Ma lieutenante

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On parlait souvent littérature avec ma chef de com. Elle adorait Proust. Moi : « Quoi ? Personne ne voulait de ses écrits. Heureusement qu’il était riche, il a pu se publier à compte d’auteur ». Elle : « oui, mais non, quand même, du côté de chez Swann… » Moi : « Du côté de chez Swann ? Je ne savais pas que c’était de lui, je pensais que c’était de Dave »

- Dave ?

- C’est un chanteur, des années 70 et 80.

Ma chef de com est née bien après tout ça. Au lycée elle a été lauréate d’un concours national de grec ancien. Du coup elle a fini dans la meilleure prépa de Paris en hypokhâgne et khâgne. Alors qu’elle était admissible à l’ENS, elle a décidé de s’engager dans l’armée de Terre ! Mais bon, elle était nulle en orthographe. Un jour à table au mess, elle m’exposait son admiration pour Camus, sa philosophie particulière qui arrivait à justifier l’injustifiable.

- Lieutenant, il y avait aussi un autre docteur en philosophie qui avait exactement la même démarche, vous savez comment il s’appelait ? Joseph Goebbels.

En fait, j’exagérais un peu. Goebbels n’avait qu’un doctorat en philologie… Mais en repensant à Camus, je me disais que c’était bien dommage, finir ainsi dans un accident de la route… Un petit clic vaut mieux qu’un grand clac. (Campagne du slogan de la sécurité routière en 1975, pour que les automobilistes mettent leur ceinture). Mais ça n’aurait servi à rien. Il ne conduisait pas, il était à la place du mort. Et le choc contre le platane était tellement violent qu’il s’est retrouvé coincé sous le tableau de bord. Ils ont mis 2 heures à le sortir. Le conducteur s’en est sorti. Mais il est mort aussi quelques jours plus tard. C’était le neveu de Gallimard. On reste dans le thème de la littérature. Finalement j’ai reçu un rendez-vous de ma lieutenante sur mon agenda Outlook. Le thème de la réunion était : « R.H. » En allant manger avec elle et en passant au bord des bassins de nénuphars, je lui ai demandé :

- J’ai vu votre demande d’entretien RH sur mon agenda, alors ça y est, je suis viré ?

- Je ne peux rien vous dire maintenant, on en parlera vendredi.

Elle n’avait jamais viré personne avant. Depuis, elle a démissionné. J’ai eu des nouvelles, elle est très heureuse dans sa nouvelle vie. Moi aussi.

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