Chapitre 05 : Jamais vraiment seul

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La réflexion était inévitable. Peu importe ce qu'il faisait, ses cellules grises se mettaient en action, travaillaient, ressassaient le passé. C'était douloureux, désagréable, et le fait qu'il ne puisse rien n'y faire rendait la situation encore plus complexe. Cela faisait neuf années qu'il n'avait pas recroisé le chemin d'une personne de ce passé dont il tentait de s'éloigner. Et puis du jour au lendemain, elle apparaissait dans sa vie, telle une fleur fleurissant sous les cendres d'un incendie.

Evalyn avait, malgré elle, commencé à torturer l'hôte qui, habituellement, arrivait à mettre assez de distance dans sa vie personnelle pour que cela ne se remarque pas lorsqu'il était en service. Mais à cause d'elle, il ne pouvait s'empêcher de réfléchir. Pourquoi n'était-elle pas revenue ? Pourquoi n'avait-elle pas essayé de le recontacter ? Il avait sûrement dû mal évaluer les sentiments de la demoiselle. Finalement, elle avait été tout simplement honnête avec lui... À cette pensée, il eut envie de sourire, depuis quand les femmes pouvaient être vraiment sincères ?

Il fallait tout de même qu'il se fasse une raison, oublier Evalyn, oublier ce qu'elle signifiait, oublier d'autres choses encore... Et entre-temps, il avait oublié où il se trouvait. Heureusement, une demoiselle était là pour l'aider à sortir de ses soucis intérieurs.

- Nathanaël ? Tu te sens bien ? Demanda la demoiselle d'une voix inquiète.

L'hôte releva les yeux. Il venait de remarquer qu'il avait laissé son regard se fixer sur le café que sa cliente lui avait offert. Il soupira et sourit tout en caressant de son pouce, le dos de la délicate main qui se trouvait enserrée délicatement dans la sienne.

Georgina Timbell avait une trentaine d'années et en paraissant en avoir seulement vingt. Des cheveux châtain foncé, une bouche fine et rougit à force des coups de dents qu'elles subissaient, des joues rebondies, une poitrine généreuse, voilà ce que pouvait voir au premier abord n'importe qui. Mais, son âge physique importait peu car, dans son esprit, c'était encore une adolescente et ce qu'elle venait de faire le prouvait. Timidement, elle lui avait avoué les sentiments qu'elle éprouvait envers le serveur. Pauvre petite. La déception l'attendait, aussi sûrement que le jour se levait chaque matin.

Les hôtes étaient avant tout sélectionnés pour leur capacité de compréhension de l'âme féminine et également parce qu'il pouvait élégamment repousser se genre de déclarations sans faire trop de dégâts.

Maintenant qu'il en était là, Nathanaël devait répondre à tout ce qui venait de se passer en prenant bien soin de ne pas avouer qu'il n'avait presque rien écouté.

- Et bien... Je dois admettre que vous me prenez au dépourvu. Ce que vous ressentez à mon égard est trop beau pour le simple serveur que je suis... J'avoue tout de même être troublé et torturé.. Depuis le temps que nous nous fréquentons, j’ose croire que vous n'avez pas oublié l'une des règles les plus importantes du Bar To Hadès... Finit-il par lâcher.

Comme prévu, le regard de Georgina était perdu et s’humidifiait petit à petit que les mots avaient passé les lèvres de son élu. Ce dernier affichait un sourire désolé et un regard compatissant, ce qui sembla alléger la peine de la cliente. Avec surprise, Nathanaël vit qu'elle eut le temps de se ressaisir avant de sombrer en sanglots et ce fut avec fierté qu'elle répondit en souriant pour masquer sa tristesse.

- Oui, je le sais... et j'ai longuement réfléchi... et puis j'ai décidé de te le dire, pour ne plus me faire d'illusions... Tu comprends ? Expliqua-t-elle d'une voix chevrotante.

La petite noble continua un instant à se trouver de nombreuses excuses, ce qui permit l'hôte de repartir dans ses réflexions.

Il s'était passé de nombreuses choses en neuf années. Il avait arrêté les cours et puis avait dû gagner sa vie comme il avait pu. Profitant des avantages que pouvait lui donner son physique avantageux et puis sa capacité à mimer des sentiments. La pratique du poker l'avait partiellement aidé à s'en sortir. Son physique avait fait le reste jusqu'à cinq ans en arrière. Il avait dû à nouveau changer de vie, changer tous ses repaires à cause de sa fichue malédiction. Cette pesante et insupportable malédiction. À cause de cela, il avait arrêté les casinos, arrêté de sortir, de voir des personnes qui auraient pu l'aider financièrement.

Ce passé, dont-il n'avait pas honte mais dont-il ne voulait pas se souvenir pour autant, ressurgissait à cause d'Evalyn. Sans le vouloir, ses souvenirs d'enfants refaisaient surface. Plus il essayait de la chasser et plus elle revenait en force dans son esprit. Impuissant, il laissa gagner son esprit. Il se rappelait d'elle plus jeune. Une petite, avec une tête de poupée, blonde, bouclée, avec des joues de hamster, un joyeux sourire épanoui... Evalyn était-elle encore comme cela ? L'avait-elle été à cette soirée ? Nathanaël ne se souvenait vraiment plus de rien. Le seul souvenir qu'il en avait, était ce sentiment de détresse qu'il avait ressenti dans ses tripes. La chose qui l'habitait avait senti Evalyn et en avait fait sa proie. Les jours prochains allaient être terribles à vivre, il le savait.

- Je crois... Je crois qu'il serait plus sage que je rentre... Déclara la demoiselle attristée devant l’indifférence de son compagnon. Elle voyait bien qu'il pensait et que ce n'était pas à elle. Aimable, elle préférait ne pas l'ennuyer davantage.

Nathanaël prit l'invitation au vol. Un soupire de soulagement fut repoussé en son fort intérieure. Au moins, il ne paraîtrait plus grossier aux yeux de Georgina. Cependant, il ne pouvait la laisser partir aussi simplement. Il tenta de reprendre les rênes de la conversation.

