Chapitre 28 : Le vent tourne.
Tiger mangeait des chips cette fois, venant aux faits les plus importants de son histoire :
- On ne savait pas du tout si le plan fonctionnerait, mais je savais qu’il y aurait au moins une réaction des voisins. J’étais le seul à ne pas mettre de masque. Mon rôle à moi, c’était de me promener dans le village à ce moment-là. Comme ça je pouvais filmer. C’est peut-être glauque, mais je ne voulais vraiment pas rater l’occasion de garder ces images. Je me rappelle très bien de Kimi montant la rue, la batte de base-ball dans une main et traînant sur le sol. C’est une image fixe.
Dans la tête de la blonde, du haut de ses dix ans, les pensées s’entrechoquaient. Entre les questions du pourquoi elle prenait ce risque, la peur du ridicule ou la peur d’échouer, elle ne s’en sortait pas. Avant de faire quoi que ce soit, elle jeta un œil dans son dos. Mike et Nadeije attendaient le signal.
Toute tremblante, elle leva la batte d’un air pas très assuré et se dirigea vers un pâté d’herbe où il y avait des pots de fleurs. Il fallait faire du bruit. Le moment avant qu’elle ne balance le bout de bois contre les céramiques lui sembla éternellement long. Elle ressentait un malaise à l’idée de détruire les biens de personnes innocentes, puis aux fracas, elle se sentit beaucoup mieux. Plus question d’hésiter, après les pots, elle passa à la boîte aux lettres. Ses deux amis firent la même chose, tapant sur tout ce qui pouvait être cassable.
- Ils se sont déchainés et quasiment tout de suite, il y a eu des réactions. Les gens regardaient par la fenêtre. Certains sont sortis et ont essayé de les arrêter, mais ils reculaient de peur de se prendre des coups. Il y avait une voisine qui avait l’air particulièrement scandalisée, donc j’ai joué mon rôle de garçon apeuré en mettant la caméra de côté.
“Plus de bruit”, “ Casser plus”, “Ils doivent venir”. Tout allait trop vite, alors prit d’un élan de génie, Kimi défonça la vitre d’une voiture, enclenchant en même temps son alarme. Elle vit Nadeije faire pareille et Mike s’attaquer à la porte d’un garage. Le peu de voisins qui venaient de rentrer du travail sortirent pour admirer le spectacle, d’autres restants à l’intérieur pour appeler la police.
- La dame en question à crier qu’ils arrivaient pendant qu’un Monsieur les appelait vraiment. C’était le moment pour Mike et Nadeije de déguerpir. Le poste étant pas très loin, ils sont arrivés en cinq minutes. Là, ils bougeaient leurs culs. Deux hommes sont sortis, l’un d'eux était un tout jeune agent. J’ai couru vers l’autre pour faire diversion en lui montrant par où s’était caché Mike, mais évidemment, il pouvait encore courir pour le retrouver. Il est revenu sans son pull et sans le masque. Nadeije pareille et on lui a découvert des talents d’actrices, quoi qu’avec la pression, ses larmes devaient être naturelles.
Kimi aussi s’était cachée dans un coin. Elle guettait le moment où elle verrait du mouvement dans la maison de Silka. Quand la porte s’ouvrit, son père apparaissant, très stressé, elle revint dans la rue et jeta un coup de plus dans une boîte aux lettres pour attirer l’attention de tout le monde. Les voisins la pointèrent du doigt et le jeune agent se dirigea d’abord doucement vers elle. Kimi continua pour le provoquer et entama une course pour s’approcher le plus possible de chez son amie. Là, le policier lui courut après et l’attrapa par la taille. Le jeune homme se rendit compte à ce moment-là du poids plume de l’agresseur. Il pensait bien qu’il était jeune, mais pas à ce point. Kimi se débattit de toutes ses forces, jetant des coups à la volée et poussant l’agent à l’immobiliser au sol. Ce dernier était clairement déconcerté et le deuxième gardait les voyeurs à distance.
- J’ai essayé de m’approcher le plus possible pour filmer, mais il y avait un trop grand risque, donc j’ai juste regardé. Kimi était clairement en folie. Quand il a essayé de lui retirer le masque, elle a réussi à lui griffer le visage. La mission se déroulait bien pourtant, il lui suffisait de parler avec l’agent, mais c’est comme si… elle était devenue incontrôlable. Bizarrement, c’est ce qui à jouer en notre faveur.
Elle refusait qu’il voie son visage, mais l’agent réussit à lui enlever pour le relever sur sa tête. En la découvrant, il manqua de la laisser s’échapper, mais il reprit son professionnalisme et la garda contre le sol. Même s’il avait affaire à une enfant, il comprit très bien qu’elle n’hésiterait pas à lui en faire voir de toutes les couleurs. C’était pourtant difficile pour le jeune homme fraîchement diplômé de rester totalement dans son rôle.
