Chapitre 4

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Vers 20 heures, Élisabeth et William quittèrent leur hôtel à bord du camping-car aménagé pour son conducteur paraplégique et filèrent vers l’Est de Rimouski. Si l’homme regardait de temps en temps la jupe de la jeune femme, celle-ci était plongée dans ses pensées depuis un moment. Estimant l’instant opportun, le bio informaticien engagea la conversation par une banalité.

- Cet engin n’est pas mal, mais le mien est meilleur. J’adore aller à la plage de Malibu. Mais je ne peux pas m’y rendre aussi souvent que je le voudrais à cause du travail. Et toi ?

- Moi, je pense qu’il y a des micros au bureau, dit la jeune femme en haussant les épaules. Tu ne trouves pas bizarre que Nicolai ait su qu’on avait découvert une séquence ADN exceptionnelle, avant qu’on lui dise ?

- Non, car pour lui, on avait été piraté.

- Et si c’était une ruse ou un test de fidélité à l’entreprise. Il est tout seul à Los Angeles à faire Dieu sait quoi ! Si à notre retour, il n’y a plus de labo, cela ne m’étonnerait pas.

- Ben, de toute manière, on est presque arrivé au point de rendez-vous. Autant continuer, non ?

- Ce n’est pas faux, mais si on se fait refroidir par des tueurs, ce sera de ta faute.

- D’accord, dit William en souriant. C’est à ce moment que le bio informaticien décida d’être plus explicite.

- Au moins, on mourra ensemble. Au fait, je peux te poser une question personnelle ?

- Dis toujours.

- Si Ryan était dans le même état que moi, tu continuerais à vivre avec ?

- Tu me dragues ? demanda Élisabeth un peu circonspecte. Je te rappelle que je suis innocente de l’accident dont tu as été la victime.

- Non, c’est qu’à chaque fois que tu parles de ton copain, tu le rabaisses quand tu ne te fous pas de lui. C’est plutôt bizarre, je trouve.

William avait essuyé tellement de refus de femme qu’il avait appris à anticiper des stratégies de diversion et cette fois-ci ne fit donc pas exception. Élisabeth eut un doute quant à la justification de son homologue, mais décida de passer outre. Par contre, Graham avait vu assez juste dans l’attitude étrange de sa voisine, car même si elle réussissait généralement à le cacher, Élisabeth souffrait depuis des années d’une tendance à la dépersonnalisation.

« Mais qu’est-ce qui font ensemble ? » était la question que se posait la plupart des gens quand ils voyaient Élisabeth Raslan et son boy-friend Ryan Wago pour la première fois, tellement ils semblaient mal assortis. Physique banal, voire malingre pour la jeune femme et muscle saillant sous un marcel trop petit pour lui. Mais ce n’était ni pour son esprit, ni pour son aspect que le médecin subvenait à tous les besoins financiers et sexuels de son Apollon, mais pour autre chose : Miss Raslan voulait une vitrine, un moyen de se sentir valorisée dans un Monde où ni la religion, ni la maternité n’avaient pour elle de but. Ryan en avait-il conscience ? Pratiquement, mais il avait décidé de passer outre tant qu’il était jeune et pouvait assouvir ses deux passions : le surf et la musculation. En échange, Élisabeth échappait donc à une inéluctable dépression, en s’abritant derrière un masque de normalité.

- Je n’ai jamais trouvé l’âme sœur, même quand nous étions ensemble et je doute pouvoir le faire un jour. Tu crois peut-être que Ryan est l’aisé ?

- Tu as une conception de la vie bien étrange.

- Ryan me permet de ne pas me sentir seule. Tu as un chat ? Moi, je pense en adopter un si je devais devenir célibataire. — Je remplacerai un animal par un autre qui m’aimera, parce que je correspondrai à ses besoins. Il ne me jugera pas et ne se rendra même pas compte quand je serai âgée — pensa-t-elle.

- Je ne te connaissais pas si froide.

- Je suis pragmatique. J’estime que c’est une qualité dans notre métier, mais pour moi c’est une seconde nature.

- Vous n’as pas répondu à ma question, mais je préfèrerais finalement que tu ne le fasses pas. Tiens, sors la carte topographique et le GPS de mon sac s’il te plait, on est presque arrivé.

- Bien sûr. Au fait, c’est quoi ce schéma ? Dit Élisabeth en montrant le dessin d’une chaine ADN.

- Ça, c’est la représentation graphique du million de gènes, avant d’être étudiée par notre IA.

- C’est vrai que ça ne ressemble à rien d’habituel, dit la jeune femme en regardant la feuille en format A3. Et ça ?

- Une vue satellitaire de notre rendez-vous, moi aussi j’ai quelques qualités, dont celle de l’anticipation.

La généticienne hésita à lui rappeler que s’il avait mieux anticipé un certain virage, il aurait toujours l’usage de ses jambes. Afin d’éviter une situation embarrassante, elle préféra s’abstenir.

