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Il y avait trois médecins dans l’assistance. Ils ont tout de suite compris que William était touché à la colonne vertébrale. Le SMUR est intervenu rapidement. Comme il y avait un blessé, la gendarmerie risquait d’intervenir aussi.
Heureusement, depuis le dimanche, tout était en cours de rangement. Beaucoup étaient repartis, revenus seulement pour ce déjeuner exceptionnel avec leur « héros ».
Le groupe s’éparpilla dans les cinq minutes. Les gendarmes étaient arrivés une heure plus tard. Il n’y avait plus aucune trace. J’avais été exfiltré le premier, trop marqué pour passer inaperçu, avant même l’arrivée de l’ambulance. J’ai appris tout cela lors de mes premières visites de retour au Damn’s. Visites amicales, pour retrouver une ambiance qui me manquait déjà. J’ai appris à cette occasion qui étaient mes compagnons de jeu. En fait, le Damn’s Club était fréquenté par la bonne bourgeoisie de la ville. La clientèle était hyper sélectionnée. J’appris que la famille de William était une des plus grosses fortunes de la région, comme celle de Guillaume. Il y avait des avocats, des médecins, des hauts fonctionnaires, un colonel, etc. Je ne les avais vus que comme des hommes attirés par les plaisirs violents entre hommes. C’était aussi un club fermé d’affaires. Je découvris qu’Armand et Lucas, comme moi, n’appartenaient aucunement à ce milieu. Ils avaient été acceptés grâce à leur petit copain respectif, beaucoup plus respectable. Je n’avais jamais senti de mépris ou même de différences à l’intérieur du Club. Les tenues, un peu standard, et la nudité, ne permettaient pas d’afficher son statut. Cependant, les plus importants se connaissaient. Partager ces occupations secrètes et hors normes créait des liens.
J’avais acquis un statut spécial, une aura, qui impressionnait tout le monde. Sans cette distinction, je n’aurais jamais eu droit à ces confidences. Chacun maintenant venant se vanter de ce qu’il était, quémandant un morceau de ma célébrité.
Que les crucifiés aient été choisis hors de leur groupe social me questionnait. Je voulais savoir si cela avait été fait innocemment, inconsciemment, ou si nous leur avions servi de jouets.
Je ne doutais pas de William. Il était venu me chercher, me convertir, me libérer, car il me vouait un amour et une admiration illimitées. Ce qui s’était passé entre nous n’avait été dû qu’à ses démons. Je pense qu’il avait un trouble psychologique, certainement aggravé par ce viol dans son enfance. Je ne le tenais pas responsable pour ce qu’il m’avait fait subir. Je connaissais aussi en lui l’amoureux, l’amant infatigable.
Je ne connaissais les autres que par nos jeux sado-maso, reproduction exacerbée des jeux sociaux. Parmi eux, il y avait des gens biens, notamment les deux toubibs qui m’avaient soutenu, Anucci et Charles.
Je me promis de veiller sur ce point, si jamais une nouvelle expérience devait se dérouler. Je me refusais encore à l’envisager. Mais encore une fois, juste une ! Pourquoi pas…
Pour l’instant, cette appartenance spéciale des membres du Club fut sans doute un argument pour le classement de l’enquête.
***
J’avais à nouveau trouvé refuge chez Paul. C’est lui qui m’avait ramené du château. Son affection et son attention permanente pour moi étaient une des plus belles choses que j’avais. Je refusais de le comparer à William, malgré la force de mon sentiment amical.
Nous n’étions que tous les deux, sa compagne du moment n’ayant pas résisté à un mois d’abandon. Le prochain ou la prochaine n’allait pas tarder, mais j’avais mon ami pour s’occuper entièrement de moi. Les soins médicaux m’étaient prodigués par Anucci, dans une clinique privée. Paul prenait en charge d’autres soins. J’avais besoin de revivre normalement. Nos petits jeux sexuels étaient toujours aussi plaisants.
Je n’ai jamais compris qu’il ait découvert si tardivement, et grâce à moi, le plaisir entre hommes, car il donnait et recevait avec expérience. Je crois que ces distractions m’étaient nécessaires, car les nouvelles de William étaient désastreuses. La chute avait été mauvaise.
***
William resta en soins intensifs pendant plus d’un mois et en ressortit tétraplégique. Je voulais le revoir, prendre soin de lui et l’oublier. Je n’en avais pas encore la force. Je n’étais pas en paix avec ce que nous avions vécu et surtout son attitude avant l’accident.
Mes plaies achevaient de se fermer. J’aimais la sensibilité quand j’appuyais sur les cicatrices fraiches de mes poignets. L’intensité de l’expérience ne s’était pas encore totalement estompée.
Paul avait pris soin de moi, me redonnant de l’attrait pour les plaisirs sexuels. Mon état ne pouvait assouvir tous ses besoins. Il trouva un compagnon plus résistant. J’allais mieux, j’étais resté pour son amitié. Il était temps que je rentre chez nous.
L’appartement était à l’abandon depuis plusieurs mois. En y pénétrant à nouveau, je fus terrassé. L’odeur de William imprégnait les murs de notre chambre. Notre lit regorgeait de ce parfum. Son manque, sa disparition me sauta au visage. Nous avions vécu tellement intensément. Nous avions tellement partagé. La moitié de ma vie n’était plus là, ne sera jamais plus là.
Une infinie tristesse m’envahit. Une infinie colère me submergea. Je ne comprenais pas pourquoi il voulait me voir mort. Qu’avais-je fait ? Il était devenu fou. Était-ce à cause de moi ? Parce que j’avais réveillé ses démons, moi le désinhibiteur, comme il disait ?
Il m’avait aidé, il avait besoin de moi maintenant. Il fallait que j’aille le voir, que je prenne soin de lui. La pensée de revoir ses yeux meurtriers me glaçait.
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