"Salut Nathalie, c’est Bruno, l’ami d’Evie. Je suis désolé de te déranger, mais ces derniers temps, j’ai remarqué qu’elle n’allait pas très bien. Je voulais simplement te prévenir, même si tu t’en es sans doute rendu compte aussi."

Mes yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise.

Je me penchai davantage en avant vers mon écran, relisant le message comme si j’en avais mal compris le sens. Mais les mots n’avaient pas changé, et je me redressai, stupéfaite.

« Bruno se fait du souci pour Evie ? Mais qu’est-ce qui se passe ? La dernière fois que je l’ai vue… »

Je ne poursuivis pas ma pensée, réalisant que la dernière entrevue que j’avais eu avec Evie remontait à ma rencontre avec ce fameux Bruno, plusieurs semaines auparavant. Depuis, nous avions à peine échangé par messages, toutes les deux.

Trop prise par mon travail, et peu désireuse d’avoir à supporter de nouvelles propositions de la part de mon amie pour remédier à mon célibat, je m’étais naturellement effacée depuis ce moment-là.

« Il doit s’inquiéter pour rien, tentai-je de me rassurer, Evie a toujours été une boule de joie. Un peu trop enthousiaste par moments, même, ça pouvait parfois m’agacer… Je suis certaine que ce n’est rien… »

Mais ma conscience de meilleure amie me pousse à tout de même passer un coup de fil à Evie pour prendre de ses nouvelles.

Mon appel sonna dans le vide, je tombai sur sa messagerie. Je renouvelai ma tentative plusieurs fois, jusqu’à arriver à mon arrêt.

Une fois dans la résidence universitaire, je la bombardai de textos.

"Evie, ça va ?" "Rappelle-moi quand tu es dispo. Urgent." "Réponds stp."

Je ne veux pas m’inquiéter, mais le message de Bruno a éveillé un doute en moi.

Depuis quelque temps, c’est vrai qu’Evie a un comportement particulier. Je n’y ai pas fait vraiment attention sur le coup, mais maintenant je m’en rends compte aussi.

Elle s’est remise à fumer, alors qu’elle avait été catégorique l’année dernière, lorsqu’elle était parvenue, après un rude combat, à mettre un terme à son addiction à la nicotine. J’étais tellement fière d’elle quand elle avait déclaré qu’elle n’y toucherait plus jamais, et pour de bon…

Maintenant que j’y prête attention, c’est vrai qu’elle paraissait moins enjouée que d’habitude. Enfin, elle se comportait de manière normale à mes yeux, mais en repassant bien le fil de nos récents échanges, je réalise qu’elle forçait un peu ses sourires, riait trop fort, n’avait pas cet éclat pétillant dans les yeux.

Mais moi, absorbée par mes études, mon travail, mon histoire naissante avec Julien, mon agacement face à son insistance pour m’aider à trouver l’amour, je n’avais pas été attentive à tous ces signes…

Je n’avais pas voulu ouvrir les yeux.

"Evie, réponds-moi, vraiment," insistai-je, le cœur soudain lourd de culpabilité.

Mais sa réponse ne venait pas.

Je passai la soirée à attendre, angoissée. Est-ce que je devais aller chez elle directement ? À cette heure-ci, elle était encore au travail, ça ne servait à rien.

D’ailleurs, c’est sans doute la raison pour laquelle elle ne répond pas, elle doit être occupée.

Vers 22h, n’y tenant plus, je l’appelai de nouveau.

Enfin, Evie décrocha.

Le son de sa voix me fit lâcher un rire de soulagement parfaitement idiot.

– Nat ? Qu’est-ce qu’il y a ? Je viens de sortir du taf et de voir tous tes messages, j’allais te répondre…

– Rien, je me suis montée la tête toute seule, dis-je, désolée de t’avoir harcelée.

J’éclatai d’un rire qui me fit tellement de bien que mes entrailles comprimées par l’angoisse se dénouèrent aussitôt.

– Oh, mais… est-ce que quelque chose ne va pas ? m’interrogea mon amie d’une voix inquiète.

– Non, enfin, si, est-ce que je peux passer te voir ?

– Euh… Tu veux dire, ce soir ? Maintenant ?

– Oui, ce ne sera pas long.

– Si tu veux, répondit Evie d’un ton surpris, par contre je n’ai pas encore mangé.

– Ne t’occupe pas de ça, je ramène des sushis.