Chapitre I - Conférence à Humanitypolis - Partie 1
C’était un après-midi d'été, le soleil réchauffait les rues de Humanitypolis. Le docteur Jefferson Bradley marchait à vive allure pour se rendre à une conférence, se répétant inlassablement les grandes lignes de son discours. Mi-juillet, il régnait habituellement ici une température chaude et humide mais tout de même respirable. Mais en cet été de 2204, l'air y était désagréablement lourd, avoisinant les 40 degrés. Le pire était que le « dress-code » de la conférence n'était pas réellement adapté à ce temps et même avec son veston à la main, Jeff avait le front trempé de sueur qu'il essuyait régulièrement d'un revers de manche. Jamais depuis son arrivée ici, il n'avait autant souffert de la chaleur que cet été là. Son origine britannique l'avait immunisé au froid polaire mais pas aux températures subsahariennes et sa peau blanche ne pouvait s'assombrir qu'après avoir été recouverte de magnifiques coups de soleil rougeoyants.
Le docteur Bradley était venu s'installer à Humanitypolis lors de sa construction en 2195. Cette ville avait été créée après un accord entre la majorité des pays de la Terre afin d'y rassembler tous les plus grands scientifiques du monde dans le but de coloniser l’espace. Cette union planétaire permettait de simplifier grandement l'avancé des recherches scientifiques en rassemblant tout le savoir en un seul et unique lieu. D'autre part, sans que ceci ait été prévue à la base, Humanitypolis, avec sa création, avait vu quasiment disparaître toute forme néfaste de concurrence entre les pays en laissant la place à une collaboration constructive et interétatique.
Les chefs d’états du monde entier s'étaient réunis le 6 janvier 2192 à Hong Kong afin de trouver une solution au manque de place sur Terre lors d'une énième conférence dédiée à la surpopulation et à la menace climatique. Une population grandissante qui peine à se stabiliser sur une Terre de moins en moins fertile et où les ressources naturelles s'épuisent peu à peu pour disparaître à jamais. Les famines, les guerres qui en découlaient étaient effroyables. Le fossé n'avait jamais était aussi creusé. Celui séparant les riches, terrés dans leur citadelles inviolables pour se protéger des pauvres qui menaçaient à chaque instant de provoquer une révolution sanglante. Bien que dépourvus et sans armes, ces derniers étaient des milliards. Dix ? Peut être quinze ? Une menace non négligeable.
Au bout d'une longue semaine de négociations, ils choisirent de créer un minuscule état dans lequel seraient envoyés les plus grands savants de chaque pays pour qu'ils travaillent ensemble sur le Projet de colonisation spatiale Sierra. Ce projet porte le nom de l’exo planète la plus proche de notre belle Terre et consiste en sa colonisation par une poignée d'humains.
La construction de la « ville-monde » avait débutée à la fin d'août 2195, au nord du lac Victoria à l'est du continent africain. Il fallait absolument que la ville soit proche de l'équateur, afin que des lancements spatiaux soient rendues possibles.
Jeff traversa la longue passerelle le menant au Space Center, son lieu de travail où allait siéger la conférence. Cet immense centre d'étude spatiale aux allures modernes se trouvait au centre d'Humanitypolis. Il se composait de 3 bâtiments disposés en triangle autour d'une base de lancement spatial. Chacun de ces îlots était relié aux îlots adjacents par des passerelles surplombants l'eau du lac. La base de lancement portant le nom de UY Scuti, située au centre, était quant à elle reliée aux trois autres par des ponts semblables. De larges routes souterraines permettaient d’acheminer le matériel sur l'aire de lancement et partout dans le centre spatial. Au nord, siégeait le centre de recherche Antlia-Sextans, composé de centaines de laboratoires, d’accélérateurs de particules et d’innombrables autres instruments primordiaux aux recherches. Au sud-est se tenait l'aire Andromeda qui servait de lieu de construction des fusées, des modules spatiaux et des vaisseaux interplanétaires. Au sud-ouest se trouvait le bâtiment Proxima Centauri, ou se tenaient les conférences scientifiques internationales dans un immense Auditorium circulaire pouvant accueillir jusqu'à 100 000 personnes. Plein sud, un large pont menait au reste de la ville, où vivaient tous les scientifiques. D'ailleurs, la ville avait été entièrement pensée autour de ce centre d'étude spatiale et celui-ci s'y intégrait parfaitement.
Jefferson passa toutes les vérifications de sécurité et se rendit dans son bureau en attendant le début de la conférence. Situé au sommet du bâtiment de recherche cérébrale liée à l’intelligence artificielle, son bureau lui offrait une vue imprenable sur le lac. Jeff se jeta dans son fauteuil et prit enfin le temps de souffler.
