Mots à mots
- Tu es plein de surprises. Je pensais que tu étais un amateur, mais tu es vraiment doué, confesse-t-elle.
Je m’extasie sans un bruit. Non seulement elle m’apprécie, mais à ma juste valeur en plus !
- J’ai 33 ans alors j’ai de l’expérience, affirmé-je enthousiaste.
- Avec les enfants ? Tu en as ?
- Oh… non, non. Mais un jour, j’aimerais bien.
Bon, là encore, je n’en suis absolument pas sûr. Mais pour elle, j’arrive à me convaincre que je pourrais devenir un père de famille. Un bon père même. Je pose ma main négligemment sur la table avec le fol espoir qu’elle rapproche la sienne. Je suis sûr que je lui plais, à la façon qu'elle a de se pencher vers moi, pour prendre son verre. À son regard si puissant, comme si elle voulait me dévorer. Je me sens tout chose. Elle m’intimide presque. Je suis enivré de son parfum. J’ai l’impression que tout va plus vite autour de nous. Je suis dans une bulle de bonheur.
- Quels sont tes centres d’intérêts ? me demande-t-elle en glissant sa fourchette entre ses lèvres que je ne peux lâcher du regard.
- Hum, l’informatique, la lecture et la musique bien sûr, énuméré-je, en faisant un grand effort pour la regarder dans les yeux.
- Impressionnant ! Personnellement, j’adore le jazz, la poésie. Qu’écoutes-tu ?
Je déclame alors aussitôt mes préférences musicales, encense la poésie et le jazz, dont je ne connais pas grand-chose. Je note pour plus tard qu’il faut que je me cultive à ces sujets pour pouvoir tenir une conversation digne de ce nom. Mais si c’est ce qu’elle aime, alors je l’aime aussi. Le repas est somptueux. J’apprends qu’elle est divorcée et que sa fille est sa seule enfant. Elle est si cultivée que je l’en admire d’autant plus. Elle me décrit son métier, mais j’ai déjà fait toutes mes recherches sur lui. Petit à petit, je vois ses lèvres bouger, mais je n’entends plus grand-chose, absorbé par ce superbe visage ovale aux reflets ambrés, encadré de ses cheveux frisés, tirés en chignon. Ses pommettes hautes, ce petit grain à droite de la commissure de ses lèvres. Elle est parfaite. Je suis certain qu’elle incarne le nombre d’or, symbole de la perfection. Le temps me semble être une nouvelle unité de mesure : celle du bonheur. Plus je l’observe, plus je me sens euphorique. Mon cœur manque même un battement en sentant ses doigts qui effleurent les miens. Elle est bien trop distinguée pour mettre sa main sur la mienne dans un endroit si respectable. Mais je suis sûr qu’elle l’a fait intentionnellement et je me sens alors si extatique que je pourrais me lever pour déclamer que je suis amoureux. Mais ici, cela ferait mauvais genre.
Lorsque le son me revient, elle semble attendre une réponse et nous en sommes déjà au dessert. Oups ! Elle parlait de mes enquêtes et du site internet, il me semble. Je réponds alors de la manière la plus détendue possible.
- Ce n’est pas faux.
Il paraît que c’est une bonne réponse dans ce genre de situation. Je crois que j’ai entendu ça à la télévision. Elle rit et hoche la tête. Merci la télévision !
- Mais c’est ridicule ! ricane-t-elle d’un air moqueur.
Houla. J’ai dû manquer quelque chose d’important. Son regard est railleur. Je tente de reprendre contenance, mais c’est loin d’être facile. Elle ne me regarde plus sérieusement. J’ai l’impression d’être une farce. Est-ce qu’elle se moque de moi ? Je n’ose pas demander. Elle continue de rire. Je tique. Je me sens mal. Je ris doucement pour cacher mon désarroi et demande l’addition. Je n’ai pas le temps de prendre ma carte bleue, elle donne déjà la sienne pour nous deux. Je me sens inutile. Je peux payer ! Je la remercie un nombre bien trop important de fois pour être naturel tout en la suivant pour sortir. Bon sang, je ne suis vraiment pas doué. Elle semble voir mon inconfort, mais garde un immense sourire. Blessé à vif, je la regarde prendre les clefs que le voiturier lui donne. Je tourne les talons et m’enfuis. Tant pis si je ne lui ai pas dit au revoir. Tant pis si je n’ai pas pu lui avouer à quel point elle m’attire. Tant pis si elle ne connaît pas mes sentiments. Ils me brûlent la poitrine. Ils m’étouffent. Ils m’oppressent. Que j’aimerais qu’ils n’aient jamais existé !
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