Aujourd'hui, j'ai suivi Agpe Kär à la chasse avec d'autres Serteks. C'était un jour particulier, mais je ne l'ai deviné que plus tard. Certains jours, il convient d'apporter à Mgsmül des offrandes particulières, et aujourd'hui c'était le jour du crocodile.

Agpe et les autres sont de très bon chasseurs, tous jeunes et vigoureux. Nous avons descendu le cours d'eau, en pêchant des poissons-chats, des écrevisses. Je ramassais des coquillages et des racines de la mangrove, dont certaines sont comestibles et excellentes une fois bouillies.

Les éclaireurs ont repéré trois crocodiles au confluent, qui pataugeaient dans les alluvions. Ils les ont approché méthodiquement, sans bruit, sans se faire repérer. Agpe et deux autres se sont jetés d'un même bond, chacun sur un reptile pour le maîtriser, au corps à corps. Leurs camarades les encerclaient pour attacher les mâchoires, couper la queue ou éventrer les écailles en cas de besoin. Ils sont intervenus pour aider l'un des compagnons de mon hôte, après que son crocodile lui a broyé la main. Si le besoin ne s'en fait pas ressentir, les renforts restent en retrait et laissent les combattants lutter seuls contre leur prise. Je crois que c'est une marque d'honneur, qu'assister un chasseur constitue un affront, une preuve de sa faiblesse.

Personne n'a paru s'inquiéter de la main charcutée du trappeur mordu. De retour à Dœlkürhal, il panse ses plaies seul, les autres posent sur lui le regard du mépris. Et moi, aurais-je insulté ou souillé l'honneur d'Agpe en essayant de la sauver de Mgsmül ? Si tel était le cas, il me semble que la chasse d'aujourd'hui a pu réparer ce tort. Elle a vaincu seule le plus gros des trois crocodiles, en lui brisant le cou à la seule force de ses bras. C'est celui-là qu'ils ont porté sur l'autel circulaire pour l'offrir à la Gorgone.

Autour de leur temple, ils ont fredonné des chants graves, et battu de ces tambours qu'ils portent en soutien-gorges pour les grandes occasions. C'est là semble-t-il leur façon de prier. Pour quoi, je n'en sais rien.