Chapitre 71 - 18 février 2028
- En fait, t’es super cool comme fille ! Pourquoi tu traînes avec ces connes ? Franchement Sandra est vraiment malsaine, et Albane et Lou sont beaucoup trop bêtes pour être possiblement gentilles.
Lola gloussait.
- Non, mais, sérieux, c’est vrai ! Ai-je rétorqué
- Ouais, je sais, t’as raison, admettait Lola, en finissant de rigoler. Sauf pour Albane…
- Quoi ? - Elle est tout sauf bête, crois-moi ! Je l’ai regardée d’un air sceptique avant de reprendre :
- Franchement dès que Madame Sandra donne un ordre, les deux autres sont au garde à vous. Elles font n’importe quoi. Elle leur demanderait de sauter d’un ravin, elles le feraient, ces moutonnes, je suis sûre…
- Moutonne, ça existe pas ! M’a-t’elle repris en pouffant. Mais t’as tellement raison, sinon. Et en même temps, y’a une sorte de rivalité avec Albane… je sais pas. Le truc c’est que je sais même pas pourquoi elles s’en prennent à toi.
- Ah bon ?
- Non, je te jure !
- Non, mais attends, t’as bien une petite idée, quand même ?
- Franchement, à part qu’elle te supporte pas… Sandra, je veux dire.
- Ouais, j’avais deviné toute seule, ça !
- Ben sinon, je sais pas.
- Ma tête lui revient pas !
Je haussais les épaules.
- Pourquoi tu dis qu’elle a pas la vie facile ?
- Son père picole… enfin à chaque fois que je le vois, il sent l’alcool. Genre, une fois, elle avait raté le bus, il l’a amenée, et quand je suis allée jusqu’à leur voiture pour lui dire bonjour, j’ai tout-de-suite senti des relents de vins… beurk !
- Eurk…
On tordait toutes les deux nos bouches dans des moues de dégoût profond.
- Et puis c’est pas comme s’il était que 8h moins 10, quoi…
- Ça veut tout dire !
- Et sa mère, elle prend tellement de médocs qu’elle peut pas conduire. Son père y a fait allusion à un moment donné, justement. C’était malaisant !
- C’est chaud…
- Ouais, ils ont perdu leur fils y’a quelques années. Le frère de Sandra.
- Comment il est mort ?
- Accident de moto…
- Dur. Je savais pas tout ça.
- Ça s’est passé juste avant le collège. Elle était pas comme ça, avant. Je te jure !
- Et donc quoi ? Maintenant que je sais que la pauvre Sandra n’y est pour rien, qu’elle souffre, c’est pas grave, je vais la laisser me martyriser ? Sans rien dire, j’imagine ?
- Mais non, je dis pas ça…
- Quoi, alors? Ok, c’est dur. Je suis désolée pour elle. Mais qu’elle me fasse pas chier ! Je suis pas censée savoir tout ça en plus…
***
- T’espères quoi ? Que je vais me battre avec toi ? Compte pas là-dessus. La violence, c’est pathétique.
- Ça c’est ceux qui ont peur qui le disent.
Sandra s’était avancée vers moi. Elle m’a poussée fort en plaçant ses deux mains sur mes clavicules. Je ne disais rien, même si j’en pensais pas moins. Je voulais pas la provoquer, mais apparemment, ça avait l’effet inverse de celui que j’espérais. Je rigolais doucement.
- Ah ça te fait rire ?
Je l’avais vue arriver alors j’ai esquivé, de justesse, sa claque en me penchant sur le côté.
- Je sais pour ton frère. Je sais qu’il est mort.
- Et puis, quoi, connasse ? Tout le monde le sait.
J’avais marqué des points. Elle s’était rétractée, et était à nouveau en position d’attente, debout face à moi. Son visage paraissait toujours aussi méchant, mais la tristesse et la douleur apparaissaient plus, à présent. Ça lui avait fait du mal, et ça me soûlait parce que je commençais à avoir de la peine pour elle.
- Moi aussi, j’ai perdu mon frère.
- Et qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
Sur ce, elle est partie.
***
- Anouk ! C’est ta copine, au téléphone... Sandra.
- Quoi ?
Pourquoi elle m’appelle ici, celle-là ?
- Passe-moi ça!
- OK, a fait ma mère en levant les deux mains face à moi de chaque côté de sa tête, en position de soumission, après que je lui ai presque arraché le téléphone des mains.
