Chapitre 29 : La promesse des "Fast".
À chaque fois qu’elle s’endormait un petit peu et qu’elle n’entendait plus la respiration de sa mère, Faye se réveillait en sursaut. Elle se relevait alors et la regardait longuement de ses yeux fatigués pour s'assurer qu’elle était encore là. Après ce soulagement, quand elle croisait le regard de son père, la plupart du temps en train de carburer au café et assis sur le fauteuil d’à côté, la réalité la frappait. Bientôt, sa maman qui dormait si paisiblement malgré sa difficulté à respirer, ne serait plus là.
Une fois le verdict des médecins annoncé et après quelques allez-retours à l’hôpital, Elliot prit une décision. Il la réinstalla à la maison, avec tous les soins nécessaires.
En réalité, Alice dormait peu, mais beaucoup mieux depuis que Faye avait pris place dans le grand lit. Pour ses derniers jours, elle ne la quitterait pas.
Elle se leva définitivement avant que l’infirmière n’arrive et déposa un baiser sur le front de sa mère, puis embrassa son père. Elle ne l’avait jamais vu aussi malheureux. Il parlait peu, restait continuellement dans la chambre à guetter les mouvements de sa femme. Elliot était tout simplement aux petits soins, attendant le moment fatidique. Bien qu’il ne supportait pas de la voir si maigre et si faible, il l’accompagnerait jusqu’au bout.
Avec tendresse, il passait une main sur son crâne nu et lui souriait, même difficilement, lorsqu’elle ouvrait ses magnifiques yeux bleus. Les mêmes qui l’avaient sauvé tant d’années auparavant. Elle avait toujours le même regard, profond, dans lequel il se perdrait des heures.
Dans la cuisine, Faye regroupait ses longs cheveux roux en un grossier chignon. Elle ouvrit en pyjama à l’infirmière et la guida jusqu’à la chambre. Depuis une semaine, elle se levait très tôt. Elle voulait profiter de chaque instant. En attendant que la dame fasse son travail, elle s’installa dans son coin préféré du moment, c'est-à-dire une banquette derrière laquelle la fenêtre donnait sur le jardin. Pour faire plaisir à sa mère, elle se forçait à manger une tartine beurrée et un jus, mais la faim l'avait quitté. Et ce depuis un moment déjà.
En effet, elle avait perdu l'appétit lorsque l'état d'Alice avait commencé à se dégrader d'un coup. Alors que "tout allait bien", leurs craintes devinrent réalité. Mais ce qui leur parut soudain prenait sens maintenant. Faye comprenait mieux pourquoi une semaine auparavant sa mère avait tant insisté pour lui parler.
Cette dernière avait commencé par chasser Elliot lors de sa visite journalière. Un bouquet de fleurs en mains, il la regarda ébahi quand elle lui dit, un sourire s’étalant sur ses lèvres :
- Tu n’es pas obligé de venir tous les jours.
- Chérie…
- Tu es épuisé, continua-t-elle plus difficilement. Je le vois bien et je ne supporte pas te voir aussi fatigué. Je voudrais que tu prennes du temps pour toi aussi…
- Mais maman, c’est normal qu’on vienne te voir ! C’est les vacances, en plus ! s’exclama Faye qui s’empressa de s’avancer vers sa mère.
- J’ai pris congé pour pouvoir être à tes côtés, penses-tu vraiment que je vais te laisser seule ? répondit Elliot en s’asseyant sur le bord du lit et en lui tendant le bouquet.
- Elles sont magnifiques, comme toujours, fit-elle d’une voix douce.
Plutôt gêné, Elliot pinça les lèvres et prit un air innocent lorsqu’il jeta des coups d’œils à la chambre remplie de fleurs. Il lui en apportait tous les jours. Lorsqu’Alice leva doucement le bras pour porter sa main jusqu’à sa joue, il eut mal au cœur. Elle avait de plus en plus de mal à se mouvoir correctement. Les yeux plongés l’un dans les autres, elle lui rendit un sourire :
- Allez va-t'en d’ici.
- Mais Alice !
- J’ai envie de discuter avec ma fille, insista-t-elle en lançant un clin d’œil à Faye. Alors profites-en. Prends-toi un café sur le coin, va faire du shopping, fais quelque chose pour toi ou… Si tu veux me faire plaisir… Faye, bouche-toi les oreilles, tu veux ?
- Pourquoi ? s'étonna-t-elle en s'exécutant à moitié.
- On ne discute pas, plaisanta-t-elle. Si tu tiens à faire quelque chose pour moi, tu peux me commander une robe pour la cérémonie.
- La cé… Tu veux dire ? Alice tu n'es pas sérieuse ? lui demanda-t-il, plus qu'attrister.
- J'ai envie de partir avec classe, est-ce que tu trouves cela étonnant ?
- Je ne trouve pas ça drôle.
