Chapitre 7
Un voile chaud avait recouvert la peau des Rébéens. Sayyêt se crut sous le bon vieux Soleil de sa province d’origine. Faim et soif avaient disparu, un léger parfum de sucre raffiné parvint jusqu’à ses narines. Le bruit d’un ruisseau berçait ses oreilles. Il se hasarda à lever les paupières, étonnamment légères, et découvrit un ciel drapé dans des nuages dorés. Il contracta ses muscles et tenta de se lever ; sans succès.
« Reprends ton calme » , souffla une voix masculine.
La singulière acoustique de l’endroit la fit rebondir de tous côtés jusqu’à envelopper le corps de Sayyêt, qui finit par s'assoupir.
« Nathu… Où suis-je ? »
La sensation de fraîcheur et de bien-être dans sa gorge lui signifia qu’il avait bu, quand bien même il n’en avait aucun souvenir.
« Que vos doutes soient levés, je ne vous veux aucun mal ».
La voix était suave et mélancolique à la fois. Elle poursuivit :
« Je puis vous dire que vous avez attiré l'ire de mon protégé. Bien que vos actions m'aient également déplu, je pense qu’à votre place, j’aurais également agi de la sorte. Je vous demanderais simplement de lui présenter vos excuses, une fois vos esprits retrouvés. Là… là, Kéber, attends un peu, tes forces ne te sont pas encore revenues. »
L’intéressé resta stupéfait. Quelle magie inconnue lui avait permis de lire son esprit alors qu'il était inconscient ?
« Laisse la pression redescendre. Les battements de ton cœur doivent être entendus depuis l’autre bout de la forêt ; ton pouls a de quoi rappeler celui d'un lapin ! »
Un rire s’éleva de tous côtés, d’une sincérité aveuglante, clair comme celui d’un enfant et calme comme celui d’un vieillard. La mélodie fit vibrer jusqu’aux tripes des Rébéens et chatouilla leurs âmes. Ces derniers finirent par s’y joindre, sans tout à fait comprendre pourquoi, et des vibrations chaudes emplirent l’endroit. La symphonie baissa progressivement en intensité avant de s’éteindre après une minute.
Une silhouette passa entre les hommes, plongeant par instants son regard de jade dans celui des Rébéens étalés. Jébril, Malki et Yahoun virent deux bras plaqués sur son dos sec, tandis que Sayyêt, Kéber et Djéma auraient juré qu'ils étaient croisés en avant, trônant sur un torse sec comme une noix. Un menton pointu était terminé par une barbe blanche longue de trois paumes. La peau de l’homme était pourpre, ce qui acheva de surprendre les étrangers. Quel genre de métissage pouvait être à l’origine d’un tel physique ?
« Messieurs, je pense que vous avez encore besoin d’un peu de sommeil. Vos pauvres enveloppes étaient en piteux état, lorsque je vous ai trouvés ! Les épreuves que vous avez traversées sont véritablement effroyables !
- C’est le moins qu’on puisse dire… souffla Jébril, peu rassuré d’être en présence d’un être si puissant et qui, à la moindre contrariété, pourrait les soumettre à n'importe laquelle de ses volontés. Pourriez-vous nous dire qui vous êtes et répondre à la question de mon chef, s’il vous plaît ?
- Laissez à la Lune le temps de tomber, comme on dit ! Vos corps ainsi que vos âmes ont besoin de repos. Je souhaite néanmoins balayer le doute qui se maintient dans votre esprit, Jébril ; je n’ai aucune intention néfaste à l’encontre de qui que ce soit ici. Je sais combien il est dur pour vous d’entendre une fois de plus cette phrase émoussée par les trahisons, mais vous pouvez me croire. »
Un barrissement discret résonna, bientôt suivi par des pas lourds et quelques battements d’ailes. L’homme sourit, glissa une main sur la trompe de l’éléphant aux yeux de cristal et déposa un baiser sur son front.
« Ne pensez-vous pas qu'il aurait été regrettable qu'un si bel animal finisse dans vos estomacs ? »
L’éléphant-nain répondit en râlant.
« Le sens de l’humour n’est pas son fort. Enfin, permettez-moi, chers hôtes, de vous garantir un sommeil des plus réparateurs. »
L’homme s’absenta un instant et laissa le pachyderme en compagnie des Rébéens. Sayyêt se hasarda à croiser son regard et y découvrit une profonde rancœur. La culpabilité se remit à le ronger et il demanda, à mi-voix : « Pardon. »
Alors l’animal assouplit son expression et leva la trompe en barrissant, avant d’aller chercher son propriétaire.
Le peau-pourpre reparut après quelques instants, tenant une large flûte quasi-transparente dans la main droite. De très nombreux trous avaient été creusés de chaque côté. Malki, pourtant porté sur la musique depuis bien des années, fut stupéfait de découvrir cet instrument dont les proportions et l’utilisation semblaient invraisemblables.
L’homme sourit au colosse Rébéen et prit place sur un rocher qui, crut Jébril, ne se trouvait pas là auparavant. Il plaça ses dix doigts sur dix des trous de l’instrument et prit une inspiration. Puis une deuxième paire de bras vint en renfort et boucha dix trous restants. Alors le peau-pourpre prit une profonde inspiration et entonna un chant qui renvoya les Rébéens tout droit dans le Royaume des Rêves.
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