Chapitre 47
Le vent qui agitait la cime des arbres avait encore doublé d’intensité. Trempés comme des soupes, nos épais manteaux imbibés ne nous étaient plus d’aucune utilité et ne faisaient que nous refroidir davantage.
La nuit commençait à tomber sur la forêt balayée par la tempête, et nous n’étions toujours pas parvenus à regagner la sûreté de la chambre d’hôtes, malgré deux nouvelles heures à tenter de retrouver notre chemin.
Pire encore, il nous semblait que les sentiers marécageux que nous empruntions paraissaient de moins en moins familiers. Plus nous avancions, plus mon instinct me soufflait que nous nous éloignions de notre but.
Après avoir arraché plusieurs nouvelles branches au fil de notre passage, le vent avait tout de même fini par s’apaiser. Cependant, un épais brouillard n’avait pas tardé pas à le remplacer, plongeant les arbres et le chemin sous nos pas dans une couche vaporeuse plus humide encore.
– Ah, quelle belle paire de parisiens, fulminai-je, tandis que nous évoluions prudemment le long d’une descente escarpée.
– Parle pour toi, moi j’ai jamais vécu à Paname, protesta Julien, qui s’embourbait derrière moi un peu plus à chaque pas.
– N’empêche qu’on est dans la même galère, ricanai-je, posant un pied sur une pierre instable, recouverte de mousse.
Sans avoir le temps de me retenir aux branches autour de moi, je dérapai lorsque la pierre roula sous mon pied, tordant violemment ma cheville sur le côté. Me voyant trébucher, Julien poussa un cri et se précipita en avant pour me porter secours, mais le poids de mon corps m’entraina et je chutai dans la descente rocailleuse, rendue excessivement glissante par la boue.
– Nat ! s’écria Julien.
J’entendis ses pas précipités pour me rejoindre, tandis que je me relevai sur un genou, le visage maculé de fange.
– Attention, ça glisse un peu, ironisai-je en grimaçant, craignant qu’il ne dégringole lui aussi à ma suite dans sa hâte de me rejoindre.
Une douleur lancinante me vrilla le coude lorsque je tentai de l’étirer et je ne pus retenir un cri.
– Tu t’es fais mal ? s’enquit Julien en s’agenouillant pour m’aider à me relever. T’as fait une sacrée gamelle !
– T’as pas filmé ? Ça aurait fait une jolie séquence pour un zapping télé, marmonnai-je, en prenant appui sur ses épaules pour me relever.
Je ne parvins pas à me mettre tout à fait debout : ma cheville m’élançait douloureusement.
– Déplie le coude, pour voir, suggéra Julien d’une voix blanche. Et remue un peu la cheville, ça va passer.
Je tentai d’appliquer ses conseils, mais l’articulation de mon coude semblait avoir subi un choc trop important contre l’une des pierres, bien que je l’aie à peine senti sur le coup. Quant à ma cheville, il était tout bonnement impensable d’imaginer que je sois en mesure de poursuivre notre marche dans l’immédiat.
– Je vais devoir me poser un moment, avertis-je Julien, désignant du menton un rocher proche. Aide-moi à m’assoir, s’il te plait.
En sortant mon téléphone portable de la banane que je portais autour de la taille, je poussai une exclamation de stupeur :
– Julien ! Mon portable est cassé ! Il ne s’allume plus…
En effet, zébré d’une large fissure et de plusieurs éclats suite à l’impact – probablement contre une pierre également – l’écran demeurait noir en dépit de mes sollicitations acharnées du bouton latéral.
– Bordel, c’est bien le moment, tempêta Julien.
Il se saisit de mon téléphone afin de constater par lui-même les dégâts et d’essayer d’en tirer quelque chose, sans plus de succès.
– Tu as bien protégé le tien de l’eau, n’est-ce pas ? voulus-je m’assurer.
– Oui, c’est bon, il fonctionne, confirma Julien, après vérification de son propre appareil. Par contre, je n’ai plus que quelques pourcents de batterie… Je vais l’éteindre tout de suite.
Sentant une légère et fraîche caresse sur le dos de ma main, je baissai les yeux et remarquai-je, ahurie :
– Il… il neige, regarde.
Le petit flocon, qui s’était aussitôt dissous au contact de ma peau, fut bientôt suivi d’une flopée de semblables. En quelques minutes, les branches des arbres autour de nous prirent une subtile teinte plus claire.
Assis côte-à-côte sur le rocher moussu, nos souffles dissipant d’opaques volutes de condensation, au milieu de la forêt rattrapée par le crépuscule, je perdis un instant la notion du temps.
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