CHAPITRE III - Partie II
J-15 avant l'envolée de l'espoir noir. 9 h 12.
La cantine est déjà fermée à cette heure-ci, j'ai manqué le déjeuner de peu. Mon ventre gargouille. Je n'ai rien avalé depuis hier soir. J'essaye alors avec peine de m'asseoir sur le bord de mon lit.
Il fait beau aujourd'hui, ce qui ravive le peu de joie qui daigne s'éterniser en moi. J'entends le doux bruit de la nature se réveiller après une longue nuit. Les oiseaux chantonnent de leurs voix claironnantes, heureux de retrouver un tant soit peu de chaleur. Ce matin a des aires de conte de fées.
Mon corps est encore meurtri, néanmoins, il me fait moins souffrir que la veille. J'analyse mon programme ancré sur l'écran de ma montre, rien d'exaltant. Je remercie, mentalement, l'alarme de ne pas m'avoir réveillée tôt aujourd'hui.
Soudain, on toque à la porte. Je n'ai le temps de répondre quoi se soit que cette dernière est déjà ouverte. Jayce franchit alors le seuil. Une chance, il n'est pas venu les mains vides. Mon ventre sautille d'excitation à la vue d'un tel festin. Mes yeux sourient.
« Le déjeuner est servi, annonce-t-il.
Immédiatement, je discerne dans son comportement une pointe d'acidité. Il s'assit à côté de moi en m'offrant deux petits pains et une brique de jus d'orange. Un miracle. Impatiente, je le dévore à pleine dent.
- Merci, je dis entre deux morceaux.
- Y a pas de quoi, exprime-t-il avec cynisme.
Une interrogation lui brûle la bouche et bientôt elle enflammera la conversation. Je ne sais encore quoi répondre.
- Alors ? Je commence.
- Alors quoi ?
- Pose ta question qu'on en finisse.
Il serre les dents ainsi que ses poings pour contenir sa frustration. Je suis un mystère à ses yeux et cela le rend dingue. Il ne supporte pas le fait de ne pouvoir décrypte ce code que j'incarne.
- Qui t'a fait ça ? Hein ? Et ne t'avise surtout pas de me mentir ! me menace le brun avec autorité.
Je reste muette. La honte me percute de plein fouet. Je suis incapable de combattre mes pulsions démoniaques. Je suis faible. Il est impossible que je lui dise la vérité. Cette soirée était une erreur, cela ne se reproduira plus. Je me le jure. Une promesse de moi à moi-même est signée. Je n'ai aucune envie de décevoir une énième fois.
Le jeune homme perd vite patience, il est tout aussi impulsif que Bewen. Cependant, contrairement à lui, il connaît les limites à ne pas violer. Que répondre ? Je le sens sur le point d'exploser, mais je préfère de loin l'entendre m'insulter que de dévoiler quoi que se soit sur cet incident.
- Tu te fous de moi ? Andorra, je te parle ! Je veux savoir ce qui t'est arrivé ! Je ne suis pas con ! Tu ne t'es pas juste cogné la tête contre le mûr, crie Jayce.
Le silence ensorcèle ma bouche.
- Putain ! Réponds ! braille-t-il de plus belle en agitant les bras dans tous les sens devant moi.
Je fais mine de ne rien entendre restant impassible devant sa demande. Je n'ose ne serai-ce que poser mon regard sur lui.
- Fais chier !
Tout en lançant des jurons, le jumeau de Jade entreprend alors de faire les cent pas à travers la pièce. Je ramène mes jambes contre mon torse. J'assure mes arrières comme je peux. En me protégeant, je fais de même pour lui. Il n'existe chez moi aucun désir de le blesser par le biais de mes actions stupides.
Désespéré, Jayce s'accroupit devant moi et serre mes mains dans les siennes en signe de protection. Il plonge ses yeux dans les miens m'obligeant à le confronter. La scène m'est comme bizarrement familière. Je ne serai comment le décrire.
- Je t'en conjure, explique moi. Comment veux-tu que je t'apporte mon aide si tu ne m'apprends pas les circonstances de ton état ? Je désire juste te mettre en sécurité.
Je soupire. Il m'est impossible de supporter son regard plus longtemps.
- L'autre soir...
