Chapitre 75 - 16 mars 2028
Je me suis réveillée en sursaut, et ai vu la place qu’occupe habituellement ma douce vide à côté de moi. Je suis descendue pour la chercher, plutôt agitée. Je sais pas pourquoi, j’étais stressée. Anouk était en train de prendre son petit-déjeuner.
- Coucou.
- Salut, chérie.
- On a fait la grasse mat’? m’a-t’elle taquinée.
- Je sais pas pourquoi j’ai dormi autant.
- T’es malade?
- Je couve un truc, peut-être, oui. T’as vu Norah?
- Je crois qu’elle est partie chercher le pain.
- OK, merci.
- Tu m’amènes toujours?
- Bien-sûr. Je me fais un café et on peut y aller.
- OK. Je vais me laver les dents, j’arrive.
J’essayais de joindre Norah, quant à moi. Elle n’a pas répondu à mon appel mais m’a envoyé un texto quelques secondes plus tard. En effet, elle était à la boulangerie. J’ai pas l’habitude qu’elle se lève avant moi! J’ai déposé Anouk au collège et lui ai demandé de me montrer qui était Sandra.
Promis, je lui parlerai pas mal. Je voulais juste qu’elle comprenne qu’elle doit arrêter de harceler Anouk sans quoi je prendrai des mesures plus radicales.
- Tu la vois?
- Non. Elle a du louper le bus, encore.
- Et je voulais te dire aussi, j’ai appelé le 3018, hier. J’espère que tu m’en voudras pas.
- OK. Ils t’ont dit quoi?
- Ben, que tu étais bien dans une situation de harcèlement, déjà.
Elle a ri jaune.
- C’est important de reconnaître ce qui t’arrives. Et d’être reconnue comme une victime par les autres.
- J’ai pas envie qu’on ait pitié de moi, en fait. J’ai rien fait, je veux juste qu’on me fiche la paix, c’est tout! Que tout le monde me fiche la paix. J’ai besoin de personne!
- Évidemment que si! Tu vois bien qu’elle t’écoutes pas! Qu’est-ce qu’elle doit faire pour que tu reconnaisses que tu peux pas rester seule, sans rien dire?
Anouk était en colère, je la connaissais comme si je l’avais faite. Elle disait rien et regardait droit devant elle.
- Pardon, c’était nul comme réaction.
Elle a soupiré.
- Je t’aime, je veux pas qu’on te fasse de mal, ai-je repris.
- Moi aussi je t’aime.
Je lui ai souri en la regardant.
- T’as grandi tellement vite.
Elle a ri.
- Arrête, ça me gêne!
- D’accord.
- Ils ont dit quoi d’autre sinon, quand t’as appelé le 3018?
- Qu’ils peuvent retirer les posts violant les lois s’il y en sur les réseaux. De prendre rendez-vous avec le principal.
J’ai soupiré avant d’ajouter :
- Et d’aller au commissariat. Qu’ils peuvent nous aider pour ça. Elle a mis ses paumes de mains sur ses joues, et se frottait les yeux. Puis elle a joint ses mains en posant son menton sur le dessus de ses pouces, et ses index sur l’arête de son nez. Elle était désespérée. La première sonnerie allait bientôt retentir.
- Allez, ma chérie, ça va aller. T’es pas toute seule. C’est l’heure d’aller en cours, là. Je reviens te chercher ce soir.
Pour toute réponse, elle a soufflé un grand coup et a ouvert la portière du pick-up pour sortir.
***
En rentrant, j’ai vu Norah avec les yeux fixant un point imaginaire face à elle.
- Ça va pas, ma puce ? Ai-je lancé en me rendant en hâte vers elle.
- Je reviens de la boulangerie, et j’ai appris qu’une fille du collège était à l’hôpital, m’a-t’elle répondu, blanche comme un linge.
- Ah bon ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Je sais pas, j’ai pas bien compris. Personne ne sait vraiment alors tout le monde mélange tout, et en rajoute un peu, certainement.
- …
- Sandra, c’est la fille qui a appelé ici, la dernière fois, non ?
- Elle s’appelle Sandra, oui. Mais c’est peut-être pas d’elle dont il s’agit...
- Peut-être pas.
- Qu’est-ce qu’on t’a dit ?
- Elle habite près du cinéma. Ses parents ne travaillent pas.
- Oh merde.
- Pardon, je me sens pas très bien.
- Qu’est-ce qui lui est arrivé?
- Elle aurait pris des médicaments et de l’alcool.
J’ai soupiré, désespérément.
- Cette fille est complètement perdue, donc ça ne m’étonnerait, en même temps.
- …
Elle a soupiré.
- Ma puce ?
- La dernière fois, a-t’elle commencé à se confier, j’étais complètement stressée. Je voyais bien qu’Anouk avait un souci, et je me suis dit que ça pouvait être avec ses camarades du collège. Alors j’ai voulu m’y rendre pour essayer de voir quelque chose dans la cour. En me cachant, bien-sûr. Je sais que ça se fait pas d’espionner…
- Je te juge pas.