- Je m'en veux terriblement Georgina, ne crois pas que tes sentiments me laissent de marbre, j'ai seulement besoin de temps pour réfléchir à tout cela. Je me rattraperais tu verras.

- Je n'en doute pas, Nathanaël, je n'en doute pas... Soupira la cliente qui souriait faiblement.

Ce sourire annonçait que l'hôte était déjà pardonné de son écart. Peut-être était-ce grâce à la sincérité qui transparaissait dans son regard bien qu'il ne pense pas un mot des paroles que ses lèvres prononçaient.

La demoiselle se leva alors, doucement, avec élégance, et cette grâce caractéristique des dames de la haute société ayant de l'expérience. Le serveur sourit. Les manières de sa cliente trahissaient son âge, ce qui rendait Georgina différente des autres clientes.

Nathanaël escorta sa compagne jusqu'au rideau de perles qui cachait l'entrée du premier étage. Aucun mot ne fut échangé à ce moment-là. Ils n'y en avaient pas besoin. Les yeux de Georgina étaient plus humides que d'habitude et ses lèvres tremblaient. Elle se retenait de pleurer. Nathanaël ne fit aucun geste envers elle, cela aurait pu être mal interprété. Il lui offrit cependant son sourire le plus désolé qu'il lui était possible de faire. Devant ce sourire, la cliente sourit à son tour et fit un pas vers son serviteur favori. Elle continua de s'ancrer dans son mutisme et déposa simplement ses lèvres chaudes sur la joue du serviteur penseur. Ce dernier lui rendit son baiser sur ses mains fraîches, puis elle descendit les marches de l'escalier sans un au revoir pour son hôte. Parler aurait sûrement déclenché une crise de larmes...

Georgina était partie, laissant Nathanaël un peu plus libre. Ce dernier se retint de soupirer de soulagement. Il y avait encore quelques clientes dans la pièce et il ne pouvait donner l'impression que le travail était fastidieux. Toujours silencieusement, il fit demi-tour pour aller débarrasser la table de sa cliente. Il fallait remmener les deux tasses puis le panier contenant les petits gâteaux. Une fois cela fait, il suffisait de changer la nappe et y remettre une serviette repassée et pliée en forme de cygne blanc.

Nathanaël avait agi automatiquement. Il n'avait pas pensé à ce qu'il faisait, ses mains avaient plié et nettoyé sans que leur propriétaire ne les guides. De nouveau, Nathanaël était retombé dans ses songes et questionnements. Evalyn occupait de nouveau l'ensemble de son esprit. Seulement, lorsqu'il était dans cet état second, n'importe qui pouvait très bien le remarquer. Le masque de joueur de poker qu'il était n'était plus présent.

De ce fait, n'importe qui le connaissant un peu pouvait remarquer que quelque chose clochait. Le suivant à le remarquer fut Axel qui, malgré son manque de sommeil et ses cernes marqués, travaillait en duo avec Aiden. Il avait laissé le nouveau se débrouiller avec un petit groupe de jeunes mariées pendant qu'il venait parler à son collègue.

- Heu Nath ? T'as des problèmes en ce moment ? Questionna le jeune freluquet aux cheveux couleur châtain-roux.

- Je vais bien... C'est bientôt la nuit sans lune... c'est tout... Déclara Nathanaël encore ailleurs.

- Je vois. Et bien, tu n'as qu'à rentrer chez toi pour aujourd'hui, on te remplacera facilement, il n'y a pas beaucoup de clientes aujourd'hui. Profites-en. Proposa le jeune hôte serviable et généreux.

Nathanaël dû réfléchit un moment à l'offre qu'on lui faisait. Cela dura quelques longues secondes avant qu'il secoue la tête de gauche à droite. Il se passa une main dans ses cheveux noirs coiffés en arrière. Il laissa échapper un réel soupir avant de donner sa réponse.

- J'accepte. Merci, je te revaudrais ça... Avait-il dit avec simplement.

Le serveur prenait peu à peu conscience qu'il ne devait pas paraître au mieux de sa forme pour que son collègue s'inquiète au point de lui proposer de le remplacer. Il lui en était reconnaissant. Il laissa alors ses deux collègues s'occuper de l'étage. Posant une dernière fois son regard sur l'espace tamisé, il finit par disparaître pour arriver dans le vestiaire destiné aux hôtes.

Une fois seul et isolé, il posa rapidement son regard sur le miroir posé contre le mur. Il ne lui en fallut pas plus et il s'en détourna immédiatement. Il reboutonna les premiers boutons de sa chemise tout en laissant le premier détaché. Sa cravate fut resserrée autour de son cou et sans un autre regard à la vitre réfléchissante, il prit son casque de moto sous le bras et quitta l'établissement par la porte de service. Sa journée en tant qu'hôte s'arrêtait là.

Evalyn était trop présente dans son esprit pour qu'il puisse faire quoi que ce soit d'autre. Il y pensait depuis quelques heures déjà et finit par trouver la solution à son problème de concentration. La seule manière de s'en détourner était d'aller la voir. Comme un drogué en manque. Pourquoi avait-il fallu qu'il retombe sur elle. Il irait la revoir mais avant, il devait avoir un entretien avec une personne spéciale.

Un peu écarté des grands quartiers animés de Londres, Nathanaël arrêta sa moto sur une devanture de jardin assez grande pour y laisser son engin. Refermant la double porte de fer derrière lui, il retira son casque qu'il laissa sur le siège de la moto sans autre protection. Se saisissant de ses clés, il entra dans la maison. Sa logeuse devait sûrement se trouver dans le grenier à faire du rangement dans ses souvenirs. L'homme se fit discret dans la maison jusqu'à arriver dans son salon et sa chambre. Le lieu était calme, assombri par des volets et des rideaux épais. Son lit n'était pas défait et recouvert de feuilles d'écritures qui témoignaient de ses recherches d'écrivains. Son sens de l'organisation avait toujours fait défaut. Cependant, depuis qu'il était auteur à succès ce sens inexistant s'était encore plus éloigné de sa personnalité. Il était bordélique et le resterait sûrement très longtemps.