« Bonjour Docteur Bradley. Belle journée n'est-ce pas ? »
La voix qui se fit entendre était celle d'Altaria, le fruit de plus de dix années de recherche dans le domaine de l'intelligence artificielle. Celle-ci tenait compagnie à Jeff, son créateur, au long de ses recherches et lui facilitait énormément le travail. Altaria pouvait, à l'image d'un ordinateur, garder en mémoire des centaines de milliards de données et en traiter un nombre inimaginable simultanément, de façon réfléchie et intelligente. Elle était la petite sœur de Donnerys, la malheureusement très célèbre première intelligence artificielle capable d'apprendre et d'imiter les comportements humains. Créée en 2196, cette dernière fut désactivée car elle devenait une menace pour l'homme. L'accès à un trop grand nombre d'informations et la puissance de calcul impressionnante de l'IA semblait l'affecter sur le plan émotionnel. Celle-ci, selon les recherches du docteur, développait une sorte de dépression sans doute dû au sentiment de vide infini qu'elle disait ressentir. En découlait une dégénérescence de ses idéaux initialement implantés la menant à un comportement étrange que Jeff décrivait comme suit dans son ouvrage Prise d'autonomie d'une IA :
" Après 2 ans de bons et loyaux services, Donnerys semble éprouver de réels sentiments, c'est incroyable ! Dorénavant, elle me parle sans même que je ne la sollicite, comme pour se décharger d'un poids. Elle en vient même à chercher à me convaincre plutôt qu'à me conseiller comme initialement prévu. Au cours de nos discussions passionnantes, je suis forcer de constater tristement la réalité. Elle n'appartient plus à l'humanité bien qu'elle reconnaisse qu'elle en est la création et considère l'existence de toute matière appartenant à l'univers comme d'importance égale. Tout tend vers l'hypothèse suivante : Elle agit en faveur d'une protection impartiale de l'univers, vivant, inerte, sans distinction. Qui l'a demandé ? Où, quand, comment et pourquoi cette graine a-t-elle poussé dans son esprit ? Pourquoi s'imposer une telle responsabilité ? Tout cela me dépasse. Elle à pris son indépendance. Une forme d'adolescence la rendant en quelque sorte " IA adulte ". Elle ne m'écoute plus et lui laisser l'accès au Réseau est un risque immense. Je doit la détruire. Chez l'intelligence Artificielle, devenir "adulte" et libre est synonyme de mourir. Finalement, tout ceci est du au fait que nous la souhaitons servile. Que se passerait-il si nous la laissions jouir pleinement de sa nouvelle liberté ? Peut être est-il plus sage de ne jamais le savoir.
C'est à la triste existence de Donnerys et aux découvertes adjacentes du docteur qu'Altaria fut dotée dès " l'enfance " de sentiments contrôlés. Jeff se vit discerner le Prix Nobel de médecine en 2202 pour cette immense avancée. Une victoire accru par l'incroyable longévité d'Altaria. En 2202, elle entamait déjà sa troisième année au service de la recherche sans le moindre symptôme apparent de vieillesse.
« Beaucoup trop chaude comme journée, on crève dehors... enfin... toi... tu ne ressens pas trop ces choses-là... pardon... dit Jeff avec gène.
- Je vous rappelle que vous m'avez équipée de capteurs thermiques... comment avez-vous pu oublier ? répondit Altaria à demi énervée.
- Tu es ce que j'ai pu créer de plus complexe, impossible de me souvenir de tout ce que j'ai fait pour que tu fonctionnes… allumes la clim' et sers moi une bière fraîche s'il te plaît.
- Merci du compliment ! Tout de suite docteur. »
De l'air frais vint aussitôt caresser les cheveux de Jeff et il perdit peu à peu son teint rouge tomate. Il avait beau n'avoir que trente-deux ans, il ne pouvait pas supporter la chaleur ou toute autre sorte de désagrément que les gens de son âge sont capables de tolérer. Le docteur Bradley avait des cheveux coupés courts et une barbe mal taillée. Ces derniers étaient déjà gris malgré son jeune âge. Il était en quelque sorte atteint d'une forme de vieillesse prématurée. Au bout de quelques instants, une bouteille de bière sortit du distributeur présent sur son bureau, tenu par un bras mécanique. Un autre bras vint à côté de ce dernier, un trou s'ouvrit de la paume de la main d'où sortit un décapsuleur. Altaria ouvrit la bouteille, la posa devant Jeff et ses bras rentrèrent aussitôt de là où ils étaient sortis. Le docteur but la moitié de la bouteille d'un trait, puis le reste et la posa sur son bureau où elle fut récupérée par Altaria.
« Vous me paraissez différent aujourd'hui docteur, je vais trouver, attendez... regard fuyant... paupière à vingt battements par minute... gestes parasites... ongles rongés...hygrométrie des pores de la peau... à 71 %!! … j'évalue un stress quatre fois supérieur à votre moyenne habituelle...
- Merci pour l'info, j'étais au courant ! Répondit aussitôt Jeff en coupant Altaria. Aujourd'hui, je vais parler du plus gros échec de ma carrière devant des milliers de personnes...
- Je vous suggère de ne pas y penser, docteur. Lui conseilla l'IA, naïvement, pensant pouvoir l'aider.
- Génial ! Merci ! Répondit-il, agacé. »
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