- Si tu bouges, je risque de te faire mal. Pourquoi est-ce que tu agis de cette manière ? Tu sais que tes parents peuvent avoir de graves problèmes à cause de ce que tu as fait ? lui demanda-t-il d’une voix posée.
Et comme si un voile se levait, Kimi se rendit compte de sa situation. S’il lui posait une question, alors elle avait le droit de répondre. Elle reprit ses esprits, mais commença à pleurer :
- La cave… Le monsieur…
En la sentant trembler, il se força à ne pas défaire son emprise. Il ne comprenait pas tout et l’invita à se calmer.
- Respire et raconte-moi, fit-il en la relevant, mais en gardant toujours ses poignets en mains.
- Le monsieur…
- Quel monsieur ?
- Derrière nous… murmura-t-elle après un sanglot.
- Oui ? répondit-il sans le regarder.
- Silka… Sa fille… Il lui fait des choses, expliqua-t-elle difficilement. Elle est enfermée… La cave… Sous le tapis… S’il vous plaît…
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es certaine que… Si c’est pour faire diversion, jeune fille, c’est très grave.
Kimi n’en revenait pas. Personne ne la croyait. Aucun adulte n’en valait-il la peine à part Dossan ? Elle se mit à pleurer, très fort et se tordit dans tous les sens. L’agent la regarda, complétement déconcerté et fit grimace quand il sentit ses ongles s’enfoncer dans ses doigts. Elle devenait folle.
- Lâchez-moi !!! Vous… Personne ! Vous… POURQUOI ?!!! PERSONNE NE ME CROIT !!
Le doute s’installa chez le jeune agent qui tentait de la garder calme. Elle hurla désespérément, jeta des coups de pieds, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus rien faire. Ayant repris le dessus, il l’observa attentivement. Enfin elle se laissait dompter, mais les larmes ne cessaient de couler sur ses joues, à flots, et son regard devenait suppliant.
- Elle va mourir… Je vous en supplie… Je vous en supplie, répéta-t-elle en continu.
- Jeune fille, est-ce que ce que tu peux m'assurer que c'est la vérité ?
- La cave… souffla-t-elle une dernière fois avant de s’évanouir.
Pris de court, il déposa gentiment une main sur sa joue et la secoua légèrement. Endormie, elle semblait beaucoup plus paisible. Est-ce que cette petite mentait ? Il se devait au moins de le vérifier. Il demanda dans un premier temps au deuxième agent de s’occuper de Kimi, puis l’air de rien, il se dirigea vers le père de Silka. Celui-ci venait dans la même direction et prit un ton hypocrite :
- Tout va bien, monsieur l’agent ?
- Bien. Est-ce qu’il y a des dégâts de votre côté ?
- Non, du tout. Je suis sorti en entendant les bruits dehors, quel bazar...
- Ah oui, vous pouvez le dire. J’imagine que ça vous a surpris. Surtout depuis votre cave où vous enfermez votre fille ?
- Qu...
La réaction de l’homme le convint des dires de Kimi. Il planta son arme sur lui et l’obligea à se mettre à genoux.
Une sucette en bouche, Kyle reprit sa narration :
- Ils l’ont retrouvé dans un piteux état. Quand ils l’ont sorti de la maison, tout le monde était très choqué. C’est vrai que Kimi avait l’air plus paisible, mais ils l’ont emmené à l’hôpital aussi par précaution. La suite, c'est check-up, opération et attente que les filles se réveillent. Silka a pleuré en silence à son réveil, par contre Kimi… Elle a tout de suite fait une crise. Heureusement que son éternel sauveur était bien là. Dossan a toujours su comment lui parler. Quel homme celui-là aussi… Il nous a fait la morale pendant des jours. C'est un peu comme un tonton pour moi… Le pauvre, il a dû gérer beaucoup de trucs avec la police à cause de nous.
Quand vint le moment de voir Silka, à nouveau Kimi ne trouva le courage que grâce à son père. Et le même scénario qu’avec Kennedy se déroula. Elle pleura toutes les larmes de son corps. Plus douce qu’elle n’en avait l’air derrière sa carapace froide, Silka attrapa sa main et versa aussi quelques larmes.
- J’ai filmé ce moment-là, je chiale à chaque fois que je le regarde, même si je vous avoue que je ne le fais pas souvent. Ce qui m’a beaucoup choqué, c’est le fait que Kimi s’excuse autant.
Comme la première fois, elle restait au chevet de son amie et lui demandait pardon. Silka comparé à Kennedy, arriva à prendre la parole et l'interrogea d'un simple : " Pourquoi ?".
Quand Kimi releva la tête, tout le monde put voir dans ses yeux qu’elle tombait des nues.