- Bien... Nous seront mieux pour discuter... Déclara Nathanaël alors qu'il était seul dans la pièce.

- Un souci Nathanaël ? Répondit une voix mielleuse et vipérine avec le même timbre de voix que celui du premier locuteur.

- Je te prie de ne pas commencer avec tes paroles de serpent. Soupira le véritable Nathanaël, déjà fatigué de la conversation qui venait à peine de commencer.

- Si je t'ennuie tu sais ce que tu as à faire... Me laisser ton corps par exemple... en attendant, je dirais et penserais ce que je désire ! Plus tu me garderas dans cette prison, plus je me débattrais, c'est aussi simple que cela Nathanaël. J'ai besoin de sang, et tu le sais... Répliqua l'autre et même voix.

Une nouvelle fois, Nathanaël poussa un long et déchirant soupir. Tournant la tête, il faisait face à son image donnée par les deux grands miroirs qui recouvraient les portes de son armoire. Dans le reflet se trouvait la chose, l'origine de ses tourments. L'entité qui le hantait depuis déjà cinq ans. L'être qui prenait possession de lui à chaque fois que les rayons de lunes étaient absents du ciel ou bien quand son esprit était trop faible pour retenir la créature démoniaque. Le monstre avec lequel il partageait son corps voyait, sentait, ressentait entendait au travers de son corps, seule fenêtre sur la réalité de l’entité. Il était prisonnier dans le corps de Nathanaël et n'en sortait que quelques heures par mois afin d'assouvir ses besoins vitaux et ses désirs viciés. Il était au courant de tout et c'était le fléau de l'hôte qui avait dû tout quitter de sa vie. Le romancier essayait tant bien que mal de brider cette conscience satanique mais rien n'y faisait, il perdait toujours contre lui.

- Laisses-la moi... Quémanda le démon du miroir.

- Qui ça ? Demanda distraitement le vrai maître du corps.

Nathanaël était en train de fouiller dans de vieux cartons de fournitures scolaires que la nostalgie l'avait empêché de jeter. Il s'agissait d'anciens cahiers d'école, des carnets mal écrits, des feuilles volantes notées et commentées par un vieux maître. Il cherchait une chose en particulier. Une sorte de joker pour lorsqu'il reverrait la jeune femme qui habitait dans son esprit depuis qu'il l'avait vue. La présence de l'autre était devenue son quotidien. Il était maintenant une sorte de colocataire permanent et très désagréable. Il rongeait sa patience mais l'hôte était endurant.

- La belle, la jolie, la tendre, la mignonne, appétissante Evalyn...

- Va au diable ! Lança Nath sans se détourner de sa recherche attentive.

- J'y suis déjà, Nathanaël ! Gronda la personne du miroir.

Il ne répondit rien, il était habitué aux éclats de colère de son parasite. Il le savait sanguin et le fait qu'il ne change pas habituait également Nathanaël à sa présence jours après jours, même si ses apparitions violentes se faisaient plus présentes lorsque la nuit sans lune s'approchait. Suite au refus de son colocataire, l'entité ruminait et grognait. Il mettait sûrement un nouveau plan pour faire céder son hôte...

- Si je te dis où tu trouveras cette stupide photo, tu me laisseras la goûter ? Renchérit-il avec entêtement.

- Non, certainement pas ! Continuait Nathanaël de plus en plus plongé dans ses fouilles, lui donnant l'air d'un archéologue.

- Ça n'aurait été qu'une gorgée ! Rien de plus...

- Jamais je ne ferais confiance à un démon de ton engeance ! Asséna le chercheur, s'agaçant un peu plus à chaque insistance.

- Un peu plus de respect, Nathanaël, je suis un vampire, ne me confonds pas avec ces monstres sans retenue ! Je ne le supporterais pas !

Le reflet semblait s'être vexé. Cela tira un sourire victorieux à l'écrivain.

- Tu as beau être un vampire, cela ne change rien au fait que jamais je ne te ferais confiance et que je ne te laisserais pas l'approcher. Reprit Nathanaël sur un ton monocorde.

- Voilà comment tu me remercies de vouloir t'aider !

- Hum ? Explique-moi …

- Allons Nathanaël... Tu es en train de la faire stupidement entrer dans notre vie. Notre vie que tu as pris tellement soin d'éloigner de tout pour notre sécurité et voilà que tu veux tout envoyer en l'air à cause d'elle. Avoue-le... Elle serait moins encombrante si elle n'était pas si... Commença le prisonnier.

- Si quoi ? Finis ta phrase ! S’impatienta Nathanaël.

- Si en vie... Si respirante, avec un cœur encore chaud et battant la jeunesse... Termina-t-il en fantasmant.

L'homme maudit ne prit même pas la peine de répondre aux délires de son parasite. Il avait trouvé la photo qu'il cherchait depuis quelques minutes. Rangeant sommairement le bazar qu'il avait mit dans sa petite chambre, il se leva du sol et prit un exemplaire de son dernier roman érotique. Il en avait toujours sous la main. Fier de lui, il s'approcha des miroirs accrochés à l'armoire. Maintenant, il était face à son sosie qui bougeait et n'avait pas la même expression que lui. Le vampire qui habitait son corps avait la même apparence dans ce miroir. Seules quelques différences les distinguaient.

Le vampire-reflet avait la peau blafarde, des yeux complètement noirs, et ses deux canines supérieures ressortaient de sous ses lèvres laissant voir leur aspect aiguisé et brillant de dangerosité.

Nathanaël lui montrait sa trouvaille après l'avoir jaugé d'un regard dédaigneux.

- Voilà, plus la peine de marchander maintenant.

- Allons Nathanaël, n'oublie pas, la nuit sans lune ne tardera pas et alors, il se pourrait que mes crocs se plantent par inadvertance dans la gorge de ta petite cliente préférée ! La dépendance arrive très vite chez les humains... Minauda le reflet qui avait préféré ne pas se mettre en colère.

- Tu prendras une autre fille ! Affirma le propriétaire de leur corps.

- Trop tard, mon choix est déjà fait, elle a l'air tendre à souhait, comme je les aime. Et tu ne me feras pas changer d'avis... Continua de titiller le vampire qui trouvait que les tentatives de protection de son geôlier étaient aussi mignonnes que pitoyables.

