Chapitre 43

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Nous étions aux portes d’un Comedy Club. La nuit commençait doucement à tomber autour de nous.

– On vient voir un spectacle d’improvisation, m’apprit alors Julien, en me poussant doucement du plat de la main vers l’entrée.

– Génial, m’enthousiasmai-je, je n’en ai jamais vu !

– Tu vas voir, c’est vraiment sympa, et cette ligue d’impro cartonne, en ce moment. Mon frère m’a invité les voir pour Noël, j’ai pas arrêté de me marrer.

Ravie de découvrir une discipline théâtrale qui m’était inconnue, je m’installai dans les fauteuils d’une petite salle, au bord d’une scène encore vide.

Julien n’avait pas menti : tout au long du spectacle, les rires dans l’assistance fusèrent et lorsque nous sortîmes de la pièce, j’avais mal au ventre tant les humoristes s’étaient avérés drôles.

– C’était dément, dis-je, les yeux brillants, alors que nous quittions bras-dessus bras-dessous le petit Comedy Club.

– T’as vu ça ? Quel talent, ces gars et ces nanas, quand même, s’émerveilla Julien. Pour rebondir comme ça sans texte pré-écrit, devant un public, c’est franchement balaize !

– Je ne me rends même pas compte… C’est formidable. Alors, qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? Je commence à avoir faim !

Éreintés par notre belle journée, nous décidâmes de rentrer chez Julien pour dîner.

Bruno avait d’ailleurs préparé un gratin de chou-fleur et nous n’eûmes qu’à mettre la table en arrivant au studio.

– Alors, la journée a été bonne ? demanda-t-il, sa barbe remuant au rythme de ses lèvres à chaque mot.

Sans attendre, il nous servit à chacun une plâtrée de gratin, qui aurait aisément pu nourrir une demi-douzaine de sportifs affamés après un effort physique particulièrement intense.

– Excellente, répondit Julien, que la quantité de nourriture servie par son frère ne semblait pas avoir effrayé.

– Oui, c’était fabuleux, renchéris-je, merci beaucoup, Julien, pour toutes ces magnifiques surprises !

– C’était avec plaisir, répondit ce dernier, l’air non mécontent de lui, on a fait un beau tour, pas vrai ?

– Ha ! s’exclama Bruno. T’es un sacré romantique, toi. Allez, reprenez des forces, maintenant !

Et sous mes yeux effarés, il rajouta joyeusement une énorme cuillère de gratin dans nos assiettes respectives.

Après un repas si copieux que mon estomac menaçait d’exploser en sortant de table, Julien proposa de faire un jeu de société tous ensemble, en partageant une petite bouteille de rhum.

– Me sors pas que tu veux faire un Monopoly, par contre, plaisanta Bruno de son ton bourru.

Je ris nerveusement en même temps que Julien, ma gêne de la matinée ravivée à l’évocation de ce souvenir embarrassant.

– Non, quand même, protesta Julien, Nat a pas envie de voir ton autre barbe, c’est traumatisant…

– Au fait, ça fait combien de temps, finalement, que vous êtes ensemble ?

J’échangeai un bref regard avec Julien, prête à répliquer à Bruno que nous n’étions pas en couple, mais j’étais consciente que cette affirmation aurait sonné comme la plus aberrante des absurdités. Aussi, après un sourire entendu, sans bien savoir d’où provenait la douce chaleur qui irradiait dans mon ventre, nous lâchâmes en chœur :

– Six mois.

– Deux semaines.

Je tournai la tête vers Julien, interloquée.

– Comment ça, six mois ? Ça ne correspond qu’à notre première rencontre, et je te ferais remarquer qu’il ne s’est rien passé de spécial à ce moment-là !

– Rien passé de spécial ? répéta Julien, incrédule. Et notre Bubble tea après l’expo, notre séance ciné improvisée, notre balade, notre mésaventure dans la rue ?…

– Mais enfin, c’était purement platonique entre nous, à ce moment-là, répliquai-je, tu le sais bien ! C’est comme la fois où tu m’as rendu une visite surprise, quand j’étais malade. Moi, je dirais que ce n’est que lorsqu’on s’est retrouvés au café Montorgueil, il y a deux semaines, qu’on…

– Pas du tout, et notre premier baiser chez toi, au début de l’été, alors ?

– Ça ne voulait pas dire qu’on était ensemble ! La preuve, avec ce qui s’est passé moins d’une semaine plus tard ! Je maintiens que notre relation n’a vraiment débuté que quand on a remis les pendules à l’heure, pendant le rendez-vous au café.

– Si tu le dis, soupira Julien, désabusé.

– Depuis quand on s’est mis d’accord sur la date, d’abord ? On n’en a jamais discuté, pour moi on était…

– On était quoi, de bons amis ? railla Julien.

Face au silence qui suivit sa remarque, Bruno partit soudain d’un grand rire.

– Vous savez pas à quel moment vous êtes devenus un couple tout dégoulinant et poisseux d’amour ? se moqua-t-il. Je vais vous dire, moi, ha, ha. C’est quand t’as arrêté de me demander comment ça se passait dans ma vie amoureuse, Julien. Oh, et ta frénésie de nettoyage soudaine aussi, c’était une bonne piste.

Jetant un regard perplexe à l’espace impeccable autour de lui, l’air de ne toujours pas en revenir, le charpentier balança une claque affectueuse dans le dos de son frère.

Ce dernier, qui avait failli avaler sa fourchette sous l’effet du choc, maugréa, l’air ronchon :

– Ouais, enfin justement, tu ferais mieux de te mêler de ta vie amoureuse…

– C’est marrant d’entendre ça de la bouche du gars qui m’avait appelée au départ, pour fouiner dans la vie privée de son frère, ironisai-je.

– Bon, on le fait, ce jeu ? Qu’on ouvre cette bouteille de rhum, aboya Bruno, sans laisser le temps à Julien de répliquer.

– Oui, j’ai bien besoin de digérer, dis-je, en insistant sur mes mots.

Je haussai un sourcil et lançai un regard de défi à Julien, qui secoua la tête, un sourire au coin des lèvres.

« Six mois… Et puis quoi, encore ? » songeai-je, mi-amusée, mi-exaspérée.

À partir du moment où le bouchon sauta de la bouteille, plus personne ne fit allusion à la querelle et la soirée se poursuivit dans une bonne humeur qu’aucune tension ne vint perturber.

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