- Mais parce que… tu as mal. C'est injuste.
Mine de rien, Dossan était très fière d’elle. Ce dernier décida tout de même que le temps de reprendre les séances de relaxation était venu. Il ne savait pas encore que malgré tous ses efforts, sa fille se lancerait dans une quête de justice. Lui-même avait du mal à comprendre qu’elle avait réellement sauvé deux personnes en quelques mois de temps. L’impact de Kennedy et Silka fut énorme sur Kimi. Tout comme sa présence empêcha également le pire.
- C'est moi qui lui ai trouvé ce surnom, suite à l'article qu'ils ont écrit dans le journal. La police s'est octroyé toute la gloire d'avoir trouvé Silka. D'ailleurs le policier qui s'est occupé de Kimi est venu s'excuser en personne pour ça. Le seul mec bien dans tout ce poulailler. Ils ont parlé de nous uniquement dans un autre article et la voisine qui flippait à témoigner en disant qu'elle avait cru voir un démon. Moi aussi, c'est ce que j'ai ressenti la première fois que j'ai vu Kimi, mais elle ne voulait que le bien. Avec le masque blanc et tout ça, j'ai pensé au "diable blanc". Ah je peux dire qu'elle n'a jamais vraiment accepté ce nom, mais ça a instauré une certaine légende. Plutôt cool, non ? Je rigole, parce qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer comme on dit.
Après ce lourd événement, Dossan emmena Kimi voir la psychologue qui l’avait suivi après son accident. À côté de ça, un vrai culte se levait dans la cour pour le “Diable blanc”. Le groupe devenait plus grand, réunissant toutes les victimes.
- Il y a une forme de respect qui s’est créée, en fait. Dans les amis intimes, Chen s’est rajoutée peu de temps après quand on a capté qu’elle vivait dans un vrai taudis. Puis, il y a eu Benjamin et l’apparition des “Wolf”, je raconterais dans une autre vidéo. Mais surtout il y a Leroy. J’ai promis à Kimi de ne pas en parler, mais j’avoue que ça me démange. Une promesse est une promesse, donc je ne dirais rien. Elle est vraiment incroyable, vous savez ? Je crois qu’elle ne se rend même pas compte de sa force de caractère, mais bon… Tout ça, c’est fini aujourd’hui. J’avoue que je suis un peu nostalgique, mais au moins, tout le monde va mieux. La preuve, maintenant on danse comme si rien de tout ça ne s’était passé.
***
Quelques jours avaient passé depuis que Kimi et Tiger s’étaient vus. Le stress de cette dernière s’estompait au fil de temps. Elle sortait d’une séance de sport dans le jardin pour se vider la tête. Ça fonctionnait, mais les regards persistants de son petit frère ne l’aidait pas. En se prenant une boisson fraîche dans le frigo, elle décida de remettre les choses au clair :
- Leroy… Il faut que je te dise…
- C’est bon, je sais, la coupa-t-il immédiatement, allongé dans le fauteuil.
- Non. J’ai beaucoup repensé à tout ce qu’on a vécu et… je ne regrette rien. Je ne sais pas ce que tu crois, mais je n’ai pas donné ma place à Tiger pour qu’il reprenne le flambeau. C’est juste pour brouiller les pistes.
- Oui, j’ai compris…
- On ne dirait pas ! Je veux juste que tu comprennes que je n’oublie rien, mais que j’ai besoin de passer à autre chose. En débarquant à Saint-Clair, j’ai eu droit à un nouveau départ et regarde… D’ici quelque temps, je serais en train de tourner un clip avec une star, c’est pas cool ça ?! s’exclama-t-elle en s’installant à ses côtés.
Le coude enfoncé dans le dossier, il se détendit.
- Si c’est grave cool et je comprends… Moi aussi, j’ai envie de passer à autre chose. Donc...
Il semblait un peu nerveux.
- Tu sais que Dossan m’a proposé aussi de venir à Saint-Clair…
- Bien sûr ! Tu… hésita-t-elle, n'espérant pas qu'il ait dit oui.
- Ouais, j’ai accepté.
- Mais c’est génial ! s’enthousiasma-t-elle en l’attrapant dans ses bras.
Pendant qu’il essayait de se défaire de ses câlins, il fut sauvé par le téléphone vibrant de Kimi. Elle l’attrapa immédiatement.
- Un message d’Alex, c’est rare… fit-elle en l’ouvrant. Oh non, c’est pas vrai…
- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Leroy en se recoiffant.
- La mère de Faye… apparemment, c’est bientôt la fin.
Tristement, elle répondit à son ami qu’elle prendrait soin de prendre des nouvelles. Pourtant si peu affectif, Leroy la réconforta en déposant sa tête contre son épaule. Quand un problème s’éloignait, un autre venait toujours.
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