J’ai vu Shannah sortir en hâte du bureau, et chuchoter des trucs à ma mère.
- Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? Ai-je dit sèchement au téléphone.
Ma mère a tourné la tête d’un air outré en m’entendant parler comme ça à mon interlocutrice. Je montais les escaliers quatre à quatre pour avoir un peu d’intimité.
- T’es pas facile à trouver ! T’as pas de portable, Lola m’a dit.
- Ben non, pas encore.
- Il est mort comment, ton frère ?
- Oui, je vais très bien, merci. Et toi ?
- Tsss… Pardon, c’est juste que…
- C’était mon jumeau. Il est mort avant ma naissance.
- Ah ouais… a-t’elle répondu, manifestement déçue.
- Oui. Pourquoi ? Tu trouves que c’est moins dur que ce qui t’arrives ?
- Ben carrément. Tu me sors ça comme si tu pouvais me comprendre. Comme si c’était super dur pour toi. Désolée, mais tu le connais même pas, en fait!
- Qu’est-ce que t’en sais, toi ? T’as un jumeau ?
- Non, mais je vois pas ce que ça change !
- Tout ! Je suis liée à lui. On a grandi dans le même ventre, en même temps !
- Et ben t’es encore plus givrée que ce que j’imaginais, ma pauvre.
- Et toi, tu te crois saine ? T’es complètement psycho. Faut que tu consultes. Et puis t’es qui pour comparer la souffrance des autres à la tienne ? Qu’est-ce que tu crois ?
- Allez, c’est bon. Dégage, pauvre folle…
Elle avait raccroché. Je descendais les escaliers en essayant de me contenir. Mais j’étais furieuse !
- Si cette pouf’ rappelle, tu lui raccroches au nez, OK ?
- …
- Norah ! T’as entendu ?
- Me parle pas comme ça !
- Pardon, Maman, me suis-je instantanément calmée.
- Oui, je lui dis qu’il n’y a pas d’Anouk, ici. Faux numéro.
Je rigolais nerveusement.
- Pff, t’es bête !
Elle m’a tiré la langue. Puis Shannah a regardé Norah d’une manière caractéristique, et ma mère a tourné les talons.
- Qu’est-ce qu’elle voulait ? M’a demandé Shannah.
- Rien.
- Elle vient jusqu’ici, maintenant ? Il faut qu’on aille voir le directeur !
- Non, c’est bon. J’ai tenté un truc, mais je crois pas que ça ait marché. Faut voir...
- C’est-à-dire ?
- J’ai essayé de lui parler de mon expérience douloureuse, en rapport avec la sienne.
- Top ! Mais qu’est-ce que vous avez vécu de similaire ?
- Elle a perdu son frère.
- Ah oui... a-t’elle répondu en soupirant longuement, les paupières closes.
- Bien-sûr, elle pense que pour moi, c’était rien. Que je souffre pas vraiment… patati patata !
- C’est normal. Laisse-lui le temps. Ça va mûrir et elle reviendra vers toi.
***
- Salut.
- Dégage, pauvre folle… l’ai-je imité en tournant les talons pour sortir des toilettes.
- Rrrh, a répondu Sandra en serrant les dents. Désolée… t’es pas folle.
Elle m’avait pris le bras pour m’empêcher de partir.
- Me touche pas, lui ai-je répondu en la poussant assez fort pour qu’elle me lâche.
- OK, c’est bon, je te lâche !
- Bon, qu’est-ce que tu veux encore ? T’es sans tes deux pitbulls ?
- J’ai fait des recherches… sur ce qui t’es arrivé. En fait, ça a l’air chaud.
- Oui, ça l’est ! Y’a pas qu’à toi qu’il arrive des trucs.
Pour seule réponse, elle a hoché la tête lentement.
- Même si je comprends que toi t’as bien connu ton frère, et que ça a du être hyper violent…
- Oui !
- Moi, quand je suis née, c’était déjà arrivé.
- Mais, du coup… ta mère elle a accouché de lui d’abord ?
- Non, elle l’a perdu, comme une fausse couche… Elle s’en est rendu compte pendant une échographie.
Il y a eu un blanc. Sandra intégrait les informations.
- Sur un site, ils disaient que les jumeaux nés seuls pouvaient ressentir toute leur vie le manque du jumeau qui est mort.
Je me raclais la gorge.
- Oui, voilà. C’est ce que je ressens.
- Je comprends pas, vous vous êtes pas connus !
