Chapitre 48
La voix de Julien me ramena au présent, après un temps indéfini.
– Nat, je veux pas paraitre alarmant, mais… La nuit tombe, le brouillard s’épaissit, on est aussi près de retrouver la chambre d’hôtes que de tomber sur la maison d’Hansel et Gretel, t’as une cheville et un coude en vrac, je pense qu’il faut appeler les secours.
Je battis des cils en tournant la tête vers lui, l’air surpris.
– Les secours ? Mais non, on va s’en sortir tout seuls, ne t’en fais pas, le rassurai-je, en lui prenant la main. On ne va pas les faire déplacer un 25 décembre pour une petite entorse.
– Tu penses qu’on est les seuls à les solliciter aujourd’hui ? se moqua Julien. Non mais sérieusement, ce serait plus raisonnable, Nat.
– Ton esprit d’aventurier s’est vite évaporé, tu ne fais plus le malin, maintenant, pas vrai ? le charriai-je. Écoute, si d’ici une heure je ne suis toujours pas capable de marcher, on fera appel à eux, d’accord ?
Julien soupira mais approuva ma proposition. Il se leva du rocher et m’attrapa sous les aisselles, pour m’aider à me mettre debout à mon tour.
– Aïe ! m’exclamai-je, en tentant un pas après avoir posé mon pied blessé sur le sol.
– Laisse-moi mettre du froid sur ta cheville, pour limiter l’enflement.
Julien se baissa, fit mine de mettre ses mains en coupe pour recueillir de l’eau dans une flaque, mais je l’arrêtai :
– Non, tu ne vas quand même pas imbiber ma chaussette d’eau pour garder ma cheville au frais ?
– On va pas attendre que la neige tienne sur le sol pour te faire un cataplasme, répliqua-t-il.
– J’ai déjà les pieds trempés, c’est pas la peine ! Et je suis gelée, n’essaie même pas de verser de l’eau sur moi !
Après une courte dispute, Julien consentit à laisser la flaque tranquille.
– Fais comme bon te semble, grogna-t-il, mais je maintiens qu’il faudrait appeler les pompiers… Tu vois bien que tu peux pas aligner trois pas, on dirait un nourrisson ivre mort !
– Oh, en tout cas, on peut être contents, quel beau weekend de Noël, rétorquai-je vertement. Merci pour ton idée fabuleuse de faire une rando par ce temps horrible ! Ce n’est pas comme si les locaux ne nous avaient pas prévenus, en plus !
– Eh, si on se retrouve là tous les deux, c’est pas que ma faute ! Je reconnais que c’était sûrement stupide de vouloir sortir à tout prix pour profiter du parc avant de partir, mais est-ce que t’as été plus perspicace que moi pour suivre les bons panneaux ? On est dans cette galère parce qu’on est pas doués en orientation, c’est tout ! C’était juste une rando, tout aurait dû bien se passer, en théorie !
– Non, c’est trop facile, ne te débarrasse pas de la faute en me faisant porter une part de la responsabilité, vociférai-je, je ne t’ai accompagnée que parce que tu as lourdement insisté !
– Tu vas pas essayer de me faire culpabiliser en sortant que tu devrais arrêter de chercher à me faire plaisir, j’espère ? riposta Julien, furibond.
– Non, figure-toi je ne suis pas ce genre de personne ! Bon, tu m’aides à avancer, oui ?
Grommelant, il se positionna à mes côtés et je m’appuyai contre lui pour claudiquer.
La neige tombait dru, désormais. Le froid glacial et le brouillard n’avaient fait que se renforcer.
Les muscles ankylosés et les doigts engourdis, je grelottais en silence, collée contre le buste de Julien, avançant par petits pas irréguliers, d’une lenteur exaspérante.
– Je sens plus mes pieds depuis une éternité, se plaignit-il d’une voix faible, on se refroidit de plus en plus en marchant si lentement…
– Je te signale que je suis déjà au max, sifflai-je entre mes dents.
– Je sais, mais on s’engourdit et nos vêtements trempés aident pas…
J’éternuai alors. Comme je le redoutais, j’avais bel et bien attrapé froid la veille et commençais à me sentir patraque.
– Tu sais quoi ? dis-je. Tu devrais courir, essayer de trouver de l’aide ou directement la chambre d’hôtes si tu peux, et revenir me chercher ensuite.
Julien me regarda comme si j’avais perdu l’esprit et objecta du tac-au-tac :
– Te laisser seule dans le froid ? Hors de question, me parle plus de cette option. Une fois de plus, je te dis qu’il faut appeler les secours.
– Alors d’accord, soupirai-je, consciente que l’heure que je m’étais accordée pour retrouver une démarche normale était largement écoulée.
Sans attendre, Julien dégaina son téléphone et entreprit de le rallumer.
– Non, non, c’est pas…
En jetant un œil à son écran, une chape de plomb sembla s’abattre sur mon estomac. Le sigle « batterie vide » semblait nous faire un pied-de-nez.
– Je sais que mon portable se décharge rapidement, mais généralement, c’est pas aussi fulgurant ! bredouilla Julien, l’air effaré.
– C’est le froid, dis-je d’une voix blanche. On n’a pas le choix, il va falloir continuer à marcher…
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