- De quoi vous parlez ? ne résista pas Faye à la tentation.
- Je suis certaine que tu seras où demander, lui sourit-elle une dernière fois avant qu'il ne quitte la chambre. Maintenant à nous deux ma chérie, viens plus près.
Un petit peu pressée, Faye s'installa plus confortablement et se sentit nerveuse quand sa mère attrapa sa main. Doucement, elle la caressa et contempla son visage en faisant preuve d'une grande tendresse. D'un regard à la fois inquiet et pétillant, Faye la questionna :
- De quoi tu voulais me parler ?
- Il y a tellement de choses que j'aimerais te dire, commença-t-elle. Je t’aime, tu le sais ça ?
- Moi aussi maman… répondit-elle en baissant les yeux, déjà émue. Je t’aime fort et je… je ne sais pas si j’ai envie de discuter de…
- Ne t’inquiète pas, la rassura-t-elle en attrapant ses deux mains. Aujourd’hui, j’ai surtout envie de te parler d’amour.
- D’amour ?! s’écria-t-elle, très surprise.
- Tout à fait, pouffa-t-elle avant de reprendre un air sérieux. Je suis ta mère et dans l’ordre des choses, nous aurions dû partager… Ah, c'est plus difficile que je ne l'imaginais, avoua-t-elle les larmes aux yeux. Mais j'ai besoin de te parler à cœur ouvert, est-ce que tu me le permets ?
- Ou… Oui, déglutit Faye.
- Je n'ai pas de regrets à propos de ma vie passée, mais savoir que je ne serais pas présente à ton mariage...
- Maman…
- C'est le rôle d'une mère d'aider sa fille à enfiler sa robe, mais pas que… J'aurais aimé pouvoir continuer à te conseiller, pour tout. J'aurais voulu être là quand tu m'aurais présentée ton petit ami ou que tu me parles tout simplement de tes histoires d'amours…
- Mais ça, c'est… impossible, la coupa Faye. Ce genre d'histoires… Il n'y en aura pas puisque je ne peux pas me mettre avec qui je le veux.
- Ma chérie, je ne suis pas dupe. Tu n'as que quinze ans. Tu as trois ans devant toi avant de devoir choisir un partenaire. Entre-temps, tu vas rencontrer de nouvelles personnes et peut-être même que tu tomberas amoureuse. J'aurais voulu être présente pour te conseiller ou te consoler, car… Je sais ce que c'est de quitter quelqu'un que l'on aime contre notre plein gré.
Après avoir tant gardé sa tête baissée, Faye la releva. Elle écouta attentivement sa mère lui raconter ses histoires d'adolescente, sa rencontre avec son premier amour, puis le désespoir qu'elle avait ressenti lorsqu'elle fut obligée de le quitter. Elle avait donc connu quelqu'un avant son père, quelqu'un qu'elle ne voulait pas abandonner pour lui. L'amour de ses parents étaient-ils faux depuis le début ? Pendant un instant, elle eut l'impression de n'avoir vécu qu'un mensonge.
- Ne te méprends pas, je suis immédiatement tombé sous le charme de ton père. En même temps, difficile de ne pas craquer, gloussa-t-elle. Nous nous sommes rencontrés quand nous étions au plus bas et j’ai essayé de résister, car je ne faisais pas partie de ses prétendantes.
- Alors comment… ?
- Chuck Ibiss n'a pas voulu de moi et tant mieux ! rit-elle en se souvenant du passé. Avec ton père, nous avions autant besoin l'un de l'autre et nous avons eu de la chance, car nous nous sommes tout de suite plu. Ce qui n'est pas le cas d'autres couples Richess. Je ne pouvais pas rêver meilleur mari.
Alice s’installa alors dans un silence pendant que Faye la regardait se perdre dans ses souvenirs.
- J’aimerais que tu me promettes deux choses, reprit-elle après un soupirement. Je veux que tu saches que je te soutiendrai toujours, même si je ne suis plus là. J’ai foi en ma fille et en ses choix. Alors promets-moi de suivre ton cœur, de vivre pleinement tes futurs d’histoires d’amour, oui, même si c’est interdit, précisa-t-elle avant qu’elle prenne la parole. Ton père n’est pas un monstre, tu peux lui parler, peu importe de qui tu tombes amoureuse… Tout ce que je souhaite, c’est que tu sois heureuse.
Elles avaient toutes les deux les larmes aux yeux. Faye se sentait particulièrement coupable.
- Maman, je… Est-ce que… Comment tu réagirais si…
- Si ? l’invita-t-elle à poursuivre.
- Si je ne t’avais pas dit que j’ai un... amoureux ? demanda-t-elle, ses joues s’enflammant.
- Oh… Que…
Un peu surprise, mais qu’à moitié, Alice voulut la rassurer.