- Tu peux pas comprendre, alors laisse tomber ! C’est comme si je le connaissais, il fait partie de moi ! Ça te rentre dans le ..? Ai-je fini par m’agacer en tapotant ma tempe avec mon index.
- Ah ouais, putain, c’est chaud !
- En vrai, on peut pas comparer ce que t’as vécu avec ce que j’ai vécu. Mais bon, voilà.
- On a perdu notre frère toutes les deux.
- Voilà !
J’envoyais ma main dans sa direction, paume vers le ciel, pour appuyer ses propos. Je reprenais profondément ma respiration.
- Je te trouve moins con quand t’es toute seule, presque normale, même !
Je pensais qu’elle aurait fait une blague, ou qu’elle rebondirait au moins sur cette réflexion. Mais non, elle est restée silencieuse quelques secondes. Je ne disais rien, la laissant venir.
- Avec Albane, tu sais, t’as intérêt à filer droit, a-t’elle finit par dire. Faut pas se plaindre, elle a tout le temps raison…
- Quoi ? Mais…
- T’as l’impression que c’est moi qui décide de tout, je suis sûre ?
- Ben carrément !
- Pas du tout ! Enfin, pas toujours, quoi. C’est… une vraie meneuse. Celle que tu remarques pas comme telle. Elle est complètement sous influence de sa mère. Elle est hyper stricte avec elle. Elle la gère sur tout : ce qu’elle mange, ce qu’elle porte, qui elle fréquente…
- Ah ouais ?
- Ouais. Quand je vais chez elle, c’est l’angoisse. Sa mère m’aime pas trop, je crois. Elle fait flipper, tu verrais! Elle se moque d’Albane devant nous, en plus.
- Ah ouais, chaud.
- Ouais, franchement je sais que mes parents sont pas les meilleurs, mais sa mère est vraiment trop dure avec elle. Elle commence à virer psycho, en plus. Albane, je veux dire.
- Avec la bouffe ?
- Ouais ! Tu t’en es rendu compte ?!
- J’ai vu qu’elle mangeait rien…
- Voilà ! Vu que sa mère fait que lui dire qu’elle va grossir si elle mange ceci ou cela. Qu’elle rencontrera jamais de mec, ou que des moches qui auront pas trouvé mieux qu’elle…
- Elle est grave.
- Et ça, c’est rien. Sa mère ramène toujours des mecs chelous, imbus d’eux-même. Des gros pervers, parfois, qui lui matent le cul et tout…
- À Albane ?
- Oui !
- Et sa mère, elle dit rien ?
- Elle le voit pas… De toute façon, Albane elle en est limite fière. Des gars plus âgés qui s’intéressent à elle, c’est un peu la victoire, tu vois ?
- Ah ouais, non mais là… ai-je dit sur un ton de désespoir.
- Ouais… j’ai essayé de lui dire que ça allait pas, mais elle me répond que je comprends rien. Je vais plus chez elle quand elle nous invite depuis quelques temps parce que sa mère est insupportable… Du coup, j’ai un peu coupé les ponts avec elle, quoi.
Tout-à-coup, j’ai eu une gros élan d’amour pour ma mère.
- Et Lou ?
- Ben Lou, elle est juste très bête.
- Ouais, ça, j’avais remarqué ! Ai-je confirmé en rigolant.
La sonnerie marquant la fin de la récréation nous a tirées de notre conversation. Je rougissais tout-à-coup. On avait vraiment parlé pendant tout ce temps ? Sandra paraissait gênée, elle aussi. À ce moment-là, Lola est entrée dans les toilettes.
- Euh, ça va ?
- Oui, oui, ça va, on parlait juste, a répondu Sandra. Bon allez, à tout !
- À tout…
- Ça va ? M’a redemandé Lola après le départ de Sandra.
- Oui, oui, ça va, t’inquiète pas !
- Elle est venue te faire chier, encore ?
- Non, je crois que c’est bon. Elle fait une trêve, là.
- Ah OK ! Mais vous parliez de quoi ?
- De tout et de rien…
Je ne sais pas pourquoi, mais je n’avais pas envie de lui en parler. J’avais envie de garder ça rien qu’entre Sandra et moi.
- On se met à côté en français ? Lui ai-je demandé pour calmer sa jalousie.
- Ouais !
***
Je sais pas vous, mais depuis quelques jours, je me disais que faire ami-ami avec une fille qui m’a frappée, c’était hyper malsain. Je vais mettre fin à cette relation, car je ne pourrai jamais avoir confiance en elle, et c’est donc voué à l’échec.
