Chapitre 1

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- Incinération ou enterrement ? Voilà en résumé la question que l’agent des pompes funèbres venait de poser à Mme Helen Chatterton, sixième fortune mondiale. Celle-ci fixa une seconde le corps de son époux, puis choisit la première option.

Il n’était pas dans les habitudes de cette femme de perdre son temps en tergiversations, d’autant que si son mari venait de mourir d’une leucémie. Pour commencer, il fallait qu’elle s’assure que son fils bien-aimé Paul, alors âgé de treize ans n’en soit pas porteur. Des examens furent pratiqués et le verdict ne tarda pas : cancer génétique du sang — ce qui est assez rare —. Avant que les premiers symptômes apparaissent, l’élite des professeurs fut consultée, mais aucun ne parvint à la rassurer quant à une possible rémission et encore moins une guérison. Cependant, là où ils avaient échoué, la « femme de pierre » se jura de ne reculer devant rien ni personne pour sauver sa progéniture.

Miss Chatterton commença par essayer de recruter discrètement une poignée de spécialistes, entièrement dévoués à sa cause. Hélas, soit parce qu’ils possédaient un poste prestigieux — pour lequel on aurait pu leur demander de se justifier — ou qu’ils se considéraient comme des artistes de la recherche voire des bienfaiteurs de l’humanité, les meilleurs durent être écartés.

*

Après tractations, cent mille dollars mensuels et une prime d’un milliard en cas de guérison de Paul représentèrent une motivation acceptable afin de recruter trois des meilleurs spécialistes des maladies héréditaires. D’abord, Élisabeth Raslan une généticienne tenace et William Graham un bio-informaticien furent sélectionnés, malgré un problème annexe lié au fait que ces deux spécialistes avaient été amants. Cependant, suite à un accident ayant rendu paraplégique le jeune homme, sa compagne d’alors avait choisi de mettre fin à leur relation. Pour superviser l’ensemble, un manager — terme qu’il n’appréciait gère et dont il préférait celui de chef scientifique - et accessoirement prix Nobel : Nicolai Prizileski.

Officiellement, ces trois cancérologues seraient des médecins-chercheurs, sponsorisés par l’association GFA — genom for all — et occuperaient l’aile privée d’un hôpital de Los Angeles. Officieusement, ils avaient pour mission de guérir Paul.

À cause des risques d’espionnage, nulle petite main et aucun sous-traitant ne fut engagé, ce qui commença à faire naitre un sentiment de dévalorisation au sein du groupe. Pour éviter cela, Miss Chatterton dut faire l’acquisition d’un séquenceur d’ADN muni d’un système d’électrophorèse piloté par ordinateur, initialement prévu pour la CIA.

Si ces élites médicales ne comptaient pas leurs heures, tous avaient pour habitude de se rendre à la machine à café à neuf heures, afin d’exprimer sans tabou leurs problèmes ou inquiétudes, comme leur cadre le leur avait demandé.

- Il y a eu une coupure d’électricité ce matin. Heureusement que le séquenceur est sous onduleur, dit William en entrant dans la pièce avec son fauteuil roulant.

- Au fait, je n’ai pas vu sur quoi vous travaillez depuis deux jours ? questionna Nicolai.

- En rêvant, j’ai eu une sorte de révélation. Un humain est constitué de 100 000 milliards de cellules qui proviennent toutes d’un code ADN. Et si au lieu d’essayer de comprendre la séquence défaillante de Paul qui a entrainé sa leucémie, on comparait ses gènes avec ceux d’autres personnes qui ont la même maladie.

- C’est brillant, indiqua Élisabeth, et totalement inenvisageable dans un milieu médical habituel.

- Justement, poursuivit William. Cela représente une somme de calcul impressionnante à cause des séquences d’alignement à déterminer, mais avec notre matériel dernier cri, c’est concevable, non ?

- Attendez, aucune bio-info ne devra être rendue publique sans autorisation, indiqua Prizileski d’une voix ferme. Vous avez signé une clause de confidentialité qui vous l’interdit. Ne l’oubliez pas.

À ces mots, le temps sembla suspendre son vol, comme si le serment d’Hippocrate devait se taire devant les revenus que pourrait rapporter une évolution médicale majeure. Tous se regardèrent avant de se rappeler qu’un enfant risquait chaque jour de mourir et qu’ils devaient faire en sorte que cela n’arrive pas ou le plus tard possible.