Il me dévisage avec insistance afin que je finisse la fin de ma déclaration.
- Je traînais dans les couloirs, pour me changer les idées. J'ai, comment dire... bousculer accidentellement des prisonnières sur mon chemin. C'est un peu flou... je mens alors que mes souvenirs la veilles étaient tout ce s'il y a de plus clair. Elles m'ont tabassées...
- Tu ne te rappelles de rien d'autre en particulier ?
- Non. Euh... non.
- La prochaine fois qu'on les croisera, préviens-moi, grogne Jayce. Ces connasses ne s'en tireront pas aussi facilement.
Mon ventre se noue, et se renverse. Mentir me coupe littéralement la respiration. Il n'y a pas que le fait que j'ai pris de la drogue qui me tourmente. S'il venait à apprendre que j'ai demandé des informations sur l'envolée de l'espoir noir, le jeune prisonnier m'en voudrait terriblement.
J'ai passé la journée entière enfermée dans cette chambre. Bouclé, séquestré, emmuré dans cet amas de pierre et de ciment impossible à briser. Je ne peux m'empêcher de gesticuler dans tous les sens. En bougeant autant, je ne cesse pourtant de me faire du mal. Mes plaies sont encore pleinement fraiches et me font souffrir. Mais dans mon cas, le mal est un objet de libération.
Mes songes se heurtent sans arrêt, ma tête va probablement exploser. Sortir, m'échapper, m'évader ses mots hantent le moindre des mes pas, à travers la pièce.
Je trépigne, m'avance, recule. Je ne sais plus où poser mes pieds, ils ont quadrillé chaque millimètre carré du sol de cette pièce.
D'ailleurs, je la hais plus que je ne l'ai jamais haï, en cet instant précis. Ma montre émet une alarme assourdissante. C'est l'heure du dernier repas de la journée, le souper. Tendu, je l'arrête dans la millième de seconde. Cette matinée m'a semblé durer une éternité.
La route vers la cantine est interminable. Autour de moi, la réalité s'est engouffrée dans une profonde nuée floue. Un mur s'est construit entre moi et se monde sans que j'y œuvre. Les sons et les odeurs, ne me m'atteignent plus.
Je trouve enfin une place à laquelle m'asseoir. Mes mains tremblent. Pourquoi ? Je suis vidée de mes forces. Je ne tiens plus que par la volonté d'un fil mince et fragile. Je me faufile entre les prisonniers pour m'installer et me coince contre les parois grise et glacée.
Chaque repas semble si précieux à Elario. Je dévore mon assiette sans y laisser une miette.
Soudain, les dizaines d'écrans accrochés au plafond de la cantine s'allument. Le journal télévisé. Ils affichent les couleurs du drapeau de Koram, le blanc et bleu. Sur ces télévisions, nous sont projetées les infos quotidiennes. Une propagande hebdomadaire clamant la paix et le respect de l'entière population envers notre grand et noble pays.
Cette émission n'a qu'un but : inonder les esprits les plus faibles de n'importe quelle futilité, leur semblant juste et indispensable à la survie de l'humanité. Ces salauds ne se privent pas en s'inspirant de leurs peurs les plus ancrées. Le générique habituel tourne pour ensuite faire place à notre journaliste, Greg Dorne.
« Bonjours Koram, bonjour à la chère population de cette patrie garnie par la paix et la force. Aujourd'hui, n'est qu'une journée de plus sous le signe de la prospérité et du bonheur, commenta-t-il un sourire hideux scotché sur ces lèvres pulpeuses. Seulement, celle-ci est aussi une exception, je l'espère. Elle restera probablement inscrite à tout jamais dans la mémoire de notre peuple. Car cette journée est marquée par un acte des plus barbares, un scandale, un drame répugnant qui ne doit en aucun cas se reproduire à nouveau.
Le présentateur réajuste son costume noir dernier cri. Brillant de mille feux grâce aux milliers de diamants gris incrustés qui le décore. Il coiffe ses cheveux blancs d'un coup de main et empoigne les papiers qui se trouvent devant lui.
Je suis étonnée. En général la plupart des crimes commis sur le territoire, sont juste balayé pour éviter toute forme d'histoire traumatisante. D'ailleurs la plupart des hôtes d'Elario, n'ont jamais vu leurs délits évoqués, au grand jour, aussi horribles aurait-ils pu être.