Le vampire parlait encore quand Nathanaël sortit du bâtiment pour reprendre la route. Dans le mini coffre de sa moto, sous le siégé, il avait installé la photo retrouvée et le livre de trois cents pages qu'il comptait bien offrir à Evalyn s'il la trouvait.

La moto s'était lancée dans la circulation londonienne. Il slalomait avec facilité entre les bus et les quelques voitures. Il savait où il trouverait sûrement son ancienne camarade. Ce savoir, il l'avait obtenu grâce à la langue bien pendue d'Ophelie Tompson. Evalyn étudiait dans l'une des plus prestigieuses universités de Londres.

La météo anglaise était parfois imprévisible et le motard en faisait les frais. En effet, lorsqu'il était parti de chez lui en hâte, il n'avait pas pris le temps d'observer le ciel gris qui s'assombrissait de minute en minute. Maintenant, de grosses gouttes d'eau froides le fouettaient alors qu'il arrivait près de l'une des entrées de l'université où il devait à tout prit y trouver Evalyn. Le romancier pesta une bonne minute contre le mauvais temps d'Angleterre, il se calma seulement quand il fut près de l'entrée. L'eau avait rendu sa chemise blanche transparente, ce qui pouvait faire son petit effet lorsque l'on discernait les abdominaux au travers. Les cheveux de Nath avaient également pris la pluie. Il venait de retirer son casque et se fut comme s'il sortait de la douche. Rapidement chacune de ses mèches se gorgea d'eau agaçant encore plus l'homme impatient.

Coupant le moteur de sa moto après avoir placé la béquille, il retira son téléphone portable de sa poche. Un tactile de couleur blanche plutôt en vogue. Il regarda l'heure, l'appareil lui indiqua aussitôt 17:00. Bien Evalyn ne tarderait pas à arriver. Il l'attendrait. Il savait qu'elle viendrait, elle y serait forcée par Ophelie. L'habituée du premier étage du Bar To Hadès avait été sa complice pour cette visite. Ils avaient tous les deux monté le plan machiavélique qui rapprocherait Evalyn d'un homme, peu importe qui il était. Pour Ophelie, son amie devait voir du monde, alors pourquoi pas un auteur à succès ?

Cette heure de pointe fut agaçante. Il y avait beaucoup de passage devant cette fac et quelques intrigués reluquaient sans discrétion le motard. Ce dernier s'en amusait. Si cela pouvait faire de la pub à Perséphone...

La pluie froide lui battait agréablement son dos tout humide de pluie. Descendu de son bolide, il s'en servait d’appuis. Deux mains dans les poches, il attendait sa proie. La foule n'était pas un problème, il la reconnaîtrait sans peine même avec ce peuple marchant vers une autre vie que celle de la faculté. Et dire que s'il n'avait pas croisé le chemin de la charmante blonde, il ne serait pas là, à attendre sous la pluie. Non, il referait les mêmes gestes de son quotidien, écrirait encore quelques scènes qui ne pourraient jamais être qualifiées de correctes et il pesterait certainement sur son parasite qui lui donnerait des idées encore plus glauques qu'il n'avait lui. Depuis qu'il l'avait recroisé, tout avait été bousculé dans sa vie à la limite de la monotonie. Enfin, s'il ne l'avait pas revu, il ne ressentirait pas cette petite pointe d'irritation et d'orgueil piqué. Elle n'était pas venue le retrouver et cela avait froissé sa fierté d'hôte le plus populaire. Aucune femme ne l'avait encore dédaigné, Evalyn ne serait pas la première et il ferait tout pour ne pas en faire l'exception à cette règle. C'était pour cela qu'il enfreignait cette loi qui soulignait qu'hôte et cliente n'avaient pas à se voir en dehors du premier étage. Nathanaël voulait gagner ce duel dont seul lui connaissait les règles. Il voulait que l'étudiante en arts tombe dans son piège, tombe sous son charme pour qu'il puisse s'éloigner de celui qu'elle exerçait sur lui.

Il repensait au vampire qui l'habitait et se demandait si c'était le fait qu'Evalyn l'ait froissé qui avait donné envie à l'entité de la supprimer. Nathanaël ne voulait pas tomber dans ce cercle vicieux de monstrueux meurtres. Jamais il ne pourrait accepter de supprimer ainsi les obstacles posés sur son chemin. Il s'en sortirait et sans faire couler le sang.

Ses idées arrêtèrent subitement de tourner dans son crâne. Il venait d’apercevoir la source de ses réflexions. Evalyn écoutait studieusement Ophelie qui aimait parler avec de grands gestes. La cliente d'Oliver s'arrêta quand elle eut reconnu Nathanaël et jouant la personne surprise à la perfection, elle montra du doigt l'homme complètement trempé. Evalyn ne sembla pas intriguée par la présence de l'hôte qu'elle avait choisi lors de la soirée surprise organisée par son amie. D'ailleurs elle lui glissa quelques mots à l'oreille. Ophelie la força à la suivre et, de par sa volonté, eu satisfaction. Evalyn la suivait. Rapidement, elles furent toutes deux devant lui, Ophelie lui souriait avec amabilité tandis que sa camarade s'appliquait à essayer de l'ignorer.

- Ho ! Et bien, Nathanaël, quelle surprise de te trouver là ! Tu dois sûrement être venu pour Evalyn, comme je ne peux pas faire attendre mon majordome, je vous laisse, à plus tard Evalyn chérie. Lança avec rapidité la demoiselle aux cheveux châtains. Elle disparut rapidement, comme elle l'avait dit.

Nathanaël et Evalyn étaient à l'écart du flot d'étudiants quittant l'établissement. Un silence pesant prit place après le départ d'Ophelie. Sans vouloir démarrer la conversation, le brun passa une main dans ses cheveux, les égouttant un peu par la même occasion. Il semblait que son ancienne amie n'ait que très peu de patience pour ce genre d'entrevu muette, elle ne laissa pas le silence se continuer plus longtemps et c'est avec une voix plutôt agressive qu'elle entama la conversation, Nathanaël se fit attentif aussitôt après qu'elle eut inspiré de l'air pour commencer sa phrase.

