Chapitre 5 : Révélations.

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Selim avait suivi sa mère sans broncher jusqu’à son véhicule. Il se sentait désarmé. Il ne l'avait jamais vu pleurer, pas même une fois. Katerina Hodaïbi était une femme qui gardait au chaud ses émotions. Bien sûr, en tant que fils, il avait eu le privilège de la voir énervée, frustrée et encore bien d'autres. Mais des larmes… Non, Selim, se répéta qu'il n'en avait jamais vu dans ses yeux.

Il eut à peine le temps d'attacher sa ceinture en montant dans la voiture de sport que Katerina tournait déjà le volant. En deux trois mouvements secs, elle fit tourner le bolide et traversa le parking. Sa conduite avait de quoi angoisser Selim, ballotté dans tous les sens, il se rattrapa à l'appui-bras.

  • Oulah…

L'exclamation n'interpella pas sa mère comme il l'aurait voulu. Elle restait les yeux braqués sur la route. Est-ce qu’elle pleurait toujours ? Sa frange cachait son visage, mais il se rappelait parfaitement de son expression douloureuse. Pourquoi gardait-elle le silence ? Quand elle gagna en vitesse, le moteur grondant, Selim eut du mal à avaler sa propre salive. Elle allait de plus en plus vite, à mesure que sa colère montait. Et il n'osait rien dire, intimidé. Il commença à ventiler et passa une main dans ses cheveux noirs, jetant des coups d'œil à la conductrice. Katerina gardait les mains bien serrées sur le volant et ses mâchoires ne se décollait plus. À l'inverse, la voiture donnait l'impression de pouvoir déraper à tout moment. À bout de souffle, les doigts enfoncer dans l'accoudoir, Selim n'en puis plus :

  • Maman, doucement… S'il te plaît.

C'est comme si elle ne l'entendait plus. Elle avait envie de se déchaîner, de rouler follement. La rage qui la consumait, les larmes qui montaient à chaque fois qu'elle se rappelait le couple, elles voulaient les effacer.

  • S'il te plaît, maman ! Ça me fait peur…

Elle se rapprochait dangereusement d'un grand tournant et s’apprêtait à le prendre à grande vitesse.

  • Je te dis que ça me fait peur… MAMAN ! ARRÊTE !

Le cri de son fils lui parvint enfin. Elle reprit alors le contrôle de la voiture et frein brusquement quand elle retrouva le côté de la route. Ils furent tout deux secoués. La main sur le torse, et respirant comme s'il venait de courir un marathon, les jambes de Selim devinrent cotons. Il en avait eu des sueurs froides. L'adrénaline monta soudainement :

  • BORDEL ! Mais j'ai cru qu'on allait crever ! Vraiment, bordel ! cria-t-il en tapant son dos contre le siège et en s'agrippant le crâne. Maman ?! continua-t-il de s’énerver.

Il voulait une explication. Mais en la voyant cacher son visage entre ses deux mains, puis s’affaler sur le volant, il se tut à nouveau. Elle pleurait. À poumons ouverts, comme un enfant. La peine dépassa sa colère. Il hésita longuement à déposer une main sur son épaule, ne sachant comment la consoler. Cela lui semblait si douloureux qu’elle ait autant de chagrin.

Selim attendit qu’elle se calme, soucieux, et chercha son regard une fois qu’elle daigna relever la tête. Il ne savait pas comment amener la conversation. Il n’avait jamais eu à le faire. Habituellement, c’est elle qui prenait soin de lui. Sans compter qu’elle refusait de le regarder. Katerina avait trop honte de son comportement. Elle frotta ses yeux et renifla plus fort, sentant qu’elle devait tout de même dire quelque chose.

  • Je suis désolée…
  • Mais… pourquoi tu pleures ?

Elle se redressa doucement dans son siège, pensant qu'elle devait se dépêcher de lui servir un bobard. Et dire qu'elle se jugeait être une honnête femme. Elle devait mentir à son fils, sa chair… Les mots qui suivirent lui brûlèrent la gorge.

  • C’est à cause… d’Alice Fast… Tu sais, avant… avant qu'elle se marie avec un Richess, elle et moi… nous étions de bonnes amies, renifla-t-elle à nouveau. En fait, nous étions même de très bonnes amies. Alors… la voir comme ça…

Un sanglot vint étouffer sa voix. Selim ne comprenait pas.

  • La voir comme ça ? s'étonna-t-il.
  • … Tu n'as pas vu ? Son crâne ? fit-elle en pointant le sien.
  • Non, je… je n’ai pas eut le temps...
  • Elle a un cancer !

Il tressaillit à cause de son regard plein d’agressivité. Katerina s’obligea à refouler ses émotions. Son fils ne méritait pas qu’elle lui crie dessus. Elle regrettait qu’il assiste à sa crise et elle regrettait profondément d’être venu au gala. Il aurait été mieux de rester dans l’ignorance, de ne pas savoir qu’Alice disparaitrait bientôt. À cette pensée, elle rit amèrement. En fait, elle n’en savait rien, et pourtant elle l’éliminait déjà de la vie d’Elliot. Voir le pire sans connaître la situation, la mort avant la guérison, faisait d’elle la pire des femmes. Des larmes brûlantes coulaient sur ses joues quand elle tapa son poing sur le volant. Le coup de Klaxon fit sursauter Selim. Elle avait si honte de lui infliger cette comédie. Elle s’apprêtait à s’excuser encore quand elle le vit pleurer à son tour :

  • Selim ? Pourquoi… Pourquoi est-ce que tu pleures ?

