2.1
Au milieu de la nuit, le Grand Qalam réveilla Pratha et Chree, tandis que Pravak était posté à l’entrée de la tente des rébéens. Par télépathie, le dignitaire ordonna aux adeptes de lui ramener la caisse contenant les bijoux rébéens. Seuls quelques hululements épars perçaient le silence de la nuit.
Bien, dans la salle de thé, ajouta le chef du Chram en pensée. Une fois à l'intérieur, les adeptes déposèrent soigneusement les caisses sur le comptoir.
«Jugh ta haîn», souffla le sage.
Elles s'enveloppèrent d'un léger halo lumineux avant de s'ouvrir devant lui. Bon, il va falloir nettoyer tout ça, déclara-t-il après en avoir inspecté le contenu. Chree, accablé de fatigue, amena les bijoux les plus massifs jusqu’au bac à vaisselle, dans la cuisine centrale. Pratha, quant à lui, récupéra les plus fins et les installa dans un autre bac équipé d’outils de nettoyage plus précis.
Une fois astiqués, les bijoux révélèrent des couleurs formidables. Le Grand Qalam observa avec un vif intérêt les différents matériaux utilisés pour leur fabrication, des émeraudes suspendues au bout de magnifiques chaînes d’or blanc aux bagues dont les chatons violacés reflétaient à merveille les rayons de Lune qui s'infiltraient par la fenêtre.
«Par Eshev ! s’exclama Chree, essayant l'un des bracelets autour de son poignet. Il doit y en avoir pour...
- Une fortune, compléta Pratha, dont l'esprit restait imperméable à toute forme de cupidité.
- Vous parlez si fort que l’on doit vous entendre jusqu’à Jarapour.
- Oh... pardon, on a oublié de... bredouilla Chree.
- Baissez simplement le ton de votre voix et tout ira bien ; je ne pense pas qu’ils nous entendent.
- Vous avez déjà vu ce genre de pièces, Maître ? demanda Pratha, les yeux perdus sur les inscriptions en rébéen gravées sur l’une des bagues.
- Je ne pense pas, non. J’ai déjà pu visiter la bijouterie princière, mais je dois reconnaître que leurs pièces faisaient pâle figure à côté de...
- Comment est-ce que de simples négociants ont-ils pu récupérer ce genre de choses ? coupa Chree, fasciné.
- Là est toute la question. Autant vous le révéler tout de suite : ils n’ont rien de «simples commerçants».
- Leur histoire me paraissait louche, à moi aussi, déclara Pratha.
- Eshev m’a envoyé quelques visions de la vie de leur chef, j’attends d’en voir d’autres s’il en vient. Quoi qu’il en soit, Chree, amène-moi de quoi écrire. Nous allons envoyer tout ça à Samsharadh. Les orfèvres de Bhagtatt vont être ahuris, je le sens.
- Le prince lui-même risque d’enfin prendre conscience d’à quel point il est ridicule, s’amusa Pratha qui ne le portait pas dans son cœur.
- Cela fait deux fois que tu es médisant ce soir, constata le chef du Chram, agacé.
- Je... Vous avez raison. Excusez-moi, Maître.
- Eh bien, pour te faire pardonner, c’est toi en personne qui vas amener les bijoux à la capitale !
- Vraiment ? soupira Pratha.
- Oui, vraiment. Tu partiras demain soir.
- Mais... Qui va s’occuper de surveiller les étrangers ?
- Gopta prendra ta place durant ton absence, ne t’inquiète pas pour ça.»
Chree reparut à l’entrée de la salle de thé, chargé du matériel d’écriture.
«Bien, dépose ça ici. Pratha, note ce que je vais te dicter.
- Très bien, répondit l’adepte, blasé.
À l’attention de son Altesse Bhagtatt Ier, Prince Sérénissime du Djahmarat:
Je prie Votre Excellence d’avoir la générosité d’accepter en votre palais mon disciple, Pratha, que vous aviez rencontré autrefois, au retour de votre dernière expédition vers le Sud. J'informe Votre Excellence que des négociants rébéens se sont récemment présentés aux portes de notre Chram. Tel que le dicte la Loi de l’Hospitalité, nous les avons accueillis parmi nous. Il se trouve que ces hommes ont tenu à nous offrir des bijoux en remerciement. Si j’envoie mon adepte chez Votre Excellence, c’est en vue d’obtenir une expertise de la part de vos orfèvres, renommés dans toute la région. Sachez qu’il n’est nullement dans mon intention de demander à Votre Excellence une faveur sans paiement en retour. C’est pourquoi, le jour du départ de mon disciple, ce dernier donnera à Votre Excellence deux bijoux de votre choix. En espérant que ce cadeau saura convenir aux goûts de Votre Excellence.
Avec mes considérations les plus respectueuses, Ghasnî Kopsheh, XXIIIème Grand Qalam du Chram d’Apourna.
- Vous voulez lui donner des bijoux, en plus ? demanda Pratha, irrité.
- Tout travail mérite salaire, même lorsqu’il s’agit de ce Prince que tu apprécies tant. Cela fait plus de dix ans que nous ne l’avons pas vu ; il s’est peut-être assagi, qui sait ?
- Pas convaincu... Enfin, puisque c’est le prix de mon pardon...
- Voyons, cesse de te plaindre. Cela te fera voyager un peu ! N’hésite pas à rester deux ou trois jours sur place, Bhagttat est toujours généreux lorsqu’il s’agit de me rendre service. Tu pourrais apprendre des choses intéressantes, notamment sur la situation de l’Empire.
- Le postier m'a appris que c'était le bazar, dernièrement, déclara Chree.
- Les étrangers me l’ont confirmé, répondit le maître. Bien, messieurs, rangeons tout cela et allons nous coucher.»
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