Chapitre 22 : Échecs
Les paupières closes, le jeune homme semblait rêver. Ainsi, on aurait pu le prendre pour n’importe qui, innocente créature.
Deux êtres, identiques à lui, se tenaient près de sa tête, le regard fixé sur les yeux qui bougeaient derrière les paupières pâles de leur frère.
— On dirait que tout ne se passe pas comme prévu, fit remarquer Niamor en se redressant.
— Comment ça pourrait mal se passer ? Personne ne fait le poids face à Irtimir sous cette forme.
Maeko était trop confiant et Niamor le savait bien. Pourtant, il se garda de le lui faire remarquer. Il ne voulait certainement pas se disputer maintenant avec lui.
— Nous pourrions voir par nous même, proposa-t-il avec calme.
L’autre acquiesça avec un grognement et posa sa main sur la tempe gauche du brun endormi. Niamor l’imita en posant délicatement ses doigts sur la tempe droite. Ils fermèrent les yeux avant d’être propulsés mentalement dans l’esprit de leur frère.
Ils survolaient une cité creusée dans une roche sombre. Chaque rue étaient illuminées d’une lumière étrange, car il faisait nuit, ou du moins le ciel était noir.
Les deux wesi ressentaient l’envie de sang de leur frère à la vue des zaléniens qui couraient dans tous les sens. Il avait déjà semé pas mal de pagaille, mais ce n’était pas pour ça qu’il avait traversé les lignes ennemies.
“Irtimir, l’as-tu repéré ?” demanda Maeko.
L’autre répondit par la négative. Il y avait trop de monde pour repérer une aura à cette distance. Il perdit donc de l’altitude, frôlant les toits les plus hauts. Et créant encore plus de panique parmi les habitants d’Ors.
Tout à coup, une douleur cuisante à l'abdomen lui fit perdre le contrôle. Il s’écrasa dans la rue principale. Irtimir se releva difficilement, sous cette forme, il était bien plus agile dans les airs que sur terre.
Devant lui, se tenait une dame, presque vieille. Pourtant, son aura était puissante, il pouvait le sentir.
“Abat moi celle-là. Nous n’avons pas de temps à perdre.” ordonna Maeko.
La créature grogna et cracha une décharge d’énergie sur la femme. Mais cette dernière la dévia d’un coup de main.
— Où est l’aura d’or ? articula difficilement Irtimir.
— Il est déjà loin, ricanna-t-elle.
Il rugit de frustration et envoya valser sa queue lisse vers elle. Évidemment, la magicienne créa un bouclier, mais le choc fut si puissant que ce dernier vola en éclat. Elle fut projetée contre un mur jaune. Son auberge.
— Tu vas mourir, lui sifflait la créature.
— Tant que je te retiens ici le plus longtemps possible, ça m’est égal.
Merla se releva en époussetant ses jupons et attaqua enfin. Une flamme aussi lumineuse que le soleil heurta de plein fouet l’ennemi. Malheureusement pour la zalénienne, elle avait affaire à une créature créée par Irtimir. Cette dernière, semblable à un dragon par sa taille, n’avait pourtant aucune écaille. Sa peau étrangement lisse et grise laissait glisser comme de l’eau la moindre attaque.
Ainsi, le feu ne lui fit rien.
— Démon… murmura la femme.
L’autre l’entendit et ricana. Il glissait lentement sur les pavés, sa queue détruisant les bâtiments autour de lui.
— Je suis Irtimir, l’un des Sharaka. Tu ne peux rien contre moi, magicienne de pacotille. Maintenant dis-moi par où est partie l’aura d’or.
— C’est faux, tout à l'heure, tu es tombé du ciel à cause d’une de mes attaques, n’est-ce pas ?
Il ne répondait pas mais son silence en disait long.
— Je n’ai qu’à recommencer.
Elle plaça ses mains contre sa poitrine et murmura une incantation. Une lumière blanche commença à poindre entre ses doigts.
“Ne la laisse pas attaquer !” intervint Niamor.
Irtimir prit donc son élan et bondit sur la magicienne. Il était sur le point de lui transpercer le corps avec ses dents lorsqu’elle libéra son pouvoir.
Le brun ouvrit brusquement les yeux. Ses frères se tenaient encore au-dessus de lui.
— Qu’était-ce ? Cette attaque ? demanda Maeko furieux.
L’autre haussa les épaules et Niamor prit la parole :
— Aucune idée, mais elle n’a pas pu survivre à autant de puissance. Et puis même si elle avait survécu, le corps de la créature a dû l’écraser. Tu étais sur le point de la tuer avec tes crocs, elle a surement était transpercé de toute façon.
— Nous devons y retourner ! s’énervait Maeko.
— Irtimir n’a plus de créature et nous ne savons pas par où est partie l’aura d’or.
Il y eut un silence, Irtimir en profita pour se redresser et se masser le torse. Peu importe que cette sorcière soit morte ou pas, il fallait à tout prix savoir quel sortilège elle avait utilisé.
— Sathenass… murmura-t-il d’une voix rauque, faisant sursauter ses frères.
Il parlait si peu souvent sous cette forme.
— Nous pourrions lui demander, c’est vrai, intervint Niamor.
Ils sortirent donc de la pièce où ils se trouvaient pour déboucher dans celle qui contenait le gouffre et se dirigèrent vers la salle des trônes.
Alors qu’ils s’approchaient des grandes portes, un soldat accouru vers eux.
Il s’inclina, un genou à terre, attendant qu’on l’autorise à parler.
— Parles, ordonna Maeko.
— C’est la prisonnière que vous avez ordonné de relâcher dans un village isolé.
— Qu’y a-t-il ? Elle est morte ?
— Le village a brûlé. Les survivants ont été sauvés par un chevalier du dragon aux cheveux étranges et un autre dragon sans chevalier. Elle est partie avec lui.
— Un chevalier du dragon aux cheveux étranges ?
— Oui, ils disent qu’il semblait avoir les cheveux rouges ou bordeaux, ils ne sont pas sûrs. Il faisait nuit.
L’homme gardait la tête baissée, essayant de ne pas trop trembler. Rare étaient ceux qui restaient vivants après avoir annoncé une mauvaise nouvelle aux Sharaka.
— Ce n’était pas un chevalier du dragon wesi. Et tu sais pourquoi je le sais ? disait Maeko en se baissant vers le soldat de plus en plus tremblant.
Ce dernier secoua la tête et le Sharaka hurla :
— Parce que les wesi n’ont pas les cheveux rouges !
Le wesi sursauta mais garda position. Le silence se fit pesant lorsque les échos du cri disparurent. Irtimir était tendu comme la corde d’un arc, prêt à sauter sur le malheureux. Les griffes de métal sur sa main gauche cliquetaient, se mêlant à la forte respiration de Maeko. Comme à l’accoutumé, seul Niamor était calme.
Il ordonna donc au soldat de s’en aller et guida ses frères dans la salle des trônes.
— Nous n’aurions jamais dû la relâcher ! explosa Maeko.
— C’était le souhait de Sathenass, répliqua Niamor en s’asseyant sur son trône.
— Toujours ce dieu de pacotille !
— Ne blasphème pas, c’est grâce à lui que nous sommes ainsi aujourd’hui. C’est grâce à lui que nous avons fait toutes ces découvertes. Nous ne vieillissons plus, Maeko.
— Et bientôt nous serons si puissants, que nous le dépasserons lui aussi.
— L’élève finit toujours par dépasser le maître, lui accorda Niamor avec un sourire.
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