Elle se sentait mauvaise mère de le bouleverser à ce point. Elle paniqua en le voyant se replier sur lui-même, hoquetant, puis déposa une main sur sa cuisse.

  • Baby, qu’est-ce qu’il y a ? Dis-moi, insista-t-elle en plantant ses yeux dans les siens.

Il souffrait énormément. Quand l’idée que Faye supportait la maladie de sa mère en secret le traversa, il ne put retenir sa tristesse. Devait-il en parler à sa mère ? Il toisa ses expressions, bien que floues. Elle lui avait bien avoué être amie avec Alice Fast, pourquoi ne pourrait-il pas lui faire part de son amitié secrète ? À cause du conseil, des autres Richess ? Ils lui en voudraient à mort, mais il avait confiance.

  • Si je te dis, déglutit-il, que moi aussi… je connais Faye, et que je ne savais rien de tout ça…
  • Tu la connais ? fronça-t-elle les sourcils.

Katerina se sentit devenir impatiente, tandis qu’il ramassait les perles à ses yeux.

  • Nous sommes dans la même classe, tu le sais, non ?
  • Oui, bien sûr mais…
  • Je sais qu’on ne peut pas, mais je n’ai pas fait exprès. Je n’avais pas prévu qu’on devienne amis et pourtant on se ressemble… Je la considère même comme ma meilleure amie. Alors apprendre une telle nouvelle...

Elle le regardait toujours d’un air ahuri. C’était si simple pour lui de dire la vérité. Il semblait attaché aussi.

  • Ce n’est que de l’amitié ? demanda-t-elle perplexe.

Cette fois, c’est lui qui la regarda avec étonnement. Il couvrit à moitié son visage de son bras, rougissant.

  • Si c’était autre chose, je ne pense pas que je te l'aurais dit aussi facilement…

Katerina se questionna sur cet aveu. Que devait-elle en penser ? Alors ils étaient amis, mais ne cachait-il pas autre chose ? La révélation eut bon de dissiper ses autres pensées. Elle le crut, principalement parce qu’elle n’avait pas la force de remettre sa parole en doute. Elle s’impressionna tout de même de son honnêteté. Peut-être avait-elle plus à apprendre de son fils qu’elle ne l’aurait imaginé. Pourtant, Selim interpréta son sérieux comme une réprimande possible.

  • Je ne veux pas que tu sois fâchée… je voulais te le dire…
  • Et je te remercie de ta franchise. Tu es bien plus courageux que moi, lui sourit-elle vaguement.

Elle vint caresser sa chevelure noire d’un gentil geste. Innocent, il ne se rendit pas compte du poids de ces derniers mots.

***

De bon matin, une odeur de tarte chaude vint chatouiller le nez de Nice. Elle s'apprêtait dans sa chambre avant de descendre auprès de ses parents. Le dimanche rimait avec pâtisserie et grasse matinée chez les Challen. Du moins, ce qui s'y apparentait.

  • Te voilà enfin, l'accueillit sa mère qui surveillait le four. Il est presque dix heures. Si tu ne te dépêches pas, tout ton planning va être chamboulé.

Nice aurait aimé avoir un peu de répit, ne serait-ce qu'un jour par semaine. Par exemple, elle savait que Selim travaillait rarement le jour du seigneur. Pas qu'il était croyant, mais tout était bon pour prendre du repos.

Un journal en main, elle se tendit à l’arrivée de son père dans la cuisine. Il n’avait pas l’air de bonne humeur et l’embrassa sans rien dire.


  • Comment s’est passé la vente ? demanda-t-elle par pure politesse.
  • La vente ? s’étonna sa mère.
  • Oui, le gala des Akitorishi. Je pensais que vous y alliez ? répondit Nice en regardant son père.
  • C’est ce que tu avais prévu ?
  • J’en ai parlé en voyant les infos, dit simplement Michael qui se préparait un café. Mais je n’avais pas prévu d’y aller…
  • Pourtant…

Elle hésita un temps, mais Nice se lança.


  • C’est une bonne cause, je pensais que nous participerions.
  • J’ai entendu dire que les Stein et les Ibiss s’y sont rendus, ils auront bien assez avec les fonds de ces deux familles. Et je ne vois pas pourquoi nous aiderons…
  • Chérie, la coupa-t-il, agacé.

Il allumait la télévision suspendue d’un air déçu. Sa mère sembla alors contrariée.


  • Mais si tu trouves que la cause en vaut tellement la peine, tu peux y mettre de ta poche.
  • Je… Si je pouvais… balbutia-t-elle, gênée.
  • N’en parlons plus. Ce gala est passé.

