Chapitre 72 - 19 février 2028
J’en revenais pas de ce que je venais de réaliser. J’en ai eu le souffle coupé pendant quelques secondes, puis, j’ai expiré fort et bruyamment.
Cette nuit, j’ai fait un rêve bizarre, comme tous les rêves, quoi. J’étais en cours de sport, on faisait du hand, pour être plus précise, sauf que le sol était fait de dalles de mousse, ou je ne sais pas quelle matière est utilisée pour les tapis dans les dojos. Bref.
Quelqu’un m’a passé la balle, puis j’ai couru jusqu’aux cages en dribblant, j’ai tiré et j’ai marqué. Évidemment, c’était bizarre parce que je suis absolument nulle en sport, surtout quand c’est collectif. Et après avoir marqué, plusieurs membres de l’équipe sont venues me taper dans la main pour me féliciter, et l’une d’elles était Léa, la sage-femme que j’ai rencontrée au forum des métiers. La sage-femme qui a aidé ma mère à accoucher de moi.
Qu’est-ce que Freud pourrait bien en dire ?
J’ai eu un rire sarcastique. Peut-être que Sandra avait raison, j’étais folle.
C’était en repensant à ce rêve qu’un souvenir m’était revenu. Quand j’étais en sixième, j’étais dans la classe d’Albane. Sandra était en cinquième à l’époque. Lola était dans une autre classe de sixième et Lou n’était pas dans le même collège. Ce n’est qu’en troisième qu’elles se sont toutes - Albane, Sandra, Lou et Lola - retrouvées ensemble après que Sandra ait redoublé sa quatrième. Et moi avec, dans ce joyeux bazar.
Je disais donc qu’Albane et moi, étions ensemble en sixième. On ne se parlait pas trop, un peu mais sans plus. Un jour, elle m’a demandé si nous pouvions être dans le même groupe en sport. Albane n’était pas la même que maintenant, à l’époque. Elle était très jolie et plaisait déjà aux garçons, mais elle était moins... méchante. On sentait maintenant qu’elle était prête à tout pour arriver à ses fins. Elle était plus simple, à l’époque. Elle n’avait pas besoin de t’écraser pour te faire comprendre qu’elle était importante.
Le prof nous avait demandé de faire des groupes de quatre. On était avec deux autres filles et on devait faire un relais en athlétisme. Chacun des membres du groupe doit se placer à égale distance l’un de l’autre sur la piste et attendre que le membre précédent lui apporte le relais le plus vite possible. Dès qu’on avait le relais dans les mains, on devait courir le plus rapidement à son tour pour atteindre le membre suivant, et si on était le dernier, franchir la ligne d’arrivée avant les autres groupes.
J’étais à la dernière position, et évidemment, je n’ai pas couru assez vite pour atteindre la ligne d’arrivée avant le groupe avec lequel nous étions en compétition – le prof avait demandé à ce que nous formions six groupes de quatre qui s’affronteraient deux par deux, dans un premier temps, puis les gagnants de chacun d’eux s’affronteraient en finale décisive. C’est assez barbant à expliquer comme à lire et à essayer de comprendre, je suis d’accord avec vous.
Je sais que je ne cours pas vite mais c’est Albane qui a couru en deuxième dans mon groupe, et elle a perdu du temps par rapport à l’autre groupe. Je le sais puisque je ne faisais rien d’autre qu’attendre que le relais me parvienne, donc j’ai tout vu.
Et pourtant, une fois dans les vestiaires, elle est venue me voir et m’a dit – menacée serait plus approprié comme terme – que si on en était là c’était ma faute. Je l’ai regardée droit dans les yeux, et ai levé les sourcils en signe de faux étonnement, mais je n’ai rien dit. Plus personne n’en a jamais reparlé au cours de l’année mais je sentais qu’il s’était passé quelque chose. J’en avais mal au ventre, sur le coup, et maintenant en y repensant.
J’étais sûre que cette connasse était encore en colère à ce sujet. Sa mère a du lui dire que c’était important d’être forte partout, dans ses relations avec les autres, en sport, en cours, d’attirer le regard, les convoitises… même à mon jeune âge, ça me faisait froid dans le dos. Comment une mère pouvait se comporter comme ça avec sa fille ? C’était vraiment flippant.
Ce qui m’a mis la puce à l’oreille c’est tout ce que Sandra m’a expliqué à son sujet, bien-sûr. Mais c’est aussi une sorte d’intuition. Quelque chose que j’ai toujours ressenti en étant en présence d’Albane, depuis cet évènement en sixième. Avant ça, je ne sais pas ce que je ressentais. Rien de spécial, certainement.
Elle me glaçait le sang, cette fille. Sa manière de me regarder, de ne pas me regarder, de me parler, les rares fois où elle l’a fait… Elle avait un souci avec moi. J’avais atteint son égo, et croyez-moi, quelqu’un touché de cette manière peut être extrêmement dangereux. Mais jamais plus qu’une mère dont l’enfant est victime de harcèlement. Elle n’avait jamais digéré ça. Pourquoi exactement ? Je ne connaissais pas les détails mais je le sentais. C’était évident, maintenant.
Elle se servait de Sandra pour m’atteindre. D’une part parce qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour s’en prendre à moi physiquement. D’autre part parce qu’elle sentait que Sandra était prête à ça. Un frère décédé et plusieurs semaines de confinement avec ses parents dépressifs et drogués l’avait fait mûrir, dans le mauvais sens du terme. Et ça allait même plus loin que ce qu’elle avait espéré puisque Sandra avait des sentiments pour moi, mais évidemment elle ne l’avait jamais dit à Albane.
Je ne sais pas ce qu’elle lui avait dit sur moi, mais c’était suffisant pour que Sandra s’en prenne à moi. Albane est une manipulatrice. J’avais presque pitié d’elle. Plusieurs bribes de souvenirs m’étaient revenus ces derniers jours, où j’entrevoyais mes pseudo-interactions avec elle. Tantôt elle me jetait des regards provocateurs, tantôt elle essayait de m’intimider. Une fois elle a volontairement jeté de l’eau par terre sur le sol de la cantine pour que je glisse et que je tombe. Manque de bol pour elle, je l’ai vue faire mais j’ai fait comme si je n’avais pas vu et au dernier moment j’ai changé de cap. Elle était assez dégoûtée, je crois. Un autre élève est tombé, par contre. Tout le monde se foutait de sa gueule, bien-sûr. Jusqu’à ce qu’on réalise qu’il ne se levait pas. Il a été assommé par la chute et a eu la jambe cassée.
Personne n’a rien dit, alors que tout le monde savait qui avait fait ça. Les profs l’ont vue faire, aussi, mais aucun n’a bougé le petit doigt. C’est qu’un collège de merde. Tout le monde te dit qu’il faut être vigilant, qu’il faut s’entraider et toutes ces conneries mais personne ne veut prendre de risque. Ou alors ils s’en foutent carrément ?
Les parents d’Albane étaient très influents ici, ce qui faisait d’elle quelqu’un d’intouchable. J’en avais froid dans le dos. J’avais cinq ou six souvenirs de ce genre, en quatre ans. En fait, je réalisais qu’avant Sandra, Albane me harcelait déjà. Que si Sandra me harcelait, c’est parce qu’Albane la harcelait. Et que si Albane était comme ça, c’était à cause de ses parents qui lui font du mal à longueur de temps. Quel triste monde.
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