- C’est quoi cette image, il n’y a rien qu’un bois et de la neige dans un rayon de cent mètres.

- Enfin, tu voulais quoi, un panneau avec écrit : ici, la réponse à l’énigme des trois cancérologues un peu timbrés du GFA. Bon, pour la neige, la photo a été prise l’hiver alors il y en a, mais ce n’est rien ça. Comme on est en été, elle a fondu, au pire il n’y aura qu’un peu de boue. De toute manière, on est arrivé.

Une fois le Ford garé sur le bas-côté, William et Élisabeth durent attendre au milieu d’une clairière le moment précis du rendez-vous pendant plusieurs heures. La généticienne se permit même de faire un compte à rebours, alors que son voisin avait le contenu de son sac sur les genoux.

- 3, 2, 1, 0. C’était une blague et elle n’était pas drôle, dit la scientifique sur un ton dépité. Allez, on rentre à l’hôtel.

- Ouais, finalement c’était juste un bug informatique. On pourrait regarder les étoiles quitte à être là, qu’est-ce que tu en penses ?

- Franchement, je ne préfère pas, déclara Élisabeth. Au fait, j’espère que tu n’as pas piraté notre IA pour qu’on se retrouve seul.

- Bien sûr que non, parole de scout.

C’est au moment de partir que William ne put s’empêcher de remarquer que ses chaussures étaient sales — ce qui n’arrive pas quand on est en fauteuil roulant, étant donné que les pieds ne touchent pas le sol —.

- Mes orteils, dit l’homme. Ils ont bougé.

- Sérieusement, je voudrais rentrer. Je commence à en avoir marre de tes patétiq…

En quelques secondes, il était debout, son sac à dos venant de tomber à sa droite. Tel un culbuto finissant de se stabiliser, il la regarda et des larmes se mirent à couler le long de ses joues. L’évidence dans toute sa splendeur, l’avènement d’une existence comme dans un utopique rêve. Quelque chose s’était surement passé, peut-être un miracle. Après quelques secondes, les deux scientifiques purent enfin se ressaisir.

- Tu ne te souviens de rien, lui demanda-t-elle.

- Non, répondit-il avant de sourire et de se rassoir d’un coup — les muscles de ses jambes n’étant pas habitués à cet effort —.

À ce moment précis le téléphone de William se mit à sonner.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda la généticienne.

- Nicolai a cherché à nous joindre. Attends, il est 4 h 47 et le rendez-vous était à 1 h 40 min 13 s, se sentit presque obligé de préciser William en paniquant un peu. Ça fait plus de trois heures. Impossible qu’autant de temps se soit écoulé, sans qu’on ne s’en soit pas rendu compte. On a peut-être été frappé par la foudre ou un truc comme ça !

- Et tu aurais récupéré l’usage de tes jambes ? Tu rigoles. Tu avais peut-être raison finalement et la séquence ADN représentait bien un lieu de rendez-vous pour les extraterrestres.

- Soit, mais que va-t-on faire à présent ? dit William. On pourrait prévenir Nicolai, mais il avertirait la dame de pierre ou n’importe qui d’autre, comme l’armée ou la maison blanche ?

- À sa place, c’est ce que je ferais.

Le bio informaticien mit sa tête entre ses mains, puis bougea les pieds avant de sourire.

- Et si on ne disait rien. Ce sera notre secret, car je n’ai pas envie de finir en prison ou sur une table d’autopsie. Je vais cacher le fait que je ne suis plus paraplégique, tant qu’on n’en saura pas plus. Il sera toujours temps plus tard qu’un miracle se produise.

- D’accord, consentit Élisabeth.

- Bon, rentrons discrètement à l’hôtel, dit William avant de ramasser ses affaires et de se diriger vers son véhicule en s’aidant de son fauteuil roulant. De toute manière, nous sommes crevés et le soleil se lève dans moins d’une heure.

Le retour se passa sans problème. Le seul élément important fut un simple SMS de William vers Élisabeth : « Objet inconnu dans sac à dos, viens immédiatement dans ma chambre ». La jeune femme hésita, mais étant très fatiguée et las des tentatives de drague de son ancien amant, estima que cette requête pouvait attendre.

La généticienne dormit d’autant mieux cette nuit-là, qu’on lui injecta deux millilitres de stylnox — un puissant somnifère —, à l’aide d’un pistolet hypodermique avant qu’elle ne soit évacuée par un hélicoptère de l’armée américaine. L’équipage avait dans un premier temps refusé de sortir du territoire US, mais au vu de la personne qui leur avait donné cet ordre, ils n’avaient pu qu’y obéir. Son nom était Steve Kalagan, mais les initiés qui connaissaient son niveau de responsabilité l’appelaient « Monsieur Gentil ». Celui-ci avait été surpris d’apprendre que les docteurs Raslan et Graham s’étaient introduits dans la Maison-Blanche jusqu’au bureau ovale, mais surtout que juste après, toutes formes de vie y aient été éliminées dans un rayon de plus d’un kilomètre.

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