- Pourquoi attends-tu sous la pluie ? Lâcha-t-elle comme si elle en souffrait.

- Et bien... parce que tu n'es pas venue. Répondit l'écrivain sur un ton neutre.

- Effectivement, je ne suis pas venue, mais c'était mon droit. Peut-être que je n'en avais pas envie. Reprit-elle sur le même ton qu'au départ.

- C'était ton droit, comme tu avais aussi le droit de venir. Mais du coup, je t'attends. Relança l'homme qui gardait son calme et s'amusait devant l'agacement de la demoiselle.

- C'est inutile ! Surtout que je n'ai jamais dit que je viendrais ! Déclara-t-elle en croisant les bras sous sa poitrine.

Elle était sur la défensive, elle se sentait agressée. De plus, tout le campus pouvait admirer l'étalon avec lequel elle parlait. Elle aurait sûrement droit à quelques remarques le lendemain. C'est ce genre de situations qu'elle voulait éviter en restant concentrée sur ses études. Ophelie entendrait parler d'elle lorsqu'elle en aurait fini avec Nathanaël.

- Le plus attristant dans tout cela, c'est le pauvre livre qui prend la poussière. Se lamenta le mal venu tout en ignorant la remarque de la demoiselle.

Cette attitude eut pour effet de déstabiliser la jolie blonde platine. Elle avait relâché ses bras et observait son interlocuteur avec curiosité, comme l'autre soir, où ils s'étaient retrouvés. Intérieurement, Nathanaël avait l'impression d'avoir gagné une bataille. Il lui restait encore la guerre, alors il gardait ce léger sourire mystérieux et faiblement amusé.

- Quel livre ?

- Mon livre... Rappelle-toi, je suis écrivain. Je te l'ai dit quand tu m'as questionné. Reprit-il avec amusement.

- Ho... oui... C'est vrai. Murmura-t-elle en commençant à mordiller l'ongle irrégulier de son pouce.

La laissant culpabiliser pour sa petite mémoire, Nathanaël profita de l’accalmie que leur offraient les nuages gris pour ouvrir le petit coffre que sa moto offrait sous son siège. Il en sortit un livre épais de plusieurs centaines de pages. La couverture était épaisse, d'un noir uniforme et neutre. Seul le titre se faisait remarquer sur le devant : « Les épines d'une rose ».

Alors qu'il commençait à lui tendre généreusement l'ouvrage, il lui retira au moment où ses doigts allaient entrer en contact avec la couverture. L'écrivain lui tourna une seconde fois le dos tout en déclarant plus fort :

- J'ai retrouvé cela également !

Et sans plus de mystère, il posa la vieille photo de classe sur la devanture du livre. Evalyn ne fit aucun commentaire et commençait à regarder l'image inanimée. Son observation fut subitement coupée. Le cliché venait d'être retourné. Un carré blanc cassé avait pris la place des têtes enfantines. À la place, quelques indications, comme la date de prise de vue. Sceptique suite à ce changement de côté, l'artiste leva les yeux vers l'homme qui faisait remonter des souvenirs.

- Regarde-la quand tu seras chez toi. Conseilla-t-il.

- Pourquoi ?! Demanda Evalyn sans emballage courtois.

- Parce que je ne voudrais pas voir ton joli sourire effacé par une simple pluie. Répondit-il après avoir soigneusement choisi ses mots.

Après cette simple mais élégante phrase, Nathanaël, put voir naître dans le regard de son ancienne amie, la surprise. Il l'avait surprit et la fierté qu'il ressentit à ce moment-là fut camouflée avec soin. Les joues de la demoiselle avaient pris une teinte rosée qui aurait pu passer inaperçue si cela avait été vue avec des yeux d'amateur. L'hôte qu'il était avait finalement commencé à gagner des points avec Evalyn. Plus facile que prévu, se disait-il.

L'étudiante avait fait un pas en arrière et avait rangé les deux précieux dons dans son sac de cours. Une fois les présents enfouis parmi ses affaires, le sérieux avait repris place sur les joues de la demoiselle. Maintenant, elle fronçait les sourcils et avait posé machinalement ses points sur ses hanches.

- Je vois que les hôtes sont vraiment prêts à tout pour séduire leurs clientes ! Lança-t-elle comme une critique bien que le ton de sa voix soulignait son amusement devant l'initiative.

- Ne crois pas une chose pareille, je t-en prie. En dehors de notre lieu d'activité nous ne sommes plus serveurs. Considère cette visite comme celle d'un ancien camarade de classe, c'est ce que je suis après tout. Répondit-il avec un demi-sourire accompagné d'un clin d’œil spontané.

Evalyn avait souri même si elle n'avait rien ajouté. Un nouveau silence prit place entre eux deux. Cette fois-ci, ce fut Nathanaël qui le brisa avec volonté.

- Du coup, tu reviendras me rendre visite ?

- Où veux-tu que je te rende visite ? Interrogea-t-elle, un peu perdue.

- Au premier étage, bien sûr. Répondit l'intéressé avec un brin de fierté.

- Non ! Assena l'artiste comme un coup de grâce.

Non ?! Venait-elle véritablement de refuser ses avances ? Comme ça ? Sans remord ni sentiments d'être redevable ? Était-elle un genre de fille immunisée contre tout ce qui était cadeaux et attentions particulières. L'homme tombait des nus. Retenant sa mâchoire de tomber, il observa sa proie commencer à s'éloigner, elle avait simplement tourné les talons et commencé à s'éloigner. Puis elle s'arrêta et se retourna vers lui. Un sourire mutin illuminait son visage angélique.

- Je ne pourrais pas, j'ai de la lecture ! Lança-t-elle d'une voix forte pour couvrir le brouhaha de la foule.

Elle avait tapoté son sac de cours pour signaler quel genre de lecture l'attendait, puis disparut dans le nombre croissant de jeunes quittant la fac huppée.