- Sandra ! Ai-je appelé des toilettes alors qu’elle passait devant.
- Ah salut ! S’est-elle arrêtée assez brusquement.
- Viens, s’il te plaît…
- Hé, je t’ai jamais dit, meuf, mais ton sac il est tout pourri! A-t’elle dit en s’esclaffant.
- Euh, je sais pas, je m’en fous, en fait.
- Oh là là, c’est bon, je déconnais ! Y’a une manif’ cet après-midi, on y va ?
- Non, je dois aller voir ma maîtresse de stage pour signer la convention.
- Sérieux ? Mais t’es vraiment chiante, en fait.
- Et ben c’est cool, t’as qu’à aller voir ailleurs, alors !
- Et t’as pas du tout d’humour, non plus !
- Tes « blagues », ai-je répondu en mimant les guillemets avec mes doigts, me font pas rire.
- Super, l’ambiance.
- Allez, c’est bon, je me casse...
- Oh, reste là ! A-t’elle renchérit en attrapant mon bras pour me demander de rester.
Je me retournais et me suis retrouvée face à elle.
- Pardon… c’est bon, j’arrête. Qu’est-ce que tu voulais me dire ? A-t’elle demandé calmement en se rapprochant de moi.
Elle me regardait intensément, et ça me gênait beaucoup. Je ne pouvais pas lever les yeux vers elle, par honte mais aussi parce que le soleil perçait à travers la fenêtre des toilettes. Ça m’éblouissait. J’ai dégluti avec difficulté.
- Ouah, t’as vraiment des yeux magnifiques !
- Merci…
Elle tenait son visage à quelques centimètres du mien. Tout-à-coup, j’ai compris qu’elle avait mis ses lèvres sur les miennes, pour m’embrasser.
- Tu fais quoi ? Lui ai-je demandé en arquant mon dos pour me retirer.
- …
- Je veux pas faire ça avec toi !
- Je le savais !
- Pourquoi t’as essayé, alors ?
- Non, je le savais que t’aimais les nanas.
- Quoi ? Mais j’en sais rien, en fait ! Je me suis jamais posé la question. T’as fait ça juste pour savoir si j’étais homo ?
- Qu’est-ce que tu croyais ? Que j’étais tombée amoureuse de toi ?
La sonnerie marquant le retour en cours a retenti.
- …
Je n’ai rien répondu parce que je voyais parfaitement que ce qu’elle disait était faux. Elle avait les larmes aux yeux, mais elle tentait de les refouler et de faire comme si elle s’était moquée de moi. J’attrapais sa main pour tenter de lui signifier ma compassion.
- Lâche-moi, tu fais quoi ? A-t’elle dit, sans conviction.
- Je m’y attendais pas, c’est tout.
Elle grattait les ongles de ses annulaires et majeurs avec ceux de ses pouces nerveusement. Elle avait baissé la tête.
- On va être en retard et j’ai pas envie d’aller chez le CPE. Il me voit trop souvent en ce moment !
- On s’en fout ! Viens, on attend que tout le monde soit parti en cours et on passe discrètement par derrière pour aller se balader ! Ai-je annoncé en la retenant, car elle essayait de partir en me cachant son visage. Hé… je suis désolée. J’ai mal réagi.
Elle a repris profondément sa respiration.
- Dis pas ça, c’est horrible !
On a attendu que tout le monde soit rentré, et, comme on l’avait prévu, on est sorties sans se faire remarquer par derrière la cantine. Il y avait un portail dont le traiteur se servait pour livrer les repas. Une fois sur la route, on a hurlé de rire.
- Franchement, on se barre comme on veut, ici !
- Oui, c’est pas très rassurant, d’ailleurs… me suis-je inquiétée.
- Allez, c’est bon, on s’en fout !
- On va au parc ?
- OK !
Une fois arrivées au jardin public, on est allées s’asseoir sur un des bancs.
- Je pense que c’est pas bien qu’on se parle comme si de rien n’était, toi et moi, ai-je repris, une fois posées.
- Comme si de rien n’était ? Exprime-toi, vas-y, je comprends pas !
Elle se raclait la gorge et avait enfoui la tête dans ses cheveux pour me cacher à nouveau son visage.
- Rrhhh, ai-je seulement réussi à articuler après avoir claqué la langue.
