Chapitre 13
Julien vérifia sa liste de courses et déclara :
- C'est bon, je crois qu'on a tout.
Le charriot qu’il poussait était à-moitié plein d’aliments emballés dans des cartons ou de bocaux. Nous nous dirigeâmes vers la caisse du magasin.
- Nathalie, dit-il alors, je sais que ce qu’on a vécu était pas marrant, mais je veux que tu saches que malgré tout, je garderai un excellent souvenir de notre rencontre.
Je faillis rire devant la spontanéité avec laquelle il avait lâché ça, entre deux rayons de couches pour bébés et de papier toilette.
- Eh bien, moi aussi, Julien, répondis-je avec un sourire amusé. On peut en effet dire que ç’aura été une rencontre mémorable !
Il rit un instant, puis retrouva un air sérieux.
- Je suis désolé pour ce qui est arrivé hier. J’imaginais pas qu’on aurait des ennuis comme ça… Si j’avais su…
- Qu’est-ce que tu racontes ? le coupai-je. Tu n’y es pour rien, voyons ! Comment aurais-tu pu prévoir ce qui s’est produit ? On n’a pas eu de chance, voilà tout…
Julien pinça les lèvres, l’air contrit, et hocha la tête.
Il s’affaira à disposer les produits du charriot sur le tapis roulant de la caisse et je me hâtai de l’aider.
Nous avions passé une bonne partie de l’après-midi affalés comme des larves sur son lit, qu’il avait rétabli en mode canapé, à échanger sur nos vies.
Alors qu’hier, j’avais pris garde à ne pas trop me livrer à lui, désormais je n’avais pas de scrupule à lui confier des choses que même certains amis proches ignoraient à mon sujet.
En décidant de m’ouvrir, j’avais également permis à Julien de gagner ma confiance, et j’avais la sienne en retour. Lui-même m’avait partagé des anecdotes assez personnelles sur sa vie, m’avait révélé ses doutes, ses aspirations, ses peines.
Découvrir le lien qui se créait naturellement entre nous me faisait chaud au cœur. Et même si nous n’avions pas toujours quelque chose à dire, les silences n’étaient pas embarrassants. Ils semblaient faire partie intégrante de nos discussions.
J’étais plongée dans mes douces réflexions, lorsque nous rentrâmes au studio de Julien.
Après avoir débarrassé les provisions des sacs de course que nous avions dû monter jusqu’au troisième étage, sans ascenseur, nous nous installâmes autour d’un thé, à la petite table ronde de la pièce.
Un genou remonté sur la chaise, l’autre jambe balançant dans le vide, je sirotai le breuvage chaud, tandis que Julien me parlait de ses insupportables voisins.
Un éclat rieur brillait dans ses yeux, alors qu’il racontait comment il les avait un jour piégé dans la cage d’escalier pour Halloween, leur fichant la frousse de leur vie. Je l’écoutais, captivée par le mouvement de ses lèvres rosées, lorsqu’une pensée me ramena soudain à moi.
« Attends… Si on a tant de complicité mais qu’il ne se passe rien entre nous, peut-être qu’il… me considère comme une pote ? »
Le doute me saisit tout à coup et je me repassai le fil de nos échanges depuis mon arrivée à Nanterre. Dès le début, je m’étais positionnée fermement en opposition à l’éventualité de me mettre en couple.
« C’est de ma faute, j’ai tout de suite fermé le sujet et lui ai indiqué que je n’étais pas disposée à ce qu’il se passe plus qu’un échange cordial entre nous. Je lui ai dit que je ne recherchai personne et l’ai rembarré quand il me parlait du célibat de son frère. »
Julien poursuivait son récit, sans remarquer que j’avais décroché. Je me dis encore, le cœur soudain serré d’un désagréable sentiment d’amertume :
« Oui, ce serait logique qu’il ait pris ma déclaration au pied de la lettre… Et voilà comment se mettre soi-même dans la friend-zone… »
Et puis, en fait, en quoi est-ce que ça me démoraliserait tant, d’apprendre que ce que nous partageons n’est rien d’autre qu’une amitié naissante ?
Après tout, il ne s’est pas écoulé plus d’une trentaine d’heures, depuis mon arrivée à Nanterre. Si c’est pour si peu que je laisse flancher mes convictions, alors je suis sacrément faible !
Non, je n’ai pas besoin d’un mec, je l’ai bien répété à Evie, et mon intention en rencontrant Julien n’a jamais été de voir ce qui pourrait se passer en allant plus loin.
Je suis trop occupée par mes études, j’ai mon Master à valider à la fin de l’année et je ne peux pas me permettre d’être distraite, si près de mon objectif. Je ne laisserai rien ni personne entraver mon parcours jusqu’à atteindre mon rêve d’être avocate, je me le suis promis.
Ce n’est pas maintenant, dans ce petit studio miteux et bordélique, à Nanterre, avec un gars que je connais depuis un temps dérisoire, comparé à la vision structurée que j’ai de mon avenir, que je ficherais tout en l’air.
Je ne peux pas me permettre de tomber amoureuse, de perdre la tête pour un beau regard, de me détourner de la voie dans laquelle j’ai investi tant d’efforts, de perdre mon temps avec un garçon... Perdre mon temps à passer des heures au téléphone, à se raconter nos journées ou à se prendre la tête. Perdre mon temps à souffrir lorsque ce sera terminé entre nous.
J’ai fait l’erreur une fois. Je ne recommencerai pas.
Ma deuxième année de licence avait été un enfer. J’avais bien failli lâcher la fac, j’étais prête à suivre Théo, mon copain à ce moment-là, au Canada, où il partait poursuivre son cursus. Je ne l’ai pas fait, mais les mois qui ont suivi son départ ont été affreux, j’étais tellement amoureuse que son absence m’empêchait d’être heureuse. Sans parler du fait que ça me déconcentrait dans mes études. Quand il m’a quitté, au bout de huit mois de relation à distance, j’étais au fond du trou. Je n’étais plus moi-même, et si je ne venais pas de passer mes partiels quelques jours auparavant, je les aurais complètement foirés…
Non, il n’est pas question que je prenne le risque de vivre ça à nouveau.
Lorsque Julien acheva de me relater son histoire, je restai silencieuse.
- Euh… Ça va, Nathalie ? me demanda-t-il, d’un ton surpris.
- Écoute, Julien, je te remercie pour ton hospitalité, mais je dois vraiment y aller, maintenant. Je vais appeler un taxi, si ça ne t’embête pas.
- Je-… Non, bien entendu, il n’y a aucun problème, répondit Julien, l’air stupéfait. Tu pars quand tu veux, évidemment…
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