Nathanaël laissa sortir un petit rire amusé devant le comportement imprévisible et indépendant de la blonde. Secouant la tête, éclaboussant les alentours avec ses cheveux saturés d'eau de pluie, il se rappelait du caractère bien trempé de la petite qu'elle avait été et remarquait qu'elle n'avait pas beaucoup changé depuis qu'ils avaient partagé la cour de récréation. Ce qu'il espérait maintenant, c'était que la demoiselle lui sortirait de la tête pour un moment. C'était le but de cette visite après tout.

Sans attendre davantage, il reprit simplement la route de son appartement de location. Il avait une journée de repos à occuper et il n'allait pas se priver de se faire plaisir. Il pensait déjà à la petite colline de travail d'écriture qui se transformait petit à petit en montagne à cause des désirs farfelus de son éditrice. Il envisageait d'écrire quelques scènes pour calmer ses envies gargantuesques. Oui, il ferait sûrement cela. Le motard enfila son casque malgré l'humidité de ses cheveux et reprit la route. Le confort de sa chambre l'attendait maintenant.

- Elle n'a pas voulu de toi, elle t'a rejeté ! Comme c'est triste...

- Tout comme le fait que tu es la mauvaise habitude de décrire tout ce que tu as vu... Je trouve ça terriblement lassant ! Répliqua l'homme maudit, blasé.

- Si cela peut te motiver à me laisser sortir plus souvent, cela m'arrange, vois-tu ? Justifia la même voix d'homme que Nathanaël.

- La nuit sans lune est pour bientôt, alors je te prierais de garder ta dignité et d'arrêter de me supplier ! Soupira le romancier qui avait développé des nerfs d'acier.

Le reflet de Nathanaël se trouvait dans le lit de ce dernier, avachi et pomme à la main, où l'avait -il trouvé ? Cela resterait un mystère. Le vrai Nath, quand à lui, avait autre chose à penser que d'analyser les comportements de cette âme damnée. Ayant attrapé une feuille vierge et son stylo-plume à encre noire habituel, il se mit à écrire à un rythme effréné, l'inspiration était revenue et il se doutait bien qu'Evalyn y était pour quelque chose, même s'il ne voyait pas en quoi la revoir aujourd'hui avait réveillé ses idées sombres et tordues.

Au bout d'une vingtaine de pages, sa main le faisait souffrir, mais peu importait la douleur physique tant qu'il avait l'inspiration. Les pages s’enchaînaient, se remplissaient de mots recherchés qui construisaient des phrases aux tonalités érotiques. Mais dix pages plus tard, son esprit exsangue d'imagination s’éteignit, plongeant l'auteur fatigué dans un sommeil réparateur.

Il put se reposer une ou deux heures, mais pas plus. Un hurlement qui aurait pu réveiller tout le quartier fit sursauter l'endormit. Perdu, l'écrivain s'était levé et regardait autour de lui ce qui aurait pu être la cause de ce cri déchirant. Avait-il rêvé ? Il ne savait pas, mais reprenait peu à peu ses marques. Il réfléchissait malgré lui. C'est ainsi qu'il se rappela que le cri avait été celui d'un homme. Automatiquement, il tourna son visage vers le grand miroir.

Sa version vampire était là, assise confortablement dans la même chaise qui l'avait accueilli pour dormir quelques instants plutôt. Ses pieds chaussés étaient posés sur le bureau, se fichant des feuilles qui pouvaient bien y être laissées.

- Voilà seulement que tu te réveilles ? Il va falloir faire quelque chose pour ce sommeil d'ours en hibernation, Nath. Avait lancé sa propre voix.

- C'est toi qui as hurlé ?! S'étrangla l'homme de chaire et d'os. Il commençait à bouillonner de colère.

- Je te l'ai déjà dit, je veux sortir, la nuit sans lune est trop loin à mon goût... tu ne croyais tout de même pas que j'allais te faciliter la vie alors que tu ne me fais aucun cadeau... sois raisonnable, veux-tu ? Expliqua calmement le parasite tout en observait sa manucure.

- Rha !!! Tu es impossible à vivre ! Rugit Nathanaël

Il fusillait du regard son reflet alors qu'il s'habillait en hâte. Il partait et le plus tôt serait le mieux. Il ne voulait plus avoir affaire avec cette conscience inconsciente. Ce parasite lui rongeait les nerfs, petit à petit, comme un souris qui grignoterait un câble. Câble qui, d’ailleurs, aurait cédé s'il était resté une minute de plus face à ce monstre qui empruntait son image. Grognant dans la barbe qu'il n'avait pas, il sortit de son appartement. Dans sa précipitation, il faillit renverser sa logeuse. Il la rattrapa avant qu'elle ne tombe en arrière dans les escaliers.

- Toutes mes excuses Mrs Levery ! Reconnu-t-il avec surprise.

- Ho... Mr Alois. Je venais voir si vous n'aviez pas d’ennuis, je vous ai entendus crier. Il ne vous est rien arrivé ? Questionna la vieille dame inquiète.

Se rendre compte qu'il y avait encore des gens bien intentionnés sur cette terre apaisa l'humeur de l'écrivain. Il s'adoucit et relâcha la femme lorsqu'il fut assuré qu'elle ne risquait plus de tomber par mégarde.

- Non... Je vous assure, j'ai oublié que je n'étais pas seul quand je me suis cogné l'orteil dans ma chaise. Navré de vous avoir inquiété... Répondit-il, gênée de s'être si facilement fait remarquer.

S'excusant encore quelques fois, il réussit à s'extirper de la bienveillance de Mrs Levery. Avant de sortir de l'établissement, il put voir à l'horloge au-dessus de la porte qu'il était déjà vingt-trois heures passées. Sans raison particulière, il se mit à repenser à Evalyn. Dormait-elle déjà à poing fermé, lisait-elle son livre alors qu'elle subissait une petite insomnie ? Cela ne l'avançait à rien de se poser autant de questions. Il devait laisser faire le temps, il devait laisser le temps à la jeune femme de vouloir lire son bouquin, d'en savourer le moindre mot. L'hôte en lui espérait qu'elle en redemanderait et qu'elle viendrait le voir pour lui quémander la suite.