Elle avait à présent levé la tête, et son maquillage avait coulé à cause des larmes qui roulaient le long de ses joues.
- Tu m’as frappée, je te rappelle.
- Pardon, j’aurais jamais du faire ça. - Pourquoi tu l’as fait, alors ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Elle a soupiré longuement et n’a rien dit pendant plusieurs dizaines de secondes.
- Albane arrêtait pas de me prendre la tête pour que je sorte avec Hugo. Ça m’a rendue dingue !
Je levais les yeux au ciel, ne voyant pas trop le rapport avec moi. Mais je la laissais s’expliquer.
- Ce mec est un gros con, ai-je essayé de l’encourager à aller plus loin dans son explication.
- Oui ! Et tout ce qu’il veut c’est coucher.
- T’es pas obligée de le faire tout-de-suite.
- Avec lui, si. Et si je sors pas avec lui, Albane changera d’amis. Ça fait plusieurs semaines qu’elle me prend la tête avec lui. Avant, c’était Léo...
- Sérieux, t’en es encore là ? Albane est une grosse pouffiasse ! T’as pas besoin d’elle.
- Si ! Elle est belle, elle sort avec plein de beaux garçons, sa mère a de l’argent…
- Et puis ? Elle t’aimes pas, c’est pas ton amie, en vrai. Elle t’utilise.
Je marquais une pause.
- Toi aussi, t’es belle. Tu seras pas moins belle si tu traînes plus avec elle.
Elle a rougi.
- Me dis pas des trucs comme ça…
Je baissais la tête. Il fallait que je change de sujet, c’était malaisant, l’ambiance, là !
- T’es sortie avec Léo, non ?
- Vite fait ! Mais ça m’a pas du tout plu. Et quand je l’ai jeté, Albane m’a assez vite remis la pression parce qu’Hugo me tournait autour.
- C’est quoi son problème, à elle ? Tu lui as jamais dit que tu voulais pas ?
- Non… enfin, si, mais pas assez pour qu’elle comprenne.
Elle a dégluti avec difficulté. Elle regardait nerveusement dans tous les sens avant de finalement ajouter :
- Je suis pas lesbienne…
- Je t’ai rien demandé !
- OK…
- C’est toi qui sais, j’ai pas à juger.
- Ça marche pas trop avec les mecs, pour le moment, c’est tout… quand j’aurais trouvé le bon, ça ira mieux.
- Si tu le dis !
- Dis pas ça…
- Pourquoi ?
- C’est comme si tu me croyais pas !
- Tu te poses pas de questions ?
Elle n’a rien répondu, et est restée silencieuse pendant plusieurs secondes.
- Et toi ?
- Quoi, moi ?
- T’aimes les filles, alors, ou pas ?
- Non… je pense pas. Pour l’instant, j’aime personne.
- Ah ouais, bien grave, quoi !
Elle ricanait à sa blague douteuse.
- Je m’en fous de ce que tu penses, ai-je répondu en me levant du banc.
Je me dirigeais vers le collège en remettant mon sac sur le dos.
- Où tu vas ?
- À ton avis ?
- Mais non, reste. Tu vas te faire coller.
- De toute façon, ça va arriver ! Je vais pas rester ici toute ma vie en pensant que personne va venir me chercher. Me parle plus, OK ? Toi et moi, on n’a rien à se dire, en fait…
- Anouk ! Pardon ! Fais pas gaffe, je suis une grosse conne…
- Oui, ça, je sais ! Tu vas me demander pardon combien de fois, encore? Tu comptes t’en prendre à moi inlassablement, puis me demander de te pardonner à chaque fois ? Tu trouves pas que c’est hyper malsain ? C’est les pervers narcissiques qui font ça, pour info !
Elle est restée là, sans rien dire, avec le visage vide. Et moi, j’ai repris ma route jusqu’au collège.
***
- Putain, mais vous étiez où ? On t’a cherchée partout ! On a cru que Sandra t’avait fait du mal !
Lola était en stress.
- Mais non… ai-je marmonné en fronçant les sourcils.
- Les profs ont pas compris, t’as jamais séché ! Ils savaient pas quoi penser ! J’ai du les rassurer pour pas que tu te fasses griller et en même temps...
- Oh, c’est bon, tu vas me lâcher, oui ? Lui ai-je coupé la parole. J’ai eu besoin de mettre les choses au clair avec elle, c’est tout !
Silence.
- OK, désolée…
On n’a rien dit pendant plusieurs longues secondes.