- Que ça ne m’étonne pas. Tu n’as pas voulu le partager avec ta chère maman ? la taquina-t-elle gentiment.
- C’est que… c’est récent et…
- C’est interdit ? devina-t-elle.
- Oui.
- Je n’ai donc qu’un conseil à te donner. Si tu sens que c’est la bonne personne, bats-toi pour rester avec, d’accord ? Bats-toi toujours pour les gens que tu aimes et c’est pour cette raison que tu dois me promettre une deuxième chose. N’écoute que ton père et prends soin de lui. Quand je serais décédée…
- Ne dis pas ça…
- Faye. Je vais mourir…
- Je sais bien, mais c’est dur de l’entendre ! Ça ne te fait rien ?!
- Bien sûr que si ! Je veux être là pour prendre soin de toi, mais je ne pourrais pas. Alors tu ne dois pas écouter tes grands-parents, ni mes parents, ni ceux de papa. Le seul en qui tu peux avoir confiance, c'est ton père, d’accord ? Derrière ses airs, il fait semblant d’être fort, mais il est plus fragile que tu ne le penses. Tu dois prendre soin de lui.
- Je… je le ferais.
- Et quand… quand il sera temps pour lui de refaire sa vie...
- Maman ! Comment est-ce que tu peux dire ça ?!
- Écoute-moi ! Je le connais par cœur, il ne fera jamais rien qui pourrait salir mon image. Ton père est un homme fidèle, peut-être même un peu trop… Tout comme toi, je souhaite qu’il soit heureux. Pour ça, tu dois veiller à ce qu’il reconstruise sa vie, mais pas avec n’importe qui...
- Comment ça ? Je ne comprends pas…
- Tu devras faire attention à ce qu’il soit avec la bonne personne.
- Mais comment je serais si…
- Tu le seras, j’en suis certaine. Promets-le moi, Faye. C’est important pour moi de partir en sachant que vous prendrez soin de l’un et l’autre.
Le cœur lourd, Faye laissa ses larmes prendre le dessus et hocha la tête : "Je te le promets". Maintenant que son état s'aggravait et que sa mère était aux portes de la mort, Faye comprenait qu'elle lui avait déjà fait ses adieux.
Elle se recoucha à côté d’elle lorsque l’infirmière partie. Elliot les regarda à la fois tristement et chaleureusement. Ils aimaient les voir ensemble. Un appel cassa ce semblant de quiétude.
- Je réponds, fit-il en se dirigeant dans une autre pièce.
Il prit la peine de s’éloigner en voyant le nom sur l’écran.
- Oui, Marry ? La robe est prête ? Merci beaucoup, mais comment est-ce que je pourrais te remercier ?
Allongé auprès de sa mère qui fermait doucement les yeux, Faye eut la sensation qu’en cet instant elle pouvait tout lui dire. Elle déposa une main sur son maigre avant-bras, se blottit un peu plus, et prit une profonde inspiration :
- Tu sais… Je voulais te dire… par rapport à notre conversation de l’autre fois...
- Hum…
- Mon petit copain… C’est Alex Stein. Je l’aime vraiment, avoua-t-elle, son teint devenant un peu plus rose. Je sais que… je ne peux pas sortir avec un autre Richess, mais je compte bien me battre pour lui. Je… je voulais te le dire.
Le calme régnait. Un étrange calme que Faye n’avait plus entendu depuis longtemps. Le tambour dans sa poitrine ne fit que s’accentuer.
- Maman ?
Elle osait à peine se relever, ses yeux s’agrandissant en voyant qu’Alice s’était endormie.
- Maman ? répéta-t-elle les mains tremblantes. Non, non, non, maman... PAPA !!
Au cri strident de sa fille, Elliot décrocha de son téléphone, ne réalisant pas tout de suite. Son sang se glaça quand ses hurlements continuèrent. Il s’empressa de courir jusqu'à la chambre. À la vue de Faye, pleurant et recroquevillée sur sa mère, il comprit tout de suite. En réalité, il avait déjà compris bien avant ça. Portant une main à sa bouche, les larmes lui montaient à son tour. Il rejoint Faye pour l'empêcher de la secouer et l'emprisonna dans ses bras.
- Pa...pa... Elle est...
- Oui... C'est fini...
Tout en la gardant contre son torse, il lui répéta ces derniers mots. Faye ne se calma que lorsqu'elle entendit les longs râles de son père. Quand elle se retourna, son coeur se brisa. La grimace sur son visage lui arracha les entrailles. Lui aussi tremblait. Lui aussi pleurait. Elle l'attrapa dans ses bras et l'accompagna dans ses sanglots. Sa mère avait raison... Dans son étreinte, elle sentit à quel point il était fragile. Comme promis, Faye se jura de veiller sur lui et inversément.
Sans Alice, ils n'étaient plus que père et fille pour prendre soin l'un de l'autre.
Annotations
Versions