Chapitre 21 : Sortilèges
— On ne peut pas les garder ici ! s’exclama Kimiati en entrant dans sa tente.
— Je ne savais pas quoi faire ! Tu aurais préféré que je les laisse mourir ? disait Léarco.
— Évidemment que non, mais pourquoi les amener ici ? Ce sont des Wesi !
— Il s’est passé quelque chose, Kimiati.
La générale l’invita à s'asseoir, il prit donc place en face d’elle. Le visage sérieux, il se lança :
— Je crois avoir retrouvé Sheireen.
— Raconte-moi.
— Ils n’étaient plus que sept quand je suis arrivé, un groupe de déserteurs avaient attaqués et mis le feu à leur village. Orion était avec moi, donc j’en ai fait monter quatre sur lui tandis que trois se mettaient derrière moi. Nous avons atterri dans un champ près d’un autre village, je voulais les laisser là, Kimiati.
— Que s’est-il passé ?
— Orion a refusé de laisser partir une jeune fille. Elle s’appelle Reen. Cheveux brun, yeux bridés et noirs. Une Wesi comme les autres.
— Tu penses que c’est elle ?
— Je ne sais pas. Elle ne lui ressemble pas. Elle ne me reconnait pas. Elle ne reconnait même pas son dragon. Mais Orion est convaincu que c’est elle. Si Rowenn était là, il nous dirait de faire confiance aux liens qui unissent un dragon à son dragonnier. J’ai donc décidé de l’amener avec moi.
— Pourquoi avoir amené les autres aussi ?
— Comme je te l’ai dit, ils étaient sept survivants. Je n’en ai emmené que deux en plus de la fille. Ulric et Joan. Ce dernier semblait assez proche de Reen, j’ai fini par apprendre qu’ils étaient amis depuis qu’elle était arrivé au village. Quant à l’autre, il veut entrer dans notre armée.
— Tu fais encore confiance à un Wesi après Lazuly ? souriait gentiment la femme.
— Oui. Pendant mon voyage, j’ai vu la vie des Wesi. Ils sont comme n’importe quel Zaléniens. Je pense qu’il ne faut pas faire d'amalgame. Lazuly nous a trahis, mais ça ne veut pas forcément dire que Ulric, Joan ou Reen vont nous trahir aussi.
— Tu es devenu sage, Léarco.
— Je ne pense pas que je suis sage, j’ai juste enfin compris contre quoi je me battais. Les seuls fautifs sont les Sharaka. Et je compte bien m’occuper d’eux pour le bien de Zalia, mais aussi pour Wesiria.
§
Essayant de ne pas faire attention aux regards des Zaléniens autour d’eux, Reen attendait en compagnie des deux autres Wesi près de la tente de la rousse. Léarco avait dit que c’était à générale du camp. Leur destin était maintenant entre ses mains.
— Tu n’aurais pas dû me suivre, Joan, chuchota-t-elle.
— Oli aurait voulu que je te protège.
— Oli est mort. Tu ne lui dois plus rien.
— Je sais, mais tu restes mon amie, Reen. Et qu’importe le choix que tu fais, je te soutiendrais.
Reen en resta sans voix, elle ne savait même pas pourquoi elle avait suivi ce Léarco. C’était comme si une partie d’elle lui faisait entièrement confiance. Pourtant, il ne lui rappelait rien.
Le jeune homme sortait justement de la tente, il semblait soucieux mais déterminé. Lorsque la brune croisa son regard, il lui sourit sincèrement.
— Suivez-moi, on va aller vous trouver des tentes.
Les regards les suivirent le long des allées créer par les rangées de tentes beiges. Ils n’étaient pas les bienvenus. Pourtant, Léarco fit tout pour les mettre à l’aise. Il leur trouva deux tentes ainsi que des vêtements et des couvertures. Ulric reçu aussi une armure de spadassin et une lance.
Il leur montrait la grande tente où étaient servis les repas lorsqu’une alerte fut lancé.
— Retournez à vos tentes ! ordonna le jeune homme en dégainant sa longue épée.
— Que se passe-t-il ? demanda naïvement Joan.
— Nous sommes attaqués, le cor a sonné trois fois. Je dois y aller.
— Je vous accompagne, lâcha Ulric. C’est le moment de faire mes preuves.
— Tu n’as pas encore été entraîné. Tu n’arriveras qu’à te faire tuer. Je ne sais pas comment ça se passe en Wesiria, mais ici, nous n’envoyons pas nos soldats au combat sans un minimum de préparation. Restes avec les autres pour le moment.
L’homme serra les dents mais acquiesça, il emmena ensuite avec lui des deux jeunes gens.
Léarco les regarda s’éloigner, pensif. Si comme le disait Orion, Reen était Sheireen, il se serait plus attendu à ce qu’elle se propose à le suivre. Il l’avait entendu raconter à Joan comment elle avait abattu les déserteurs. La brune était clairement douée. Mais cela faisait-il d’elle Sheireen ?
“Léarco ? Où es-tu ? Les combats vont commencer. Tes troupes t’attendent.” disait Apala d’une voix mécontente.
“J’arrive.”
§
Allongé sur son lit de camp, le regard perdu dans le beige du tissu de sa tente, Reen écoutait les bruits de bataille qui venaient jusqu’à elle. Les garçons étaient dans la tente d’à côté. Probablement que Joan se démenait pour empêcher Ulric d’enfiler son armure et de partir combattre. Elle sourit doucement, la jeune femme était contente qu’ils soient venus avec elle malgré le fait qu’ils ne se connaissaient que depuis quelques mois.
