Charly et Sam
L'après-midi tire en longueur dans le bocal informatique où il ne reste plus que mon meilleur ami et moi-même. Je meurs de chaud en attendant l'heure de la libération. Mon téléphone vibre et m'indique que mon solde bancaire vient de changer. Un coup d'œil rapide sur le petit écran me signale que j'ai reçu mon salaire.
- C'est de l'exploitation Sam, je te le dis, de l'exploitation, soufflé-je, dépité.
La chemise impeccablement boutonnée et la cravate remontée, j'étouffe, même sans ma veste en tweed. Je lève mon regard vers Sam. Lui, c'est mon meilleur ami, également informaticien et reconnaissable à ses lunettes carrées trop grandes et ses cheveux gominés. Alors que je fais tous les efforts du monde pour avoir une promotion en venant en chemise et cravate, lui arrive toujours en jean, baskets et veste de sport. Remarquez, c'est grâce à cela qu'il est parfaitement à son aise tandis que je souffre de la chaleur. Cela fait maintenant trois ans que nous travaillons dans cette toute jeune entreprise d'import-export de produit de beauté pour animaux. Je crois que je ne comprendrais jamais les personnes qui pomponnent leurs animaux comme s'il s'agissait de leurs enfants. Moi je préfère avoir un meilleur ami. Il est bien plus drôle qu'un chat, même ceux que l'on voit dans les vidéos sur internet. Et au moins, quand on sort, c'est pour aller dans notre bar préféré. Là-bas, on en a pour notre argent. Pour seulement cinq euros de l'heure, on peut jouer aux consoles et sur les bornes d'arcades de danse. Nous avons notre propre chorégraphie, élaborée à force de sueur et de travail. J'en suis très fier.
- C'pas grave Charly, on va avoir une super affaire et BAM ! Plein d'argent !
- Comme la fois où l'on a retrouvé le lézard dans la gouttière ? ironisé-je
- Plutôt comme la fois où la pâtissière était cocue. Les animaux, ça ne rapporte pas assez, affirme-t-il avec conviction.
Puisque tout le monde est parti, je lance sur mon second ordinateur notre site internet. Avec Jasmine et Mylène, nos deux amies, nous avons monté notre agence de détectives 2.0. Entre les compétences de Jasmine en design et graphisme, celles de Mylène en code, celle de Sam en montage audio et les miennes en leadership et série policières, l'idée s'était imposée d'elle-même avoir un second travail qui aide à finir nos fins de mois.
À nous quatre, nous pouvons retrouver les animaux perdus, tout aussi bien que surveiller les maris ou les femmes infidèles. Pourquoi retrouver les animaux ? Vous seriez surpris de constater à quel point les personnes peuvent dépenser leur argent pour leurs animaux. Entre ceux qui les déguisent, ou qui leur achètent un anorak assorti à de petites bottes à poids qu'ils ne supportent pas. Sans compter ceux qui les coiffent avec des nœuds et autres accessoires... Mais j'ai beau rafraîchir la page, aucun nouveau message ne s'affiche. Aucune demande.
- Ce n'est pas ce soir qu'on sera riche, soupiré-je, déçu.
Par-dessus mon épaule, je sens le regard de Sam qui vient voir s'il n'y a aucun bug. Je comprends sa moue dépitée quand je l'observe dans le reflet de l'écran.
- Allez, viens. On s'tire.
- Il reste encore 10 minutes avant la fin de notre journée.
- Tu sais très bien que personne ne va vérifier pour 10 minutes...
Je le sais bien, mais je ne veux pas créer le moindre faux pas dans mon dossier. J'espère toujours pouvoir passer chef de projet à la fin du mois. Cela va faire bientôt un an que je brigue ce poste. Je travaille tous les jours d'arrache-pied pour tenter de me faire remarquer. Mais quand votre travail est de faire en sorte que tout va bien, personne ne remarque que vous faites du bon travail. C'est assez frustrant, mais je ne désespère pas. Avec l'importante réunion de la fin du mois où chacun présente ses résultats annuels, je sais qu'en préparant un discours parfait, je peux avoir ma promotion.
Je sens d'un seul coup ma veste glisser de mon dossier. Le temps de me retourner et j'aperçois Sam à l'autre bout de la pièce, la secouant.
- Si tu viens pas, je la jette, ton immonde veste ! me crie-t-il en riant.
- Je te l'interdis !
En deux clics, j'éteins mon PC et lui cours après pour tenter de la récupérer. Pas très sportif, tout comme lui, je lui reprends ma veste une fois sorti. L'air est frais et le choc de température nous fait éternuer en même temps. Un fou rire plus tard, nous nous rendons à notre repaire où les filles nous attendent déjà. Lui porte son sac à dos sur l'épaule et son écharpe bariolée autour du cou, moi je tiens mon attaché-case en main et j'ai ma veste bien fermée.
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