- Nous avons ici, au journal, beaucoup hésité, avant de dévoiler cette information. Finalement, nous avons pris la décision de vous mettre au courant. Car vous avez le droit de savoir la vérité, toute la vérité, mentit-il aisément sans remords apparent. Vous avez avez le droit de ne vouloir entendre à nouveau une telle atrocité parce que vous avez le doit d'avoir peur, énonça-t-il accentuant les dernières paroles de sa phrase. C'est avec beaucoup d'émotion aujourd'hui...
Il marque une pause fendant une ample tristesse.
- ...que je vous annonce la mort. Oui, elle a emporté hier l'âme d'un petit garçon alors âgé que de 3 ans.
Ma curiosité est piquée au vif. Comment la mort d'un enfant a , soudain, une si grande importance aux yeux de la capitale ? Aussi égoïste soit-elle, pourquoi communiquer cela ? Pourquoi aujourd'hui ? Il y a déjà eu pire que je sache ? Je vois que mon incompréhension est partagée par l'ensemble de la cantine puisque les chuchotements se sont amplifiés.
- Cette enfant portait le nom... D'Eneko.
Mon cœur manque un battement. Mon corps entier me démange. Mon cerveau est sur le point de se liquéfier. Une coïncidence. Une simple coïncidence. Après tout, il n'existe pas qu'un unique Eneko dans ce monde. La nervosité m'ensevlit à une vitesse terriblement impressionnante.
- Cette jeune âme, aujourd'hui, ne subira plus aucune violence et vit en paix dans les bras protecteurs de notre dieu. Ce petit ange nous a quittés, hier, dans d'affreuses circonstances. En effet, croyait le ou non Eneko a été tuer de sang-froid par son propre père ayant déclaré la vue de son enfant insupportable. Il aurait dit mot pour mot "Il me rappelait bien trop ma femme, le chagrin m'a rendu fou. " Le meurtrier de ce pauvre petit garçon était veuf depuis peu.
Mon pou s'accélère sans condition. J'ai l'impression que mon cœur va exploser dans ma cage thoracique.
Non, non, non, non, non. Coïncidence, coïncidence, coïncidence je me répète, sans cesse, dans ma tête bouillonnante.
Je me consume, tripote mes doigts avec anxiété, ma respiration se soumet à un rythme soudoyé par la peur en personne. Celle-ci me manipule avec une aisance aveuglante. Je suis presque sur le point de suffoquer.
- C'est avec une grande tristesse et un énorme chagrin que nous déclarons nos plus sincères condoléances à la famille et aux proches d'Eneko que nous ne nommerons pas par respect...
La voix de Greg Donne s'ébranle, parfois pour donner de l'authenticité à ses paroles. Il a adopté une mine affectée, ses yeux sont, presque, sur le point de céder aux larmes.
- C'est en son honneur que nous passons quelques images de lui.
C'est impossible. Non. Suis-je en train de faire un rêve ? Un cauchemar ? C'est sûrement cela. Je suis encore dans mon lit dans les vapes. Subitement, je me mets à trembler. J'arrête tout mouvement et dirige toute mon attention à l'écran.
C'est. Impossible.
Non. Non. Non.
Une photo du petit apparaît. Il possède des boucles noires en batailles, un sourire sublime gravé jusqu'aux oreilles. Les pommettes rouges, un teint hâlé, de grands yeux éblouissant de par une étincelle bleue.
Un hurlement se déchire à l'intérieur de mon corps. Les morceaux de mon âme succombent aux flammes. Elles n'ont plus aucune raison d'être. Tout comme moi.
Un bain de larmes amertumes inonde mes joues. Elles tombent une après l'autre. J'ai cédé au désespoir. On m'a arraché le cœur d'une traite sans me prévenir des possibles conséquences.
En l'espace d'une seconde, je suis rendue folle et la malade d'exister sans lui. C'est une infamie. Un calvaire. Un supplice que je ne peux vaincre.
La chair de ma chair est s'est envolé aux cieux me laissant volé seul, sur la surface encore brumeuse de la terre. Mon fils. Mon tendre fils s'est éteint. Et moi avec.
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