Une fois sortit dans le petit jardin, il en profita pour allumer une cigarette. Il ne fumait pas souvent, seulement quand il y pensait et que la nuit était tombée. Contre toute attente, cela l'aidait à se détendre et lui éclaircissait ses pensées autant que ses poumons se remplissaient de fumée épaisse et toxique. Peu lui importait de s'empoisonner. Le vampire en lui ne laisserait pas ce corps se putréfier. C'était l'un des avantages à coexister avec un monstre de plusieurs siècles.

Maintenant qu'il n'y avait plus son parasite vampirique pour le détourner de ses missions, il pouvait penser à ce qu'il allait faire à présent qu'il était parfaitement éveillé. La chemise sale qu'il portait sur le dos ne convenait pas s'il désirait sortir cette nuit. Prendre une douche ne serait pas du luxe, quitte à changer de vêtement autant quitter ce look de chien mouillé que ses cheveux lui donnaient.

En effet, la douche lui fit le plus grand bien et c'est avec plaisir qu'il enfila une chemise propre et repassée par les bons soins de la gentille femme qui lui permettait de vivre sous ce toit. Se sécher les cheveux fit un peu de bruit, mais cela restait infime comparé au cri que le vampire-reflet avait poussé plus tôt. Il n'attendit pas que son reflet fasse une quelconque réflexion pour prendre la poudre d'escampette. Il avait un lieu précis où il désirait tout oublier. Oublier Evalyn, oublier le vampire qui l'habitait, oublier qu'il vivait tristement.

Nathanaël gara sa moto et installa l'anti-vol. Suite à quoi, il pénétra dans un petit bar discret qu'il connaissait bien. La devanture banale n'informait personne de la décadence qu'il pouvait y avoir lieu à l'intérieur. C'était en toute connaissance de cause qu'il y entrait.

Un bistrot un peu triste accueillait toutes personnes qui n'y connaissaient rien. Mais Nathanaël n'était pas de ceux-là. Comme chez lui, il prit la porte au panneau « porte de service ». Un escalier d'une dizaine de marches conduisait au sous-sol. Le chauffage doux accueillait n'importe quel arrivant. L'écrivain trouvait cela exagéré mais n'en avait jamais rien dit.

La cave accueillait un second bar, beaucoup plus moderne et soigné que celui qui pouvait se trouver au-dessus. Sans attendre plus longtemps, Nathanaël s'approcha du comptoir et sonna la clochette, pour la forme. Un homme plutôt corpulent et aux épaules très carrées se retourna, il essuyait un verre avec un torchon propre.

- Salut, Jeff'. Lança Nathanaël sans grand enthousiasme.

- Ça fait un bail. Tu viens ici pour trouver l'inspiration pour tes romans de cul ?! Répondit-il sur un ton léger et détendu.

- Juste pour oublier ce soir.

- Ho là, baisse de moral ? Continua de questionner le barman.

- On va dire ça … Je vais prendre une triple dose de ton meilleur Brandy et trois filles... j'ai les moyens maintenant... Répliqua le nouvel arrivant, coupant court à la conversation.

- Ça marche ! Je te laisse t'installer à la table 42, les filles viennent de voir leur client filer, sa femme l'attendait sur le palier, je plains le pauvre bougre. Raconta l'employé amusé.

- Les gens sont d'une décadence... Ajouta Nathanaël tout en souriant faiblement alors qu'il récupérait son verre d'alcool.

- Et toi alors ?

- Je suis célibataire, encore et toujours ! Objecta le client qui commençait visiblement à se détendre tout en sirotant ce qu'il avait dans les mains.

- Allez va t'installer... Conclu le gorille en riant de façon légère.

Jeff' était une connaissance de longue date. Il avait travaillé un moment dans cet endroit où régnaient charme et luxure avant qu'il ne devienne auteur à succès et qu'il n'ai plus besoin de ce boulot. Peu après, Perséphone était venue le chercher chez lui pour entrer à son service. Tout en se rappelant le passé, il arriva à la table numéro quarante-deux qu'il connaissait depuis quelques années. Il y avait servi et maintenant y était servi. Le retournement de situation l'avait toujours fait sourire.

Trois créatures merveilleuses l'y attendaient. Elles étaient félinement disposées sur le long sofa. Les demoiselles étaient très peu vêtues et c'est ce qui attirait de nombreux hommes qui connaissaient l'endroit.

- Ho... Mais regardez ce que je vois ! S'exclama la jeune femme qui prenait le plus de place sur la banquette.

- Je savais bien qu'il ne pouvait pas se passer de moi ! Lança celle qui se trouvait à gauche.

- Ne dis pas de sottises, c'est de mes caresses dont il ne peut pas se passer. Coupa la dernière des filles à droite.

Nathanaël sourit devant la féminité des trois dames qu'il payait pour rester en sa compagnie. Il put leur répondre sans les regarder, il savait pertinemment qui il avait en face de lui, après tout, il s'agissait d'anciennes collègues.

- Mes demoiselles, ne vous chiffonnez pas pour si peu, vous revoir toutes les trois à la fois m'emmène au paradis... Déclara-t-il pour calmer les filles qui parfois, pouvaient se comporter en gamines.

L'ancien employé les connaissait par cœur, et même s'il n'était pas là pour travailler mais pour profiter, ses déformations professionnelles ressortaient sans qu'il ne puisse rien y faire. Observant les trois déesses dont il profiterait à son aise ce soir, il but une gorgée de sa boisson. Le liquide au goût caractéristique coula le long de sa gorge, lui réchauffant œsophage et l'estomac tout en lui picotant les papilles gustatives. Pendant ce temps, les escort-girls se déplaçaient de façon à ce que Nathanaël puisse s'installer correctement. Il en profita pour regarder un peu plus librement les jeunes femmes.

