8.4

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 Une odeur de soufre. Des nuées d’oiseaux hurlants qui volent derrière lui. Des bruits d’explosion et de pierres brisées comme de la porcelaine. Des enfants et des femmes qui pleurent, cachés dans la pénombre d’un grenier. Les décharges de fusils-lasers qui transpercent l’air froid et humide. Un éléphant culbute sur un monticule et se fait embrocher par des peaux-bleues. Une charge de cavalerie s’effondre sur les défenses de la forteresse.

 L’angoisse et la sueur au corps, Pratha s’élance hors de la réserve en-dessous du grenier et contemple avec effroi ce paysage koshkesque. D’énormes traînées de fumées empêchent de distinguer le moindre nuage dans le ciel. Le soufre s’introduit dans la gorge et vient saturer les poumons.

  « T’es con ou quoi ? Mets ça ! » gueule un colosse recouvert de métal des orteils jusqu’à l’extrémité des cheveux.

 Il tend une sorte d’affreuse coccinelle de métal, surmontée de ces deux grosses lunettes de verre d’obsidienne. Pratha accepte sans bien savoir pourquoi et attache les sangles à l’arrière de son crâne. Le fer écrase son front, bientôt son visage dégouline de sueur.

 « Allez, reste pas planté là ! » braille l’autre.

 Pratha est emporté par une vague humaine vers la cicatrice béante qui a été taillée dans la forteresse. Le drapeau de Jarapour, maculé de suie, flotte péniblement en direction du champ de bataille.

 L’affrontement est un carnage sans nom, les corps bleus et blancs s’entassent les uns sur les autres comme une plage de sable blanc sur laquelle viendrait se vautrer une mer turquoise. Les derniers rayons du soleil ont disparu. Une chaleur intense parcourt le corps de Pratha. Un gradé au fort accent jarapouri parvient à faire siffler sa voix dans nos oreilles, malgré l’orage de décibels tout autour.

  À ses « avoncez, pour le song des oncêtres, avoncez ! », un homme en face répond des ordres en Rébéen ponctués d’insultes.

 L’adepte abat un premier homme. Il voit l’abdomen d’un peau-blanche se déchirer sous la pression du laser, et laisser place à un épais filet de sang. Un sentiment d’horreur indicible l’envahit à la vue de ce liquide, à la couleur absolument identique à celle qui sortirait des tripes d’un Djahmarati ou d’un homme quelconque. Il hurle.

 Un deuxième raz-de-marée humain l’emporte dans une brèche formée dans les troupes ennemies. L’adepte est incapable de lever son fusil une nouvelle fois. Il ne se rappelle pas avoir déjà ressenti un tel désir d’être au Chram, à l’abri de ce carnage insensé derrière les murs. Même les râleries du Grand Qalam auraient été une bénédiction si elles avaient pu couvrir les affreux cris d’agonie qui emplissaient l’air.

 Un ennemi approche de son côté droit et brandit sa baïonnette bien haut. « Ya l’mahady wê l’Qasriy ! » hurle la voix. Pratha distingue une petite paire d’yeux derrière le casque. Il prend le temps d’examiner ce visage à la peau non pas blanche mais bien familière… Et finit par découvrir son propre reflet.

 Il n’a plus la force de demander pourquoi : la pointe de métal perce son flanc comme une vieille gourde. L’adepte se vide peu à peu et finit par sombrer dans une mort dont il sent qu’elle n’aboutira à aucune réincarnation.

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