Son esprit finit par se perdre vers Léarco. Et s’il ne revenait pas ? C’était à cause de lui qu’elle était là.
§
“Tu n’étais pas concentré.” disait la dragonne.
“Désolé, c’est à cause de cette fille. Je ne sais pas quoi faire.”
“Tu devrais demander conseil à Rowenn pour régler ça au plus vite. Nous avons une guerre à gagner.”
Le dragonnier acquiesça doucement. Il fallait qu’il se trouve un endroit calme pour contacter le mage. Il mena donc Apala à l’ombre d’une dune derrière le camp.
“Empêche quiconque voulant me déranger, je n’en ai pas pour longtemps.”
Assis les jambes croisé, il ferma les yeux. Il ne se souvenait pas avoir déjà communiqué sur une si grande distance. Respirant un gros coup, il envoya son message à Rowenn.
“Rowenn, c’est Léarco, j’aurais besoin de ton aide. Réponds-moi si tu le peux.”
“Mon prince. Est-ce au sujet de votre sœur ?” répondait l’homme presque immédiatement.
“Non, pourquoi ? Que s’est-il passé ?”
“Elle a fugué cette nuit. Nous sommes convaincus qu’elle va chercher à vous rejoindre.”
“Pourquoi voudrait-elle venir au front ?”
“J’ai entraîné votre sœur. Zalénia est une dragonière, elle aussi, maintenant.”
“Comment ?! Pourquoi ne pas m’avoir prévenu plus tôt ?!”
“Votre mère, sa Majesté, ne voulait pas que Zalénia parte au front. Elle ne voulait probablement pas que vous vous en mêliez.”
“Je vois. Zalénia a un dragon, je présume. Je guetterais donc le ciel à partir de maintenant.”
“Bien. Vous aviez besoin de mon aide ?”
Le prince lui raconta alors les événements survenus ces derniers jours. Il n'omettait aucuns détails et le mage lui dit exactement ce à quoi il s’attendait. Cela ne pouvait être que Sheireen si Orion le disait.
“Comment révéler son vrai visage ? Comment lui rendre ses souvenirs ?”
“Je vais t’apprendre un sort pour tout d’abord révéler les sorts qui pourraient être à l’œuvre autour d’elle. Il faudra ensuite que tu me décrives exactement ce que tu verras autour d’elle. Compris ?”
Le jeune homme acquiesça avec sérieux et apprit rapidement le sort en question. Il demanda ensuite à Apala d’aller chercher Reen. La dragonne revint quelques instants plus tard avec la jeune femme.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle à peine arrivé.
— Tu te souviens de ce que je t’ai dit le jour où on s’est rencontré ? Lorsque le dragon n’a pas voulu que tu partes ?
— Oui. Tu disais qu’il me prenait pour quelqu’un d’autre. Que je n’étais peut-être pas vraiment Reen.
— J’ai un sort pour savoir si Orion avait raison ou pas.
— Et si je ne voulais pas savoir ? Et si j’étais très bien en tant que Reen…
Sa voix baissa doucement, elle ne croyait même pas en ce qu’elle disait.
— Qu’y a-t-il ?
— Rien, une sorte de pressentiment. J’ai l’impression que je dois te faire confiance mais je ne comprends pas pourquoi.
La jeune femme croisa son regard, il lui souriait. Léarco demanda alors doucement :
— Tu veux bien me laisser faire ?
— Que dois-je faire ? demanda-t-elle avec détermination.
— Rien, assis toi et essaies de ne pas trop bouger.
La Wesi obéit et le Zalénien commença à énoncer ce que lui avait appris Rowenn.
Au début, rien ne se passa. La brune avait pourtant l’impression que l’incantation glissait sur sa peau, lui donnant la chair de poule. Un symbole apparut soudain sur sa joue, mais seul Léarco le vit. D’un noir profond, on aurait dit qu’il aspirait toute la lumière du soleil. L’ombre de la dune s’allongeait, coulant presque jusqu’à atteindre les deux jeunes gens.
D’autres symboles apparurent rapidement, grignotant le visage et les mains de Reen. Elle restait pourtant immobile, les yeux plantés dans ceux du jeune dragonnier qui continuait à psalmodier.
Les symboles étaient si nombreux, que bientôt, ils recouvrirent toutes la peau de la Wesi. Léarco tomba alors à genoux, il se sentait vraiment faible, comme si le noir des signes lui aspirait son énergie. Il lui semblait impossible de s’arrêter de parler, c’était les symboles qui décidaient.
— Léarco ? dit simplement Reen.
Le visage tourné vers le sol, le prince ne l’avait pas entendu s’approcher. La formule était finie, il était épuisé. Relevant doucement la tête, le jeune homme se figea de stupeur. A quelques dizaines de centimètres de lui se tenait le visage de Sheireen. Les yeux violets, les cheveux bleus, les oreilles pointues, la fine bouche, le long nez, l’air mutin, tout y était.
— Sheireen… laissa-t-il échapper dans un souffle en s’approchant.
Il posa sa main sur sa joue, voulant vérifier qu’elle était bien réelle. Le rêve se brisa lorsque la jeune femme ouvrit la bouche :
— Je t’ai déjà dit que je préférais que tu m’appelles Reen tant que je n’ai pas retrouvé ces supposés souvenirs.
Les cheveux bleus laissèrent place aux cheveux bruns et les yeux violets redevinrent noir. Sheireen se cachait bien derrière Reen mais elle semblait hors d’atteinte.
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