- Quand je suis arrivée devant le collège les élèves étaient en train de rentrer, c’était la fin de la récréation. Je suis donc retournée au travail. Je comptais réessayer plus tard. Et en passant dans le centre-ville, je l’ai vue au jardin public avec cette fille. Elles avaient l’air de se disputer. J’ai détesté ça. Pas qu’Anouk sèche les cours, mais que quelqu’un d’autre s’en prenne à elle.
J’ai rougi en me raclant la gorge.
- Si tu savais, lui a lancé mon double.
- C’est pas le moment, toi, ai-je tenté de me recentrer sur ce que Norah me racontait.
- Tu devrais peut-être lui dire ?
- Ça servirait à quoi à part la stresser encore plus ?
- Je pense que Shannah a raison, Anouk a besoin d’aide, pas de gérer le stress de quelqu’un d’autre. Elle a besoin de se sentir épaulée, pas trahie.
- Merci.
- Chérie, tu m’écoutes ? M’a pressée Norah.
- Oui, pardon. J’ai été distraite. Je réfléchissais à la situation.
- D’accord… Je disais que je m’étais renseignée sur les autres élèves de la classe d’Anouk. Leurs noms, où ils habitent, etc...
- Comment tu as fait ?
- J’ai trouvé le trombinoscope de la classe sur son bureau. J’ai reconnu le visage de Sandra - il y avait les prénoms et noms des élèves notés sous chacune des photos. À la suite de ça, je l’ai revue plusieurs fois, à la sortie des cours, à l’UNSS… cette fille parle mal, se fait remarquer… Je l’ai cherchée sur les réseaux, aussi…
J’ai soupiré.
- Tu es déçue de moi ?
- Pas du tout.
- J’ai pas compris pourquoi elles se sont disputées mais en tout cas je pense qu’Anouk est pas bien à cause de ses problèmes avec elle.
- Bon.
Je marquais une pause. Non, je n’avais pas le droit d’en parler. Je devais me taire même si c’était très dur.
- Cette fille est perturbée, c’est clair, ai-je repris. Mais, qu’est-ce qui t’a fait penser que c’était elle qui s’était retrouvée à l’hôpital ?
- J’y viens, a-t’elle recommencé son récit, en s’asseyant. J’ai vu plusieurs posts, que j’ai signalés, d’ailleurs, où un autre élève du collège parle d’elle en propos… vraiment insultants.
Je crispais mon visage dans une moue de dégoût et de tristesse.
- Franchement elle a pas besoin de ça, ai-je commenté.
- Ah oui ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Elle vit déjà l’enfer à la maison…
- Ah bon ?
- Ses parents sont ravagés depuis la mort de son frère. Et elle aussi, j’imagine.
- Qu’est-ce qui lui est arrivé ? Au frère ?
Elle avait les larmes aux yeux. Je me suis approchée pour la prendre dans mes bras.
- Il a eu un accident de moto. Il roulait beaucoup trop vite, il faisait des wheelings. Apparemment il avait posé son casque juste au-dessus de sa tête, sans l’attacher. Bref, il est mal tombé, et il est mort.
- C’est horrible…
Sa voix s’est brisée dans un sanglot.
- Tu t’en souviens pas ?
- Oui, maintenant que tu en parles, ça me revient. Les gens parlaient que de ça, quand c’est arrivé. Mais j’ignorais, c’était intolérable. J’arrêtais pas de penser à sa mère et à son père qui devaient souffrir à un point inimaginable…
J’ai acquiescé en fermant les yeux.
- On en saura plus bientôt, Anouk va en apprendre davantage au collège. Les gens vont parler.
- En vrai, et pardon si ça te choque, m’a-t’elle presque coupé la parole, mais, je veux savoir si c’est bien elle qui est à l’hôpital et si ça a un lien avec Anouk. C’est pas que je m’en fous de ce qui lui arrive, pas du tout même…
- Je sais, ma puce… ai-je réussi à placer.
- Mais là ça va loin, tout ça. Il faut qu’on aide Anouk.
- Je l’aide déjà, elle n’est pas seule, ne t’inquiète pas. Elle a besoin de temps, aussi, tu vois ce que je veux dire ? C’est dur de parler de ses problèmes à ses parents, surtout à son âge.
- Oui, je sais, t’as raison. Elle te parle de ses problèmes et pas à moi, donc ça peut être assez stressant… J’ai confiance en toi, attention ! Je suis pas en train de dire le contraire. Mais qu’il y ait autant de zones d’ombre, ça me plaît pas.
- Elle a pas eu trop le choix, en fait.
- Comment ça ?
- De m’en parler…
Norah était dans l’attente, le regard fixe, les yeux agrandis par la peur.
- Je l’ai pas forcée, ai-je expliqué tout-de-suite, t’inquiète pas !
- Je me doute. Je te vois mal faire ça. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai vu des choses que j’étais pas censée voir. Et heureusement, en fait !
- Ah bon ?
- Les choses vont rentrer dans l’ordre, ça va aller.
- Elle souffre ?
Norah avait les larmes aux yeux, et le visage déformé par la tristesse.
- Il y a eu des choses difficiles à vivre, mais ça ne se reproduira plus.
Sur ce, on s’est fait un câlin. Je détestais la voir triste comme ça. Avoir un enfant, ça a vraiment l’air d’être difficile. Je ne pense pas que j’aurais eu les épaules assez larges pour ça, finalement.
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