, un peu gêné. J’entrais dans son cabinet.

- Asseyez-vous, Sébastien, m’a-t’elle invitée en tendant le bras vers le fauteuil installé en face du sien. Comment est-ce que je peux vous aider ? A-t’elle demandé en s’asseyant, elle aussi.

- Je viens de me séparer de ma femme. Et c’est compliqué.

- Je comprends, a-t-elle compati en tordant légèrement la bouche. Depuis quand étiez-vous ensemble ?

- Euh, pfff… on avait 22 ans, je crois. Depuis 13 ans donc. On vient d’avoir un bébé, une petite fille.

Je cherchais mes mots pour meubler, mais heureusement, avec Laure, j’ai vite compris que je n’allais pas vivre l’angoisse du blanc dans la conversation.

- Comment s’appelle-t’elle ? a-t’elle demandé avec un sourire.

- Anouk.

Elle a acquiescé en souriant plus franchement.

- Qu’est-ce qui, selon vous, vous a amené à vous séparer ?

- C’est elle qui m’a quitté.

Je ne sais pas pourquoi, je tenais à ce que ce soit clair sur ce point.

- D’accord.

- Je crois que j’ai merdé quand elle fait sa fausse couche.

- Elle a perdu un des jumeaux que vous attendiez...

J’ai pris profondément ma respiration. Je commençais à me sentir mal.

- Oui.

- On dirait que ça vous attriste encore beaucoup.

- Oui. Moi j’étais super content d’avoir des jumeaux...

Ma voix s’est brisée. Je n’arrivais pas à poursuivre. Rien ne m’a paru important à dire, à part ça.

- Pourquoi pensez-vous que vous avez « merdé » ?

- Parce que je lui en ai voulu. J’ai pas du tout géré ma tristesse. Je me sentais en colère tout le temps. J’avais plus envie de rien, c’était horrible ! J’ai pas compris ce qui s’était passé.

Elle a acquiescé doucement avant de reprendre.

- Je pense que vous savez ce qui vous est arrivé.

- J’ai fait une dépression ?

- Très certainement.

- Et ben, je veux plus jamais en faire !

- C’est une excellente nouvelle, ça ! Vous avez trouvé la première arme pour vous défendre contre cette maladie.

- …

Je me sentais con, tout-à-coup.

- C’est-à-dire ? Ai-je demandé.

- Savoir ce que c’est et le refuser, c’est primordial pour en guérir.

- Ah, c’était l’an dernier, c’est fini, ça, maintenant.

- Je m’en souviens.

C’est moi ou elle est nulle ?

- Sachez, en tout cas, que si vous conservez votre sens critique, comme maintenant, vous êtes encore plus à même de vous prémunir de la dépression.

- Ah ?

Je commençais à bien l’aimer, elle. Je sais pas si elle faisait exprès, si elle était bête, ou si elle devinait mes pensées. Intéressant.

- Comment auriez-vous du réagir, alors ?

- Quand le jumeau est décédé ?

- Oui.

- Ben, je sais pas, moi. J’aurais du l’épauler, être plus présent.

- D’accord.

- Et surtout, j’aurai pas du la tenir pour responsable. Là, je sais que j’ai abusé. Totalement.

- Pourquoi pensiez-vous qu’elle était responsable du décès du bébé jumeau ? Je ne me souviens pas que vous en ayez parlé, à l’époque.

- Non, j’étais trop mal. Je crois que je parlais pas beaucoup pendant les séances…

- En effet.

- Sur le coup, je pensais qu’elle aurait du arrêter de travailler, arrêter d’aller marcher… Elle a eu des saignements et elle a même pas noté ça comme quelque chose d’alarmant.

- Certaines femmes continuent d’avoir de légers saignements au moment où elles auraient eu leurs règles si elles n’avaient pas été enceintes.

- Oui, les règles anniversaire.

- C’est ça.

- Elle m’en a parlé. À ce moment-là, j’ai trouvé ça inconscient de pas s’en préoccuper. Maintenant, je comprends.

- Qu’avez-vous compris ?

- Norah est quelqu’un d’assez angoissé de nature. Elle fait du yoga et de la méditation depuis longtemps pour se calmer. Et elle tente de ne pas s’alarmer au moindre poil de cul qui dépasse. Enfin, vous voyez.

- Oui, je vois.

- Elle essaie de faire le tri, et de rester raisonnable, quoi. Je m’en veux beaucoup car elle a du énormément souffrir de cette perte, et elle a du culpabiliser, même si quand on en parlait, elle me disait ne pas être fautive.

- En avez-vous reparlé avec elle ? Lui avez-vous dit que vous vous en vouliez ? Que vous saviez qu’elle n’y était pour rien ?

- Oui, plus ou moins. Je sais pas si c’était suffisant. Elle m’a regardé, attendant que je me mette d’accord avec moi-même.

- Le truc c’est que je suis en froid avec elle, donc j’ai pas du tout envie de lui faire mes excuses, là, vous voyez ?

- Bien-sûr, je vois très bien. Vous êtes en froid parce qu’elle vous a quitté ?

- Non. Parce qu’en fait, elle m’a trompé. Avec une amie à moi, en plus.

- Oui je comprends.

- Là, j’ai trop la haine. En plus, ma mère m’avait prévenu. Je me sens bête.

- Elle vous avait prévenu que Norah vous tromperait ?

- Oui.

- Comment le savait-elle ?

- Non, mais en vrai, je sais pas. Elle me soûle avec cette histoire, d’ailleurs. Elle l’aime pas, donc elle se lâche sur elle à la moindre occasion.

