La combattante

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Une douce musique s'échappait des abords du château. À l'intérieur des murs, des éclats de voix et des tintements de verre résonnaient. La fine fleur du royaume de Perle faisait la fête dans une des demeures de leurs pairs et pas des moindre : elle appartenait à un Conseiller du roi. Si on avait la chance d'y être invité – ou de s'y infiltrer, il était certain que l'on passerait une merveilleuse nuit à la condition d'aimer les soirées mondaines.

Un cortège incessant de calèches traversait les grilles de la propriété, sous l'œil vigilant des sphères de surveillance disséminées partout. Elles déposaient ensuite leurs passagers aux portes du château avant d'être évacuées plus loin sans oublier de nourrir les chevaux, pour celles qui en avaient besoin. Chaque noble qui descendait était méconnaissable, leur visage était camouflé par un masque. Cette soirée n'en était pas une comme les autres : le Conseiller avait organisé un bal masqué. L’aristocratie de Perle avait grand besoin de s'amuser et de s'adonner à des frivolités. Alors on rivalisait d'invention et de stratagèmes pour garder son anonymat. Certains optaient pour des masques qui ne couvraient que les yeux, d'autres affichaient un déguisement plus extravagant les uns que les autres. Plumes, soies et broderies ; pierres, gemmes et bijoux ; rouge, jaune et bleu, on assistait à une ribambelle de couleurs et de formes. À défaut de pouvoir se reconnaître entre eux, ils étalaient leur richesse et leur puissance.


Une calèche s'arrêta devant les marches du château. Une femme en sortit. Immédiatement, elle suscita de nombreux regards. Toutes les personnes de bonne famille essayaient de trouver qui se cachait derrière ce masque noir brodé d'argent. Çà et là, quelques perles d'ivoire ornaient les contours. Il ne laissait apparaître que les yeux marron de sa détentrice et descendait jusqu’aux joues, s'arrêtant au niveau de la bouche aux lèvres maquillées d'un rouge profond.

Mais ce qui provoquait ces chuchotements autour d'elle, bien plus que la volonté de connaître son identité, était sa tenue. On n'avait jamais vu un habit qui piétinait à ce point les codes de la haute société. La femme masquée portait une robe sans corset, noire et près de corps qui ne laissait aucune doute sur ses atouts plus qu'avantageux. Fendue sur toute la longueur de la jambe droite, le vêtement dévoilait également son dos nu jusqu'à la chute de ses reins. De plus, la femme ne portait pas de couvre-chef et laissait sa longue tresse de cheveux d'ébène pendre allègrement sur sa poitrine et son ventre. Enfin, une écharpe en fourrure rouge complétait sa tenue, protégeant ses épaules de la fraîcheur de la nuit.

Il était impossible que cette apparition soit issue de la noblesse perlienne ; son attitude et son accoutrement ostentatoire rappelaient plutôt les contrées de l'Est. Elle devait certainement venir du royaume de Diamant, les gens là-bas n'avaient aucune dignité. On se demandait à voix basse comment elle s'était procurée une invitation. Elle ne devait pas en avoir, voilà tout. Ou bien, c'était une fausse. Elle n'allait pas entrer.


Faisant fi des commentaires qu'elle suscitait, la sublime créature gravit les marches. Arrivée en haut, elle sortit de sa poitrine une enveloppe où était apposé le cachet portant les armoiries du Conseiller. Le garde la laissa entrer.

Ses talons résonnèrent sur le sol marbré du château, très vite masqué par la musique qui provenait d'un petit orchestre au fond de la salle. Même noyée parmi la masse des invités, elle attira certains regards insistants. Elle sembla ne rien remarquer et s'approcha d'un buffet et saisit une coupe de liqueur de raisin blanc. Puis elle parcourut la salle des yeux à la recherche de quelqu'un, qui n'était pas présent. Qu'importe, il allait très vite se manifester,il n'allait pas prendre le risque de laisser n'importe qui entrer chez lui et il était évident qu'elle n'avait pas sa place ici. Si ce n'était les enjeux de sa présence en ces lieux qui le pousserait à vouloir la rencontrer, la curiosité le fera.

Le premier effet de stupeur passé, nombre de gentilshommes l'abordèrent. Elle refusa une par une leurs avances avec quelques mots bien passés. Certains repartirent la queue entre les jambes, d'autres plein de rêves en tête sur la nuit qu'ils pensaient passer.

Les minutes s'égrenaient, la jeune femme commençait à s'impatienter et l'orchestre lui tapait sur les nerfs. Les nobles avaient depuis longtemps détourné les yeux d'elle et la plupart avaient fini par l'oublier. Elle termina la dernière gorgée de son verre et le posa sur le plateau d'un serveur.

Soudain, comme mue par son instinct, elle tourna les yeux vers l'entrée de la salle. Aussitôt, ils s'écarquillèrent de stupeur. Cinq hommes firent leur apparition et ils scrutaient les moindres recoins de la pièce.

« Comment ont-ils fait pour me retrouver aussi vite ? » pensa-t-elle. Au même moment, l'un d'eux leva un doigt dans sa direction et murmura quelque chose. Sans attendure une seconde plus, la femme s'éloigna à l'autre bout de la salle. Les hommes se frayèrent un chemin à travers à travers la foule. Ils n'hésitaient pas en bousculer certains mais restaient tout de même calmes pour ne pas provoquer un mouvement de panique.