Bien que Michael stoppa la conversation, la présentatrice du journal télévisé en décida autrement : “ Ce sont les Fast qui leur ont finalement volés la vedette, offrant à la lutte contre le cancer un don d’un million d’euros et ce en même temps qu’une révélation surprenante. En effet, nous apprenons qu’Alice Fast est elle-même atteinte de la maladie, apparaissant…”

Nice se figea, fixant l’écran avec horreur et peine. Son père eut la même réaction. Le long silence qui suivit fut brisé par sa mère :

  • Je vous avais bien dit qu’ils récolteraient assez de fonds…
  • Finalement, nous allons faire don.

La petite brune regarda alors Michael avec des yeux pleins d’espoirs. Nice approuvait totalement le geste. Même s’il était dur, son père avait de la compassion ou plutôt une énorme tristesse qu’il ne montra pas. La première femme Challen n’était pas du même avis.


  • L’argent ne servira à rien à ce stade.

Donc il était vraiment concerné par la santé de la mère de Faye ? Il fronça les sourcils. Même après tant d’années, il était hors de question qu’il ne soutienne pas Elliot.


  • C’est une bonne idée, papa…
  • Nice, remonte dans ta chambre, lui ordonna sa mère.

Sans demander la raison, elle s’exécuta et fuia hors de la cuisine telle une petite souris. Et tout comme l’animal gris, elle ouvrit grands ses deux oreilles :


  • Tu n’es pas sérieux ? Je suis certaine que les Akitorishi utilisent la nouvelle pour se faire de la pub…
  • Non ! Elle n’est pas comme ça, tu le sais, chuchota Michael.
  • Bien sur, c’est évident. Tu ferais n’importe quoi pour cette…
  • Je t’arrête tout de suite, se mit-il en colère. Ce n’est pas pour… eux que je le fais, mais pour faire un geste envers les Fast.
  • Très bien, fais ce que tu veux !

Alors que sa mère s’apprêtait à quitter la cuisine, Nice s’empressa de remonter silencieusement dans sa chambre. Elle n’était vraiment pas certaine de ce qu’elle venait d’entendre, mais la façon dont il avait parlé des autres Richess lui paraissait quelque peu familière.

***

Le soir à l’internat, Alex ne fut pas surpris de trouver Faye au seuil de sa porte. Après le message qu’elle lui avait envoyé, il avait décidé de l’accueillir comme elle le méritait. En lui ouvrant, il la regarda de la manière la plus impassible qu’il le pouvait. Quelque chose clochait. L’espèce de sourire - grimace qu’elle lui rendait n’avait rien de naturel. Il la fit entrer et dès l’instant, elle l’attrapa par les bras :

  • Qu’est-ce que tu attends ? demanda-t-elle d’un air désespéré.

Alex la dévisagea et admira avidement sa détresse.

  • De quoi ?
  • Tu aurais déjà dû me sauter dessus.

Son visage proche du sien, il déposa un pouce sur ses lèvres.

  • Si je te donne ce que tu souhaites, ce n’est pas une punition.
  • Mais tu… tu as dit que… tu remplacerais la drogue !
  • Tu n’avais pas besoin d’en reprendre pour que je m’occupe de toi…
  • Ha, rit-elle pitoyablement. Laisse-tomber…
  • Qui t’a dit que tu pouvais partir ? fit-il en l’attrapant par le poignet.
  • Et quoi ? Qu’est-ce qu’on va faire ?! Si on ne fait rien, je m’en vais…
  • Dis-moi plutôt pourquoi tu as “récidivé” ?

Le ton taquin qu’il prit eut bon d’énerver encore plus la rousse.

  • C'est bon, je me casse !

Il serra davantage son bras lorsqu’elle tenta de s’en défaire. Très calme, il sortit son téléphone lorsqu’il le sentit vibrer. C’était Selim. Il prit le temps de le lire, tandis que Faye pestait, impuissante.


  • Lâche-moi ! Alex. Je te dis de me lâcher.

Malgré son ton catégorique, il gardait l’emprise, relisant une deuxième fois le message : “Je sais pas si je devrais en parler, mais vaut mieux que tu saches pour pas faire de bourde… La mère de Faye a le cancer…”

Voilà donc la raison.


  • Bordel, Alex !

C’était donc ça qui la poussait à agir de cette manière. Il comprenait tout.

D’un geste las, il balança son téléphone sur le matelas et l’attrapa par la nuque pour l’embrasser. Doucement, il la poussait jusqu’à la coller complétement contre la porte de sa penderie. La gentillesse qu’il y mettait… Faye se sentit fondre et le repoussa d’un coup. Elle écarquilla les yeux, les joues rosées à cause de son regard intense.


  • Je pensais que tu ne voulais…
  • J’ai changé d’avis. Mais ce soir tu n’auras droit qu’à des baisers.

Elle souffla, courbant la tête pour ne pas avoir à le regarder.


  • Je n’ai pas besoin de ça...

Alex sourit, puis passa un doigt sur sa joue.

  • Menteuse, fit-il en chopant son menton.
  • Arrê...

Plus fermement, il l'embrassa à nouveau. Cette fois, elle n'opposa aucune résistance.

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