La première qui avait parlé, celle qui s'était permis de prendre toute la place sur le canapé se prénommait Felicity, elle avait les cheveux mi-longs, bouclés et d'un roux si éclatant qu'il en aurait sûrement fait rougir un renard dans la fleur de l'âge. Elle avait des formes gourmandes et une paire de lèvres charnues tels des quartiers d'oranges. Sa crinière flamboyante s'alliait avec les tâches de rousseurs camouflées par un maquillage marqué. Felicity portait un ensemble de sous-vêtements rouges aux motifs marron de style baroque. Ses talons aiguilles de la marque française « Louboutin » et ses bas résille noirs terminaient sa tenue simple et légère.

La deuxième portait le doux nom de Flora, c'était celle qui se trouvait à gauche. Cheveux noirs et épais, la forme de la coiffure, lisse mais gonflée indiquait qu'elle avait sûrement fait appel à un lisseur puissant et d'une laque haut de gamme. Les cheveux coupés en dessous de l'oreille en carré lui donnaient cet air de chanteuse de cabaret qui s'alliait parfaitement bien avec son teint sombre. Elle portait peu de maquillage, seuls de très long faux-cils lui avaient été rajoutés. La tenue de Flora se définissait en une robe très courte de couleur or, elle était dos nu et offrait un magnifique décolleté sur une petite poitrine parfaitement mise en valeur. La demoiselle avait le visage fin tout comme son corps menu mais qui ne semblait pas fragile.

En ce qui concernait la dernière, Steline était son pseudonyme. Blonde comme les blés, elle avait de jolis yeux noisette. Sa peau blanche la rendait gentiment quelconque. Cependant, son tour de poitrine faisait toute la différence. Elle était fine et arborait une poitrine disproportionnée. Il s'agissait peut-être d'un bonnet D. Nath n'en savait rien, il ne s'y était jamais véritablement intéressé. Pour la tenue, elle portait simplement une tenue orientale de couleur rose pâle. Tout son corps était à peine couvert à cause du tissu transparent. Steline était la plus timide et la plus jeune du groupe. Nombreuses étaient les fois où l'ancien employé l'avait taquiné sur son manque d'initiative. Il l'aimait bien, elle avait un visage rond, et le sourire fragile. Elle savait rire discrètement et regarder un homme comme ils aimaient être regardés. De toute façon, si elle était ici, c'est qu'elle avait ce petit quelque chose que les clients adoraient.

Son observation terminée, il put prendre place entre Felicity et Steline. Flora était passée derrière lui et commençait un massage appliqué dès qu'elle eut les épaules de Nathanaël en ligne de mire. Il était noué et il le savait, aussi, il se laissa aller aux bons soins des filles. Petit à petit, il vidait son verre calmement. Il était au calme, dans des effluves douces, mélanges de fumées de cigare et de parfum de femme. Il trouvait cela agréable. Felicity, la plus bavarde, lui murmurait quelques mots tendres qui auraient rendu fou de désir beaucoup de jeunes garçons inexpérimentés. Ce n'était pas le cas de Nathanaël. Cela eu au moins le mérite de le faire sourire. Pendant ce temps, Steline lui avait ouvert sa chemise et s'amusait avec son torse. Le garçon maudit était alors en train d'oublier et c'était délicieux que de se laisser aller...

Cependant, cette quiétude ne dura pas longtemps. Aussi reposant et déstressant qu'auraient pu être les trois demoiselles, la lassitude envahit l'homme. Il connaissait la totalité de leur technique de séduction. Il n'y avait rien d'excitant la-dedans. Enfin, ce n'était que son avis. En effet, une personne quelconque aurait eu l'eau à la bouche dés qu'il aurait fait la rencontre des trois déesses qu'il avait autour de lui. C'était sûrement l'habitude qui le rendait aussi aigri. Déçu de ne pas en éprouver plus de plaisir, il décida de reprendre du brandy, la même dose.

Finalement, une fois que son sang fut constitué à cinquante pour cent d'alcool ou dans les environs, plus rien n'avait d'importance pour le client. Il était devenu une poupée de chiffon dans les bras des filles. Il profitait des caresses et des promesses murmurées. Les escort-girls n'attendaient qu'une chose... Qu'il en choisisse une avec qui il passerait la nuit. Seulement Nathanaël était contre ce genre de pratiques. Cela lui rappelait des souvenirs dont il n'était pas forcément fier. Ignorant les minauderies, il avait décidé qu'il en avait assez eu pour ce soir. Il réussit à se rendre une dernière fois au bar, demandant une chambre. Dans son état, il n'aurait même pas réussit à retirer la béquille de sa moto. Se retrouvant avec des clés en main, il grimpa deux escaliers en évitant à trois reprises de se briser la nuque en bas des marches. Il avait un peu trop bu. Mais depuis quand s'était-il sentit aussi libre et léger ? Il n'en avait aucune idée et il s'en fichait totalement ce soir.

Avec difficulté, il se retrouva dans sa chambre. C'était quelque chose de très petit. Une salle de bain sûrement insalubre. La pièce comportait juste assez de mètres carrés pour y placer un lit double. Nathanaël était totalement dans les vapes et l'espace tournait autour de lui. Il avait du mal à garder ses jambes droites. Il venait de refermer la porte à clé derrière lui. Il était seul maintenant. Assoiffé par les fumées et l'alcool, il entreprit de passer par la salle de bain pour y boire de l'eau au robinet. Il grognait des choses incompréhensibles. Lui-même grognait pour faire un bruit de fond plus que pour exprimer des idées. Dans la minuscule salle de bain, un miroir était accroché au-dessus du lavabo. Le maudit soupira bruyamment, son reflet vampirique avait ses yeux emplis de jugement et le regardait avec gravité.

- Tu es pathétique ! Cracha l'image avec mépris.

Ce mépris était sûrement le poids de la jalousie du vampire. Il avait toujours su montrer qu'il était là. Surtout dans ce genre de situation.


Nathanaël, agacé de constater que son parasite était encore là, cracha sur le miroir l'eau du robinet qu'il avait voulu boire. Le vampire emprisonné était maintenant flou et ses mots étaient atténués, comme cryptés. Cela allait très bien à l'homme ivre qui sans rien ajouter but finalement ses quelques gorgées d'eau fraîches avant d'aller s'écrouler sur le large lit. Il sombra dans un sommeil sans rêve ni cauchemar, fruit de tous les verres qu'il avait bu...

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