- Excusez-moi, dit le chef scientifique. Je ne suis ni un homme d’argent, ni de pouvoir et je ne suis pas doué pour arrondir les angles.

- Allons patron, ce n’est rien indiqua William, afin de détendre l’atmosphère… vous pourriez être en fauteuil roulant. On va y arriver, parole de scout.

- Comment ça ? interrogea la généticienne d’une voix presque amusée.

- C’est l’expression « parole de scout » que tu ne comprends pas ?

- Très drôle. Au fait, qu’est-ce qui est vert et qui pue ? demanda Nicolai. Un scout mort au fond des bois. Allez, on a tous envie de prendre notre retraite le plus tôt possible et si nous sommes des spécialistes de la recherche fondamentale, il est temps de le prouver. La pause-café est terminée.

C’est sur ces mots et avec un enthousiasme relatif que la petite équipe d’experts se remit au travail, comme depuis les trois derniers mois. Cela n’empêcha pas Prizileski de demander des explications au bio-informaticien l’après-midi même, par rapport à sa théorie.

- Où en êtes-vous William ?

- Le nouveau séquenceur est digne de la NASA, rien à dire à ce niveau-là ? Tenez, il va bientôt donner des résultats. Quand je pense qu’il m’aurait fallu attendre trois jours dans le civil.

- Je parlais de votre idée de ce matin.

- Justement, le compte rendu qui va arriver est lié à cela, mais je vais tout vous récapituler. Depuis que le génome de Paul a été séquencé et grâce à cette machine, nous pouvons tenter de comparer la mutation d’ADN qui entraine sa leucémie héréditaire avec celle d’un prélèvement dont nous sommes sûrs qui est porteur de la même maladie. Je veux parler de celui de son père.

- Je comprends, répondit le prix Nobel. Imaginons que cela fonctionne, nous pourrions créer des souris humanisées avec cette mutation, puis grâce à des criblages ADN, espérer qu’une seule d’entre elles guérisse spontanément ou avec notre aide. Ensuite, il nous suffira de lui prélever quelques cellules progénitrices directement dans sa moelle osseuse, de les éditer génétiquement, puis de les injecter dans la colonne vertébrale de Paul. Cela demandera du temps, de l’argent et les risques de rejet ne sont pas nuls, mais l’idée est brillante. Bravo.

- Juste pour ma curiosité personnelle, de combien de souris de labo aurons-nous besoin ? demanda William.

- Mille pour commencer me semble un minimum. Je n’ignore pas que cela vous répugne de les savoirs condamnées d’avance, mais dites-vous que leur sacrifice n’aura pas été vain. À terme, nous devrions être capables de proposer une immunothérapie totale pour Paul, sans compter les implications possibles pour le reste de la population.

- Exactement. Au fait, nous n’avons pas encore reçu son bilan sanguin hebdomada…

Le bio-informaticien n’avait pas fini sa phrase, que les résultats de la comparaison ADN entre Paul et son père apparurent sur le PC.

- Rien de probant, dit William.

Une chape de plomb s’abattit sur les épaules des deux hommes, mais le manager relativisa rapidement cette déconvenue.

- C’est dommage, mais j’aime bien votre théorie. De quoi auriez-vous besoin pour continuer ?

- Il faudrait que j’améliore ma base de données afin de faciliter les recherches de correspondance ADN. Idéalement, il me faudrait un maximum de génomes déjà référencés. Pour les traiter, il va également me falloir une stratégie de filtre et de regroupement informatique, le tout commandé par un algorithme sur mesure.

- Je vais m’en occuper, répondit Prizileski sur un ton décidé. N’hésitez pas à exprimer vos idées ou besoins le plus tôt possible. Nous sommes la seule association pour laquelle l’argent n’est pas un problème, alors pourquoi ne pas en profiter.

L’après-midi même, William avait accès à la base de données ADN de toutes les administrations les utilisant, comme les hôpitaux ou centres de recherches d’Amérique et une grande partie de celle de l’Europe, soit cent millions de prélèvements — animaux et végétaux compris —. La somme d’information était encore si importante que Prizileski dut demander le financement de l’équivalent de la bombe atomique sur le plan de la recherche fondamentale : un super calculateur quantique, commandé par une intelligence artificielle. Moins d’un mois plus tard, le bâtiment fut construit et l’équipement informatique — initialement prévu pour anticiper le changement climatique — mis en service.

Miss Chatterton avait dû tirer quelques ficelles, mais elle savait que si nous sommes égaux devant la mort, ce n’était pas forcément toujours le cas pour la maladie.

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