J’ai eu comme un black-out, à ce moment-là. J’ai réalisé que ma mère passait ses nerfs sur Norah. Mon père et elle avait des problèmes de couple, et elle tenait Norah pour responsable de tout ce cirque. Mon père avait les yeux et les mains baladeuses, et ça, ma mère s’en était aperçue. Elle pensait que Norah en jouait et était donc quelqu’un de dangereux. Qu’elle me trompe n’était pas du tout étonnant pour elle. Que ce soit avec quelqu’un du même sexe la faisait passer pour le Diable en personne, qui plus est. Elle m’a même dit qu’elle avait fait exprès de partir avec une femme pour me rendre dingue. À l’entendre, rien de ce que fait Norah n’est normal, elle cherche toujours à faire plus que les autres. Plus choquant, plus drôle, plus original...

- Sébastien ?

- Oui, pardon.

- À quoi pensiez-vous ?

- Je pensais à ma mère. Elle est en rogne contre Norah pour les mauvaises raisons.

- C’est-à-dire ?

- Mon père est infidèle. J’en suis quasiment sûr. Et comme elle est jalouse de Norah, elle pense que mon père et elle…

J’ai marqué une pause.

- Ont eu une liaison ? A-t’elle terminé.

- Non, là, on irait loin. Mon père a déjà tenté des trucs avec Norah, ce qui l’a mise dans un état pas possible. À Norah, je veux dire. Et à ma mère, aussi, dans le même temps !

- Elle s’en est rendu compte ?

- Oui, et en même temps, quand Norah m’en a parlé, je me suis demandé comment j’avais fait pour pas voir ça. Je suis le seul idiot à rien avoir vu. Je m’en veux de pas l’avoir protégé ! Il a un regard lubrique, c’est malaisant ! Pourquoi il fait ça ?

- En avez-vous parlé avec lui ?

- Non ! Ça va pas ?

- Je comprends que ça vous mette mal à l’aise, mais cette confusion a l’air de vous poser de plus graves problèmes encore.

- Non, mais vous me voyez face à mon père et lui demander « Salut, t’as touché les fesses de Norah, la dernière fois, non ? Pourquoi t’as fait ça, au fait ? »

- Vous pourriez peut-être lui dire que vous voulez lui parler de quelque chose d’important, au téléphone, et lui donner rendez-vous lorsque votre mère sera absente. Ou dans un lieu neutre ou vous ne risquez pas d’être dérangés. Vous n’êtes pas obligé de lui dire que vous lui en voulez. Vous pouvez lui demander d’éclaircir une situation. Norah vous aurait parlé de quelque chose qui la met mal à l’aise et vous voudriez avoir son avis sur le sujet.

- Non, oubliez ça. Je pourrai pas le faire.

- D’accord, a-t’elle acquiescé d’une signe de tête. Et qu’est-ce que vous vous dites, avec votre mère ?

- Y’a qu’elle qui parle, souvent. Et je me contente de dire « mm », de temps en temps. Elle déblatère sur Norah qui est une mauvaise épouse et une mauvaise mère, sur les politiques qui nous prennent pour des imbéciles, sur sa voisine qui ne coupe pas sa haie, la boulangère qui, selon elle, trompe son mari, etc, etc.

- Je vois.

- On fait jamais ce qu’il faut, avec elle.

- Et que dit-elle sur votre père ?

- Rien ! Ils se disputent comme chiens et chats quand on est là mais en son absence elle ne s’en plaint jamais. Même s’ils se disputent, elle fait toujours comme lui a décidé, au final.

- Lui avez-vous déjà parlé de cette situation ?

- L’histoire de mon père avec Norah ? Non ! Surtout pas ! On la perdrait ! Elle commencerait un monologue qui ne prendrait jamais fin…

Je riais presque.

- Comment savez-vous qu’elle le sait ?

- C’est Norah qui me l’a dit. Elle pense qu’elle a des soupçons et du coup, qu’elle lui en veut. Puisque, évidemment, appuyais-je sur ce dernier mot, ce serait elle qui aurait tout fait pour que mon père fasse ça.

- D’accord, donc rien n’est clair. Votre mère pense que c’est Norah qui a séduit votre père. Norah pense que votre mère sait que votre père lui a fait des propositions, et vous, vous pensez que votre mère fait ça parce qu’ils ont des problèmes de couple, et que votre père l’a déjà trompée.

- Oui.

- L’idée n’est pas d’aller farfouiller dans la vie de vos parents.

- Ce serait malaisant, et ça me regarde pas.

- En effet. Mais vu les incidences que cela a sur votre vie et celle de Norah, je pense que vous devez mettre les choses au clair.

Elle a souri franchement, et a fermé son cahier avant de se lever.

- C’est fini ?

- Oui.

- Quand est-ce qu’on peut se revoir ? Ai-je demandé en m’asseyant face à son bureau. Enfin, ici, je veux dire…

Elle a souri pendant qu’elle s’asseyait à son bureau. Elle a baissé les yeux sur son agenda.

- La semaine prochaine ? Samedi à 10h, comme aujourd’hui ?

- Ok pour samedi 10h. Je peux régler par carte ? Ai-je demandé en la tenant en l’air pour appuyer ma demande.

- Oui, a-t’elle acquiescé en tendant la main pour attraper ma carte bleue. Je pense vraiment que vous devez parler à votre mère, ou à votre père. C’est très important.

- Je vais essayer…

Elle m’a redonné ma carte avec le ticket de paiement.

- Merci.

- Je vous raccompagne, a-t’elle annoncé avant de se lever.

- Oui, d’accord.

- À la semaine prochaine, a-t’elle conclus en tenant la porte ouverte.

- Oui, à la semaine prochaine ! Bonne soirée.

- Merci, à vous aussi.

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