- Pardon, ai-je finalement repris. Merci de t’être inquiétée.
J’ai soupiré avant d’ajouter :
- Ça va, je lui ai dit de m’ignorer, maintenant. Elle a des problèmes à régler...
- Anouk, viens me voir à la vie scolaire, s’il te plaît.
On s’est toutes les deux tournées vers le CPE qui s’était adressé à moi.
- D’accord, j’arrive.
Lola a tordu la bouche et a soupiré en signe de compassion.
***
- Madame Loiret nous a signalé ton absence en cours de français, tout à l’heure. Tu as des problèmes ? M’a interrogée le CPE maintenant que j’étais dans son bureau.
Il était nouveau de cette année. Avant on avait une femme complètement conne. Je savais que ce mec était nul niveau psychologie, mais franchement, il devrait prendre des cours, en ciblant la communication envers le jeune public. Qu’est-ce que je pourrai bien lui répondre ?
- T’as qu’à lui dire d’aller se faire cuire un œuf…
Je n’ai pas pu m’empêcher de rigoler. Il a haussé les sourcils de surprise.
- Pardon, c’était nerveux…
Maintenant, c’est sûr, il aura beaucoup moins de compassion pour moi. Je faisais taire mon double en me recentrant ce sur qui se passait en ce moment-même.
- Bon, écoute, j’ai entendu une partie de ta conversation avec Lola. Tu as des ennuis avec un autre élève ? Avec Sandra, par exemple ?
- Euh… ai-je bredouillé pendant qu’il laissait sa phrase en suspens.
- Ce qui m’étonnerait pas… a-t’il marmonné pour lui-même.
- Quoi ? Pourquoi vous dites ça ?
- Je suis ni aveugle ni bête, je vois bien qu’il se passe quelque chose de pas clair. Si tu as des ennuis, si elle te harcèle, tu peux en parler. Ici, ou à l’infirmerie. Il y aura toujours quelqu’un pour t’écouter et te soutenir. Il m’a tendu un tract.
- Sinon, voilà un numéro où tu peux être aidée de manière anonyme.
La sonnerie a retenti.
- Tu peux retourner en cours.
- C’est tout ?
- Comment ça ?
- Je suis pas collée ?
- Non, je pense que tu n’as pas besoin de ça. Tu nous as pas habitués à manquer les cours sans raison. Je me levais, perplexe.
- Vous allez en parler à mes parents?
- Oui, nous en sommes obligés. Tu es mineure et donc sous notre responsabilité… bref, tu sais déjà tout ça, non?
Je hochais la tête en signe de compréhension.
- Je lui en parlerai ce soir, de toute façon.
Il a eu l’air étonné, comme s’il n’avait jamais entendu ça.
- Et surtout si tu as besoin, n’hésite pas à venir me parler.
- Dis lui, merci, m’a pressée mon double, de retour.
- Merci.
- Et fais un sourire aussi, il cherche à t’aider.
Je tordais la bouche dans une espèce de grimace qui ressemblait à tout sauf à un sourire. J’avais l’air méchante, froide au mieux. Ce gars était certainement mieux que l’autre de l’an dernier. Après avoir quitté le bureau, je croisais Sandra, qui s’approchait de moi.
- Dégage, je t’ai dit.
- Bien parlé, te laisse pas faire par cette pétasse !
- Toi, tais-toi, j’ai pas besoin de toi, non plus ! Ai-je pesté intérieurement.
- Oh là là, Madame est de mauvaise humeur…
- Sandra, tu passeras dans mon bureau après les cours, s’il te plaît, lui a lancé le CPE de la porte de la vie scolaire.
- Qu’est-ce que j’ai fais ?
- Merci, à tout à l’heure, a renchéri l’autre en fermant la porte.
- OK…
Elle s’est mise à courir dans ma direction.
- T’as vu le vent qu’il vient de me mettre ? A-t’elle ajouté en rigolant.
- C’est quoi que tu comprends pas dans « arrête de me parler ! » ? Fous moi la paix, c’est clair ?
Franchement, cette fille n’a aucun respect pour rien. Faut qu’elle se fasse soigner. Elle avait du finir par comprendre ma demande car elle était restée plantée en plein milieu du hall d’entrée, sans comprendre ce qui lui arrivait vu la tête qu’elle faisait. Une bonne chose de faite. Elle était en train de regarder son téléphone, certainement pour se donner de la contenance. Elle avait l’air au bout de sa vie.
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