La mystérieuse femme quitta la salle de réception par une porte dérobée et se retrouva dans un couloir perpendiculaire. Elle s'engagea, ses talons claquant contre le sol lustré. Elle ne connaissait pas la demeure mais se fiait à son sens de l'orientation pour retrouver son chemin. Au loin, une porte claqua. Les hommes étaient à ses trousses. Elle accéléra le pas, tourna à gauche puis à droite, perdit du temps à ouvrir une porte qui menait à un cabinet et finit par déboucher dans une salle carrée. Nulle trace d'une quelconque issue de secours. Elle allait rebrousser chemin quand elle entendit des éclats de voix provenant du couloir. Les hommes se rapprochaient et lui coupaient tout moyen de fuite. Elle allait devoir trouver une solution et vite.


Cinq silhouettes entrèrent dans la pièce.

— Où est-elle passée ? tonna le premier poursuivant, une armoire à glace. T'es sûr qu'elle est là ?

— Certain, le couloir ne mène qu'ici. Tu doutes de ce que dis ? rétorqua un second, plus petit.

Ils entrèrent franchement et regardèrent autour d'eux, sûr d'eux mais oublièrent de jeter un œil au plafond.

Une ombre s'abattit sur le premier des gorilles. La femme au masque d'argent crocheta ses épaules avec les jambes et saisit sa tête entre les mains. Dans un craquement net, les os du cou se brisèrent et il s'affala sur le sol. Il n'eut le temps de pousser aucun bruit.

La femme profita de l'effet de surprise pour frapper du plat de la paume la gorge de son voisin, lui coupant la respiration. Il recula en suffocant, les yeux écarquillés. Les trois restants, plus alertes que leurs coéquipiers comprirent la situation. Ils se mirent en position de combat, arrachant un sourire narquois à la femme qui se reprit vite. Ce n'était pas le moment de faire du zèle, les hommes devant elles appartenaient à une guilde clandestine. Ils n'étaient pas de simples moines.

Le premier se jeta sur elle dans un cri féroce. Elle évita in extremis le crochet qui filait droit sur son visage et contre-attaqua en le fauchant avec son pied. Il perdit l'équilibre sous la force de l'attaque et signa son arrêt de mort : la femme frappa son torse et son cœur fut perforé par sa cage thoracique brisée.

Aussitôt, la température de la pièce monta d'un cran. La combattante fit une pirouette et sa natte frôla une boule de feu, lui grillant quelques cheveux au passage.

« Des sorciers ! C'est impossible, la guilde ne peut pas les voir en peinture. Sauf si... ». Elle n'eut pas le temps de s'épancher sur le sujet. À quelques mètres d'elle, un homme en retrait préparait déjà une seconde sphère d'Ethernel entre ses mains. Dans un cri, il lâcha son attaque qui fila droit sur elle. Elle glissa sa main sous sa robe à hauteur de sa cuisse et en sortit une poignée qu'elle projeta devant elle. La boule de feu la frappa de plein fouet et disparut dans un crissement. Elle utilisa son bouclier comme une arme volante et décapita le malotru.

Malheureusement, il avait réussi à détourner son attention. Le poignard que tenait un des hommes lui cisailla la jambe. Elle fit un bond en arrière pour ne pas rester à portée de leurs armes.

La femme glissa une nouvelle fois ses mains dans sa robe et en sortit deux griffes de combat. Elle s'élança sans un bruit en direction de ses adversaires. Profitant de sa vitesse, elle se laissa tomber sur le sol et éventra son attaquant. Elle contourna le deuxième et se jeta sur les sorciers. Le lanceur de boules de feu eut la gorge tranchée, son ami eut tout juste le temps de préparer son attaque avant de connaître le même sort.

Il ne restait plus qu'un gorille. Une perle de sueur dégoulinait de son front et il jeta un œil aux corps ensanglantés à côté de lui. Il était déterminé : il brandit sa lance devant lui et fonça. Il anticipa le mouvement de son adversaire et contra son attaque ; les griffes ripèrent sur la manche. La femme tourna sur elle-même et frappa du pied. L'homme recula sous le choc mais tint la tigresse à distance avec sa lance qu'il fit tournoyer. Dans un cri de désespoir, il voulut faucher la femme. Les deux armes s'entrechoquèrent dans un bruit sourd. L'homme ouvrit la bouche, éberlué : elle avait réussi à contrer son attaque en coinçant sa lance entre les griffes. La dernière chose qu'il vit fut le masque noir et argent qui cachait le visage de celle qu'il croyait être sa proie. Il hoqueta de douleur, le corps transpercé.

La femme nettoya ses armes du sang de ses adversaires avec leurs habits et prit la fuite. Il ne fallait pas qu'elle soit attrapée ou on poserait trop de questions. Il était préférable de contacter le Conseiller un autre jour.

Une fois dehors, elle enleva le stupide masque qui l'empêchait de respirer correctement.

Elle tâta du bout des doigts sa blessure superficielle et baissa ses yeux en amande sur sa robe trouée. C'était dommage, elle lui plaisait bien. Elle sortit de la propriété d'un pas rapide.

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